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Eric Naulleau : «Ruse est l'histoire d’une promenade avec l'amour et la mort»

Bien qu'auteur d'une dizaine de livres, Eric Naulleau ne s'était jusqu'ici jamais essayé au roman. [JOEL SAGET / AFP].

Il vient là où ne l'attendait pas. Homme de lettres multifacettes, longtemps critique littéraire et chroniqueur le plus redouté de la place de Paris, Eric Naulleau signe à 59 ans «Ruse», son premier roman. Un polar convaincant où le lecteur accompagne pas à pas la cavale d'un couple magnifiquement maudit sous les cieux beaux et cruels de Bulgarie.

Ce thriller amoureux, comme le définit plus exactement Eric Naulleau, raconte ainsi l'histoire de Deliana, une étourdissante jeune Bulgare cultivée et éduquée - francophone et francophile - devenue strip-teaseuse malgré elle et qui, après avoir été condamnée sur un coup du sort par la pègre, va être amenée à se réfugier chez un ancien amant, Serge, un journaliste français installé à Sofia.

Et c'est ensemble que ce couple, à la fois tourmenté et captivant, va devoir prendre la fuite sur les bords du Danube, dans la ville de Ruse, pour échapper à la mafia bulgare. Entretien.

Comment vous est venue l'idée de cette histoire ? Doit-on d'ailleurs plutôt dire «Ruse» ou «Roussé», du nom de la ville où la majeure partie de l'intrigue se passe ?

On peut dire «Ruse» ou «Roussé», les deux orthographes se valent. Bien sûr, il est plus intéressant de dire «Ruse» puisque cela crée déjà une atmosphère un peu trouble. Je connais bien cette ville aux deux noms et c'est elle qui a tout déclenché en moi. 

J’avais dès le départ cette image de deux amants qui se retrouvent et leur fin qui devait s'achever à Ruse. Il me restait donc plus qu'à inventer le milieu du livre devenu ce thriller amoureux avec ce couple qui fuit, une menace de mort pesant sur eux. Ruse est pour ainsi dire l'histoire d'une promenade avec l’amour et la mort.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un roman, et pourquoi l'avoir fait maintenant ?

Je m’étais essayé à pas mal de genres littéraires : l’essai, le pamphlet, la parodie... et puis je voulais savoir si j’étais capable de mener un roman d’un bout à l’autre. Un genre d’écriture bien différent de ce que je pratiquais jusqu’à présent. Je me suis donc lancé ce défi et je me suis donné un an pour le relever.

Mon âge entre aussi dans l’affaire. A 59 ans, on se dit que plus le temps passe, plus il est temps d’expérimenter ce qu’on n’a pas encore eu l'occasion d'expérimenter. Et le roman faisait partie des expériences inédites, alors même que j’en avais lu des centaines.

Fallait-il obligatoirement un polar, genre littéraire très populaire, à l’homme de télévision populaire que vous êtes ?

J’aime beaucoup le polar et j'aime au cinéma le film noir. Je pense par conséquent qu’il y a une certaine influence cinématographique sur mon premier travail romanesque. Je voulais par ailleurs vraiment combiner les deux genres populaires que sont en effet le polar et l’histoire d’amour. J'ai tenu néanmoins à ne pas me contenter des péripéties et à faire de cet ouvrage un objet littéraire à part entière.

Quelle part d’Eric Naulleau y a-t-il dans les personnages de Serge et de Deliana ? 

Serge est un homme qui a exercé divers petits métiers dans l’univers de la littérature. On retrouve chez lui quelques traits de mon caractère comme bien évidemment le côté bulgarophile, ou l'aspect «ours dans sa tanière entouré de livres» qui est un peu la vie que je mène. Mais ça ne va pas plus loin même si on a pu connaître les mêmes scènes de remises de prix, ou de comédies du petit milieu des lettres parisien. Sauf que lui a franchi le pas. Il s’en est éloigné en allant vivre en Bulgarie lorsque je continue à faire partie de ce spectacle. En réalité, il a été plus décidé et plus courageux que moi.

Je voulais combiner le polar et l'histoire d'amour

Quant à Deliana, mis à part le fait que je pense que les gens ne me paieraient pas pour que je fasse un strip-tease (rires), je pense qu’elle a comme moi, ce côté un peu franc-tireur, un aspect «répliques qui fusent» et qui ne sont généralement pas très diplomates. Elle a donc un côté souvent direct, souvent cinglant et c’est peut-être cela qui peut nous rapprocher.

D’où vous vient cette fascination pour la Bulgarie ? Et comment expliquez-vous, qu'en France, on connaisse si mal ce pays ? 

J’ai habité moi-même en Bulgarie et j’y suis retourné depuis une centaine de fois. C’est mon deuxième pays et on peut dire que je l’ai arpenté dans tous les sens. Il est vrai que j’ai toujours été surpris de la méconnaissance qu’ont les Français de ce pays, qu'ils réduisent bien souvent aux yaourts et à Sylvie Vartan.

D'ailleurs, même si ce pays est entré dans l’Union européenne, je n’ai pas l’impression qu’on le connaisse beaucoup plus. Certains pensent encore souvent à tort que la Bulgarie est un pays froid, alors qu'il est limitrophe de la Grèce et de la Turquie et qu’il peut y faire une chaleur accablante en été.

