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Fabrice Luchini, l'éloquent

Son phrasé caractéristique, à mi-chemin entre la gouaille du titi parisien et une diction quasi aristocratique, est devenu sa marque de fabrique.[Capture d'écran Youtube]

Inclassable, irrésistible lorsqu’il apparaît sur un plateau de télévision, volubile et distribuant citations sur citations, Fabrice Luchini fascine. En trente ans, il aura exploré tous les genres. Film d’auteur ou comédie à gros budget, Fabrice Luchini semble à l’aise sur tous les terrains. Il a tourné avec les plus grands, de Costa-Gavras à Rohmer en passant par Oshima et Chabrol.

 

(ARCHIVES)

 

L’enfant de Montmartre

Ce sont précisément les rencontres qui ont permis à Fabrice Luchini d’arriver là où il est. Rien ne le prédisposait à la carrière qu’il allait connaître. Fils de vendeurs de fruits et légumes, il grandit au pied de la butte Montmartre, dans un milieu modeste où l’on n’envisage pas de gagner sa vie en se divertissant. Et quand aujourd’hui, cet ancien cancre cite Deleuze pour expliquer à quel point il a haï l’école (« je ne comprenais pas d’où ça parlait »), on a du mal à croire qu’il se soit fait renvoyer à 14 ans, un maigre certificat d’études en poche.

Toutefois, le jeune Robert (son vrai prénom) Luchini a déjà la fibre d’un amuseur. Saisissant le moindre public qui se présente à lui, dans la rue ou dans le commerce parental, il se donne en spectacle. Son aisance en public est déroutante. D’autant qu’elle se double d’une formidable vivacité d’esprit et d’un sens de la psychologie qui lui permettent de cerner instinctivement chaque interlocuteur. Et d’en déstabiliser plus d’un.

C’est à 14 ans, quand sa mère le place comme apprenti chez un coiffeur pour dames des beaux quartiers, que Robert devient Fabrice. Ce prénom restera son nom de scène. Il y a peut-être déjà chez lui l’intuition de pouvoir camper, derrière son pseudonyme, un personnage différent du jeune homme anxieux qu’il est. Rapidement, l’adolescent volubile devient la coqueluche du salon. Bernard Privat, directeur des éditions Grasset et père de l’une des jeunes clientes de Fabrice, se prend de sympathie pour lui et lui présente l’intelligentsia parisienne. Il subjugue ce petit monde.

C’est un peu plus tard, en 1969, qu’intervient le tournant décisif. A la faveur d’une rencontre dans le nouveau drugstore d’Angoulême où il est venu coiffer les femmes pour l’ouverture de l’établissement, Fabrice Luchini rencontre Philippe Labro, en repérage pour son premier film Tout peut arriver en 1969. L’apprenti coiffeur décroche un petit rôle, qui ne cesse de s’étoffer, tant sa personnalité étonne le réalisateur. Philippe Labro s’en souvient : « Il était drôle, parlait verlan. Et il était en même temps très cultivé. (…) Tout le monde, et en particulier la critique, a remarqué sa prestation ». Avec le recul, on mesure à quel point ce signe du destin était prophétique.

 

Vidéo : Fabrice Luchini dans Perceval le Gallois

 

 

Rencontres décisives

Sa route croise ensuite celle d’Eric Rohmer, que l’acteur désigne aujourd’hui comme son Pygmalion. Les deux hommes collaborent une première fois sur le tournage du Genou de Claire (1970), dans lequel Luchini joue un petit rôle. Les deux hommes tourneront cinq films ensemble entre 1970 et 1987, dont Perceval le Gallois (1978), et surtout Les nuits de la pleine lune (1984), qui vaudra au réalisateur une nomination aux césars.

Décidé à devenir comédien, le débutant, âgé de 22 ans, s’inscrit, au début des années soixante-dix, aux cours de Jean-Laurent Cochet, légendaire professeur d’art dramatique. Six ans plus tard, il découvre un autre de ses «maîtres » en travaillant avec Michel Bouquet sur le plateau du film de Pierre Zucca, Vincent mit l’âne dans un pré (et s’en vint dans l’autre) (1976).

 

Vidéo : Fabrice Luchini danse dans Les Nuits de la pleine lune

 

 

En 1978, après une apparition dans Violette Nozière de Claude Chabrol aux côtés d'Isabelle Huppert, il retrouve Rohmer qui fait de lui son Perceval le Gallois. Si le long métrage remporte un succès d’estime auprès des critiques, la reconnaissance populaire n’est pas encore au rendez-vous. Elle se fera attendre jusqu’en 1984, avec la quatrième collaboration entre Luchini et Rohmer, pour Les Nuits de la pleine lune.

