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Juan Pablo Escobar : «La vérité peut parfois être très éloignée de la version officielle»

Juan Pablo Escobar milite désormais contre le trafic de drogues Juan Pablo Escobar milite désormais contre le trafic de drogues [© Ivan Etel]

Sait-on vraiment tout de Pablo Escobar ? D'après son fils, la réalité est quelque peu plus complexe qu'elle n'en a l'air.

Quadragénaire, architecte à Buenos Aires et militant anti-drogue, Juan Pablo Escobar était de passage en France pour faire la promotion de son livre «Mon père» (Hugo doc). Ce, alors que les écrans ont remis en lumière la trajectoire du plus célèbre trafiquant de l'histoire : la troisième saison de la série «Narcos» est désormais disponible sur Netflix et le film «Loving Pablo», où Escobar sera joué par Javier Bardem, est très attendu. Le fils du célèbre trafiquant de drogue, lui, s'inquiète de cette vague d'intérêt autour de son père.

Après la mort de votre père en 1993, vous avez mis vingt ans avant d'écrire ce livre. Pourquoi ?

Je ne voulais rien presser. J'ai d'abord tourné un documentaire («Les péchés de mon père», 2009) puis un éditeur m'a proposé de raconter mon histoire, finalement parue en 2014, en Colombie. Poussé par un besoin de vérité, j'ai mis près de deux ans à écrire ce livre : au-delà de mes souvenirs personnels, j'ai dû retourner en Colombie pour rencontrer quelques uns de ses proches et me plonger également dans de nombreux documents.

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©collection privée de la famille Maroquin Santos, Pablo Escobar et Juan Pablo Escobar devant la Maison Blanche

On a l'impression d'avoir déjà lu et vu beaucoup de choses sur Pablo Escobar...

Je souhaitais permettre aux victimes de mon père d'avoir accès à la vérité, parce que je pense que la vérité peut parfois être très éloignée de la version officielle ou celle des médias. D'autre part, je suis devenu père et j'avais besoin de raconter à mon fils qui était son grand-père, ses bons côtés comme ses mauvais. Car s'il regarde la série de Netflix, j'ai peur qu'il le voie comme un véritable héros. Il pourrait même bien devenir à son tour trafiquant. Plus généralement, j'ai voulu délivrer un message aux jeunes générations qui regardent «Narcos». Cette série montre finalement une image très glamour de la vie de dealer. Et c'est loin d'être le cas. A quoi cela sert d'être plein aux as si c'est pour finalement finir sa vie de manière miséreuse, en fugitif ?

Vous donnez une version différente de la mort de votre père. Pourquoi personne ne vous a rallié dans votre version ?

La mort de mon père fut un véritable trophée de guerre. Récemment, un homme a encore écrit un livre pour expliquer qu'il était celui qui avait abattu mon père. Un livre publié par la même maison d'édition que celle du colonel Hugo Aguilar qui avait, lui-même, juré avoir tué mon père après avoir posé avec son cadavre ! Pour moi, ce n'est pas important. Mais je me suis évidemment penché sur sa mort : le médecin légiste m'a expliqué qu'il avait le poing serré comme s'il tenait quelquechose très fermement avant de mourir sur ce toit. Une balle a traversé son coeur au niveau du ventricule droit. Mon père m'avait expliqué qu'il préférait se tuer de cette manière là plutôt que de partir en prison aux Etats-Unis. Juste avant sa mort, il a également pris des risques qu'il m'avait pourtant appris à éviter. Il nous a notamment appelé de nombreuses fois, au risque de se faire repérer. Il se savait acculé. D'ailleurs, il ne portait pas de chaussures alors qu'il m'a toujours expliqué que face à la police, il valait mieux avoir de bonnes chaussures plutôt qu'un bon flingue. Mais tout cela n'est pas très important. Je constate juste que sa mort n'a rien changé. Les trafics de drogue ont continué.

Les scénaristes de «Narcos» ont-ils pris contact avec vous avant de se lancer dans l'écriture ?

Non, c'est moi qui les ai contactés quand j'ai découvert leur projet. J'ai tellement de documents sur lui, des vidéos, des photos, des lettres. J'étais d'accord pour les aider à s'approcher au plus près de la vérité car ma famille et moi-même sommes peut-être les mieux placés pour raconter la vie de Pablo Escobar. Mais ils ont clairement choisi de raconter cette histoire côté DEA, comme si cette dernière, ainsi que la CIA, n'avait jamais collaboré avec mon père... Ils restent les «gentils» de l'histoire.

Vous inquiétez-vous du succès d'une série comme «Narcos» ?

Je dis surtout merci à Netflix, car cela m'aide à vendre plein de livres ! En fait, ce qui est rassurant, c'est que les fans de la série ont souvent envie d'en savoir plus, de connaître la réalité. Et pour cela, il y a mon livre.

Vous sentez-vous soulagé d'avoir écrit ce livre sur votre père ?

D'une certaine manière, je suis satisfait d'avoir pu raconter ce que nous avons vécu. C'était aussi l'occasion de prendre un peu de recul, de s'asseoir, se plonger dans les documents, en apprendre pas mal sur le cartel de Medellin. Cela m'a aidé à admettre les crimes de mon père.

Vous avez pris le parti de le critiquer. Comment votre famille l'a-t-elle pris ?