L’action de votre livre se passe d’ailleurs au contraire en pleine canicule…

Oui. Et c’était d’ailleurs une des contraintes que je m’étais imposées, c’est-à-dire la présence d’un bout à l’autre du livre de la chaleur qui n’est pas du tout inventée. Il fait en Bulgarie une chaleur accablante et encore plus sur les bords du Danube où se termine le livre.

C’était vraiment un point très important de faire cette fuite sous le soleil, dans un ciel sans nuage, fait d’un bleu parfait avec ce côté très métaphysique qui apporte quelque-chose de tragique. Je voulais absolument que l’angoisse et l’inquiétude viennent des gens peu recommandables qui traquent Serge et Deliana, mais aussi du climat et des paysages.

Vous faites justement des descriptions très précises des paysages et des lieux, parfois au prix de phrases très longues. C’est une marque du «style Naulleau» ?

Non. je dirais qu’il y a une alternance de notations assez brèves et de descriptions parfois beaucoup plus longues, mais je voulais qu’il y ait quand-même des variations de rythme, c'est-à-dire que ce ne soit pas seulement de la pure narration mais qu’il y ait aussi des moments plus méditatifs.

Cela correspond tout-à-fait à ma vision de la Bulgarie où il m’arrive de passer assez vite dans des villes, mais de descendre tout-de-même du bus pour admirer des paysages et de prendre mon temps. C’est surtout pour créer un contraste entre la fuite panique de mon couple de héros et le côté méditatif que je peux avoir en tant qu'auteur.

En certains lieux et dans certaines situations, le personnage de Serge semble éprouver une certaine forme de tendresse pour le passé communiste de la Bulgarie. Est-ce votre cas aussi ? 

Serge tient plutôt des propos très durs sur la Bulgarie communiste. Il s’agissait vraiment d’une dictature assez dure. J’y ai moi-même habité pendant la période totalitaire et le totalitarisme en Bulgarie n’était pas un vain mot.

La Bulgarie communiste était une dictature assez dure, le totalitarisme n'était pas un vain mot

En réalité, Serge est nostalgique de sa jeunesse, il a la nostalgie de la découverte de ce pays qui pouvait être assez étrange pour quelqu'un qui vient de l’ouest. Au restaurant on pouvait être, par exemple, confronté à un menu long comme le bras, alors même qu’il n’y avait en réalité à chaque fois que deux plats disponibles. Serge est davantage nostalgique de cet exotisme.

Diriez-vous pour résumer que votre livre est un roman noir dans tous les sens du terme ? Cette couleur étant omniprésente du début à la fin du livre.

Je pense bien sûr que c’est un roman noir. Et ce soleil tragique et métaphysique qui éclaire mes personnages est un soleil noir aussi. C’est le soleil de la tragédie grecque en réalité qui plane sur eux et plus le roman avance - plus on arrive vers le dénouement - et plus la couleur noire envahit l’imaginaire et la ville de Ruse où Serge et Deliana ont trouvé refuge.

Ce qui frappe aussi dans votre livre, c'est qu'il est empreint d’une grande sensibilité. Bien loin de l'image redoutable qui peut vous accompagner...

Oui certainement. C’est un livre qui est un peu «frémissant» je dirais. La sensibilité est toujours présente ou sur le point d’affleurer. J’avais presque terminé le livre quand je suis retourné une dernière fois en Bulgarie pour l’achever, et j’ai refait le voyage de mes héros en prenant notamment le bus qui relie Sofia à Ruse. J’ai été très ému parce que d’un coup mes personnages ont pris vie. J’avais vraiment l’impression d’être sur leur trace et de vivre leur angoisse et le danger avec eux.

Envisagez-vous une suite à «Ruse» ?

Non, c’est à chacun de décider de la fin du livre. Toutes les hypothèses sont quoi qu'il en soit à envisager selon les lecteurs. J’ai en revanche commencé un deuxième roman mais je ne peux pas vous en dire plus si ce n'est qu'il n’aura rien à voir avec Ruse.

Une dernière question d’actualité. Vous avez récemment fustigé la fermeture des librairies. Maintenez-vous cette position ?

Oui je la maintiens parce que les mesures du reconfinement – et tout le monde est d’accord là-dessus – ne sont pas idéales. Elles sont le fruit d’un arbitrage qui consiste à essayer de protéger la santé des Français tout en faisant en sorte que l’économie ne s’effondre pas.

Et je suis très étonné que, dans cet arbitrage, la culture ait été complètement pénalisée, que ce soit les libraires, les théâtres, les cinémas ou les bibliothèques. Je suis très surpris que tout cela arrive dans un pays comme la France où la culture fait pleinement partie de notre identité.

Je trouve cela injuste, d’autant plus que le milieu culturel s’était distingué par son application vraiment scrupuleuse des mesures sanitaires et qu'on ne peut pas dire cela de tous les domaines de l’économie. Il y a une forme de punition collective qui s’applique à tout le domaine culturel que je trouve incompréhensible.

«Ruse» d'Eric Naulleau (Ed. Albin Michel, 199 pages, 18 euros) 

Retrouvez toute l'actualité du livre ICI

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