Les années 1980 sont surtout marquées, pour Luchini, par plusieurs participations à des comédies de second ordre, dont plusieurs dirigées par Patrick Schulmann. Il donne même la réplique à Aldo Maccione dans le superflu T’es folle ou quoi ? (1982), avant d’endosser un petit rôle dans le quatrième volet des aventures d’Emmanuelle (1984). Petit à petit, Fabrice Luchini devient populaire.

 

Vidéo : Fabrice Luchini séduit dans La Discrète

 

 

Succès tardif

Ainsi, en 1990, Christian Vincent lui offre un des rôles titres de La discrète. Fabrice Luchini hésite à se lancer dans l’aventure, puis accepte. Le succès est au rendez-vous et il remporte dans la foulée le prix Jean-Gabin, qui récompense chaque année un jeune acteur. Fabrice Luchini est alors âgé de 40 ans.

Sa réputation dépasse celle d’un cercle d’initiés et chacun de ses rôles au cinéma amplifie sa renommée : en 1991, il figure au casting quatre étoiles d’Uranus, de Claude Berri. Dès lors, Luchini est durablement installé dans le cercle des acteurs français reconnus. Il enchaîne les films occupant le premier plan médiatique : Le colonel Chabert d’Yves Angelo (1994), L’année Juliette de Philippe Le Guay (1995), Beaumarchais, l’insolent d’Edouard Molinaro (1996), Hommes, femmes, mode d’emploi de Claude Lelouch (1996), Le Bossu de Philippe de Broca (1997) ou encore Rien sur Robert de Pascal Bonitzer (1998).

 

Vidéo : Fabrice Luchini rompt dans Rien sur Robert

 

 

A mesure que le grand écran fait de lui un acteur populaire et de plus en plus «bankable», Fabrice Luchini découvre le luxe de pouvoir faire ce qui lui tient vraiment à cœur. En 1984, il a exploré avec bonheur l’univers du théâtre dans une pièce de Sacha Guitry, Le veilleur de nuit.

Mais c’est quelques années plus tard que le comédien trouve son terrain d’expression. Jean-Louis Barrault, l’inoubliable Mime Debureau des Enfants du Paradis, qui dirige alors le théâtre du Rond-Point, lui demande un jour de dire sur scène des extraits de son auteur favori. Inconditionnel de Céline, depuis qu’à 17 ans la lecture du Voyage au bout de la nuit a eu sur lui l’effet d’une révélation, Luchini hésite mais se laisse convaincre.

Près de vingt ans après, la lecture de morceaux choisis des plus grands auteurs français constitue toujours l’activité privilégiée de cet amoureux de la musique des mots. Son phrasé caractéristique, à mi-chemin entre la gouaille du titi parisien et une diction quasi aristocratique, est devenu sa marque de fabrique.

 

Vidéo : Fabrice Luchini lit Voyage au bout de la nuit de Céline

 

 

Star du grand écran, Il n’oublie jamais de revenir sur scène. Car c’est au théâtre qu’il est le plus éblouissant. Pour Fabrice Luchini, le théâtre est le « seul lieu où s’exprime la vie, la nourriture de la vie, ce qu’aucune école n’enseignera jamais ». Le comédien apprécie particulièrement les moments qu’il passe sur scène face au public. Il aime réciter des textes, comme il sait aussi endosser le costume des plus grands. En 1996, Fabrice Luchini récite des textes de Baudelaire, Hugo, La Fontaine, Nietzsche au Théâtre Molière et à la Maison de la Poésie. Le succès étant au rendez-vous, il enchaîne avec Un Cœur simple, de Gustave Flaubert, au Théâtre Paris-Villette. En 2002, il reprend cette fois le rôle de Louis Jouvet (l’un de ses modèles) dans Knock.

C’est lui qui a relancé le mode du récital unique sur les planches. Depuis, Jacques Weber, André Dussolier, Sami Frey et beaucoup d’autres l’ont suivi. L’autodidacte retrouve sur les planches le goût de ses lectures d’adolescent, quand il vendait des légumes dans la boutique de ses parents. Balzac, Proust, Rimbaud, Céline, Fabrice Luchini a tout lu, tout retenu. Sur scène, il lit La Fontaine ou Roland Barthes avec la même fougue, n’hésitant pas, entre deux textes, à improviser sur tous les sujets, d’actualité ou pas.