Toute la famille a vécu les conséquences des actes de mon père. Nous le respections mais nous ne lui avons jamais caché ce que nous pensions contrairement à la majorité des gens qui brossaient «el patron» dans le sens du poil. Tout le monde ne me disait que du bien à propos de mon père ! Mais ma famille et moi étions les premiers impactés par ses choix. Ma mère et ma soeur m'ont soutenu tout de suite.

pe_abrazando_hijo_a.jpg©collection privée de la famille Maroquin Santos

Mais dans votre livre, Pablo Escobar a tout de même l'air d'un mari et d'un père très aimant. Pensez vous qu'il avait deux personnalités : l'une pour le travail, l'autre avec sa famille ?

Oui, et on le savait tous. De lui, j'ai reçu une bonne éducation, de l'amour mais aussi le fait qu'il a fait énormément de mal au monde entier. Il y a tellement de contradictions dans sa vie. Il m'a transmis le respect, la politesse, l'amour de sa famille mais pendant qu'il m'apprenait tout cela, il était quelqu'un de totalement différent à l'extérieur.

Quel est le meilleur conseil qu'il vous ait donné ?

Un jour, il m'a montré tout un tas de drogues différentes et m'a expliqué comment on les fabriquait, leurs effets et leurs conséquences sur la santé. Il m'a aussi dit que le vrai courage était de ne jamais toucher aux drogues. Car il était facile de sombrer dans la drogue pour un petit garçon, comme moi, vivant en Colombie dans les années 1980. Je le remercie pour son éducation. Maintenant, tout le monde sait ça : l'éducation est la meilleure arme pour lutter contre les problèmes liés à la drogue. C'est un sujet de santé publique. Il faut de la prévention, pas des armes. Cela ne sert à rien de se lancer dans une guerre militaire contre les trafiquants, qui seront toujours plus riches et auront toujours de meilleures armes pour se défendre. La prohibition leur donne du pouvoir. Ils peuvent ainsi tout acheter : armes, personnes et consciences.

setentas_y_80s_25.jpg©collection privée de la famille Maroquin Santos

Êtes-vous confiant pour l'avenir ?

Oui. Je pense que tout doucement, le monde réfléchit à la manière dont on doit aborder ce genre de fléau. Merci l'ONU. Les conflits armés ne donnent aucun résultat : tous les jours, il y a de nouveaux cartels, de nouveaux dealers. Ils ont des sous-marins pour acheminer la drogue. Cela vous donne une idée de leurs pouvoirs.

Est-ce une chance ou une malédiction d'être le fils de Pablo Escobar ?

Nous vivons tous avec le poids de notre histoire, de notre enfance. On doit y faire face, d'autant plus que grandir avec l'idée que de nombreuses personnes veulent votre peau, ce n'est pas très agréable. Mais je dois avouer que si je devais choisir entre vivre avec ou sans mon père, je choisirais mon père des milliers de fois. Parce que je l'aime et que je n'ai reçu que de bonnes choses de sa part.

Pensez-vous aujourd'hui avoir une vie «normale» ?

Qu'est-ce que la normalité ? Si c'est m'éloigner de ce passé, alors oui, je retrouve une vie nomale. J'essaye de mener des actions positives, de  mener à bien des projets : je suis devenu architecte, père, et je pense être en train de devenir l'homme que je voulais devenir. Je suis aussi maintenant très clair par rapport à ma propre histoire et celle de mon père. Je travaille désormais auprès des enfants d'Amérique latine pour les sensibiliser au trafic de drogue et tenter de les détourner du mauvais chemin. J'essaye aussi d'avoir le soutien des politiciens. Je ne m'élève contre personne, je raconte juste les faits et souhaite la paix.

Avez-vous toujours peur pour votre vie ?

De moins en moins. J'ai un fils que j'aime, que je veux éduquer. Je souhaite lui transmettre de bonnes valeurs. Je refuse qu'il vive dans la peur comme moi je l'ai été. Quand je mourrai, j'espère bien que mon fils n'aura pas à se retrouver assis au milieu de différents représentants des cartels de son pays pour négocier sa vie !

La Colombie vous manque-t-elle ?

Quand je suis parti, les cartels m'ont prévenu : «si tu reviens, on te tue». Après des années d'absence, j'y suis retourné dans une volonté de réconciliation et non dans une haine des trafiquants de drogue. J'ai le droit d'y retourner mais je ne suis pas très à l'aise avec cela. Je ne me vois pas revenir y vivre mais je pense que les choses changent tout doucement.

Êtes-vous triste de l'image de la Colombie dans le monde ?

Je sais à quel point mon père est en partie responsable de cette image. Nous sommes désormais discriminés, en tant que citoyens, tout autour du monde. Mais cela change. Je n'ai pas dû demander de visa pour venir en France, par exemple.

Que diriez vous à votre père si vous pouviez lui parler aujourd'hui ?

Je lui dirais que je l'aime. Je lui ai dit, déjà, ce que je pensais de ses actions, de son vivant. Je n'ai pas de regrets. J'ai tellement essayé de le persuader d'arrêter les actions violentes, j'ai tellement essayé de changer sa manière de penser et d'agir. Je me souviens d'ailleurs qu'il avait dédicacé un de ses discours à son «fils pacifiste de 14 ans». Je suis en paix avec mon père.

setentas_y_80s_10.jpg©collection privée de la famille Maroquin Santos

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