Dans ses one-man show, le comédien se dévoile, raconte son enfance, ses rencontres. « Parler de soi est une impasse absolue », selon lui. Il offre ses impressions et ses sentiments au travers de lectures d’auteurs qui l’ont marqué, ou même façonné. Avec son enthousiasme légendaire, Fabrice Luchini restitue la force littéraire, l’impact des mots de chacun de ces auteurs. Avec verve, il déclame et restitue son amour de la littérature. Sa diction percutante apprivoise et sublime les mots. Acteur et diseur, Fabrice Luchini s’amuse, improvise et partage son univers littéraire.

A travers l’évocation de ces auteurs qu’il aime et admire, de Paul Valéry à Roland Barthes en passant par Chrétien de Troyes ou encore Molière, le comédien se dévoile et montre ici drôle et tendre. Luchini récite, avec la diction limpide et la verve qu’on lui connaît, des textes d’auteurs exigeants, les entrecoupant de digressions personnelles, anecdotes et échanges avec le public : sa rencontre avec l’écrivain Roland Barthes ou le tournage de Perceval le Gallois (Éric Rohmer, 1979). L’intelligence et la poésie de Verlaine, les dialogues savoureux des Femmes savantes de Molière, le romantisme de Flaubert s’imbriquent et offrent une balade lexicale. A mi-chemin entre one-man show comique et pièce conventionnelle, il démontre que légèreté et élévation spirituelle peuvent aller de pair. Luchini interpelle son auditoire, dialogue avec lui, se dévoile et se raconte. Au hasard de ses improvisations, une référence fait naître une anecdote, ou l’histoire d’une rencontre.

 

Vidéo : Pour Fabrice Luchini, La Fontaine représente « le génie français, le mélange de patois rural et du classicisme le plus maîtrisé, sans aucune posture solennelle » (La Croix le 28 octobre 2007).

 

 

Aujourd’hui, Fabrice Luchini occupe une place à part dans la famille des artistes français. Le cancre de ses jeunes années a laissé place à un ardent défenseur de la littérature et des penseurs, toujours prompt à décocher une citation de Nietzsche ou de Rimbaud. Trublion des plateaux de télévision, ses tirades sont attendues autant que redoutées à chaque apparition. Il a façonné au fil des ans un personnage complexe, à la fois farouchement populaire et insolemment élitiste. Angoissé mais plein d’assurance. Humble autant qu’arrogant. A la confidence facile, mais dont on ne perce jamais réellement le mystère.

Un personnage multiple et protéiforme, dont les excès semblent destinés à masquer les failles. Un personnage qui, fatalement, ne laisse personne indifférent. Qu’on le révère ou qu’on l’abhorre, Fabrice Luchini fait naître des sentiments extrêmes. Lui-même avoue détester «parfois, ce type bavard et péremptoire qui bouffe l’espace des autres». Mais il botte en touche, assurant ne pouvoir être réduit à la caricature dans laquelle son personnage médiatique s’est progressivement enfermé.

Malgré tout, il finit toujours par avoir le dernier mot. Il a une réponse toute trouvée pour ses détracteurs. Et il s’agit évidemment d’une citation : «Ceux qui me reprochent un ego gigantesque peuvent toujours le faire, mais, comme le disait Flaubert, dans mon dos, car mon c.., alors, les contemple».

 

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Philippe Labro évoque son « amitié de quarante ans » avec Fabrice Luchini

«En 1969, alors que j’effectuais des repérages pour mon premier long-métrage, Tout peut arriver, je me trouvais à Angoulême, où l’on inaugurait le premier Drugstore de province. C’est là que j’ai repéré un môme de 16 ans aux longs cheveux blonds qui dansait le boogaloo avec trois ou quatre jeunes filles, éberluées par sa tchatche et sa souplesse. Je suis allé à sa rencontre. Il s’est présenté sous le nom de «Cebrifa» – à l’époque il était l’un des premiers que j’entendais parler en verlan – et m’a dit qu’il était là en tant que garçon coiffeur. En discutant avec lui, j’ai vite vu à quel point il avait de l’humour ; il était vivant, différent, et je lui ai proposé un rôle. Deux mois plus tard, j’ai reconstitué la même scène, au même endroit, pour le film. Nous sommes devenus très amis, très complices. Le soir, nous réécrivions ensemble ses dialogues pour le lendemain. Et cette amitié dure depuis près de quarante ans. J’ai une énorme admiration pour son inventivité, son talent et son brio, sa culture multiforme et polyphonique. Je savais, quand je l’ai découvert, que c’était une personnalité hors du commun, mais je ne pouvais pas imaginer à l’époque qu’il deviendrait ce qu’il est devenu.»

 

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