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Le Clézio, l’écrivain nomade

«Je ne vis pas en France, je vis en littérature. Je n’écris que pour inventer un monde qui n’existe pas.» J.M.G. Le Clézio[Capture d'écran Youtube]

En 2008, l’attribution du prix Nobel de littérature à Jean-Marie Gustave Le Clézio étaient venue couronner l’œuvre d’un écrivain aussi célèbre que méconnu. Son écriture exigeante et son univers inspiré lui ont valu l’affection du public et la reconnaissance de ses pairs. Après l’annonce du prix, l’auteur a été unanimement salué par la presse internationale comme un écrivain cosmopolite et humaniste. Après, entre autres, André Gide, Albert Camus et Claude Simon, il est le quatorzième Français à recevoir le Nobel de littérature.

 

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Un explorateur

«Ecrivain connu, reconnu, mais pour cette raison même, probablement méconnu » Voici, habilement résumé par Philippe Sollers, le paradoxe qui s’attache à Le Clézio. La personnalité de l’écrivain, figure des lettres françaises, mais qui offre un profil cosmopolite, a toujours séduit aussi bien le public et la critique en France que ses lecteurs étrangers.

Le Clézio est avant tout un explorateur minutieux de la conscience individuelle, du rapport à autrui, attaché aux personnages complexes et vulnérables. S’il aime à peindre des contrées aussi dépaysantes que belles, c’est aussi pour saisir par contraste la réalité d’un Occident vieillissant. Pas de rousseauisme chez lui pour autant. Sous les tropiques, le miroir négatif de l’Européen repu n’est pas le «bon sauvage», car les hommes que l’on y rencontre ne sont ni bons ni sauvages. Ils ont en revanche beaucoup à nous apprendre.

Vouloir d’emblée saisir un message de la part de Le Clézio serait une erreur et reviendrait à se priver d’une grande partie de la richesse de ses écrits. Car l’écrivain est avant tout un amoureux de l’écriture et se veut un orfèvre du verbe. «Ce que j’aime par-dessus tout, c’est écrire en me servant de la langue française», explique-t-il. Une façon presque technique de caractériser sa passion : la langue est pour lui un outil exceptionnel qui lui sert à formaliser l’imagination et ciseler les souvenirs. Cet amour de la langue a permis à Le Clézio de donner naissance à une cinquantaine de romans, contes, poèmes et recueils de nouvelles. Le succès de l’écrivain auprès du public fut rapide.

Dès 1963, à 23 ans, il reçoit le prix Renaudot pour Le procès-verbal, qui avait su captiver l’attention de Georges Lambrichs, prestigieux directeur de collection au sein de la non moins prestigieuse maison Gallimard. Ce premier roman explore un univers aux confins de la folie et du rêve, inspiré de l’expérience traumatique de sa génération en Algérie. S’il n’a pas participé à ce conflit, bon nombre de ses amis en sont revenus profondément chavirés, sinon brisés. Après ce premier succès, le jeune homme voit avec étonnement la mention «homme de lettres» figurer sur ses papiers d’identité.

 

Vidéo : Interview de J.M.G. Le Clézio à la sortie de son premier roman Le Procès-verbal

 

 

L’ailleurs pour univers

Le Clézio a enchaîné les livres avec régularité, au rythme d’environ un par an. La découverte et la rencontre (à distinguer du voyage, pour lequel l’écrivain confesse son peu de goût) sont au cœur de cette œuvre au long cours, aux titres souvent évocateurs comme Terra amata (1967), Voyages de l’autre côté (1975), Désert (1980), Voyage à Rodrigues (1986), Sirandanes, suivis d’un petit lexique de la langue créole et des oiseaux (coécrit avec Jemia Le Clézio, 1990), L’Africain (2004), Ourania (2006).

Le parcours de Le Clézio explique ce goût de la découverte et des tropiques. Né d’une mère britannique et d’un père médecin de brousse, originaires de l’île Maurice, Le Clézio (dont le patronyme vient du Morbihan) passe son enfance et son adolescence à Nice. Ville adorée et détestée, et dont il se rappelle encore le fracas des explosions déclenchées par les Allemands quittant la ville en 1944. Marqué par le cosmopolitisme familial («J’appartiens à une famille nomade»), Le Clézio manifeste très tôt son goût de l’ailleurs, inspiré par son père qui partit vivre en Guyane et au Nigeria, et dont il ne fera la connaissance que là-bas, en Afrique, en 1949.

Son service militaire à la fin des années 1960 marque un autre moment clé de son parcours : il découvre à cette occasion le Mexique et rencontre les Emberas, population amérindienne de Panama, qui sera une source d’inspiration incomparable et avec laquelle il vivra quatre années. Façonné par les paysages de l’océan Indien, cet admirateur de Stevenson (L’île au trésor) et de Joyce (Ulysse) jette alors son dévolu sur l’Amérique latine, dont il privilégie l’identité précolombienne et amérindienne.

 Le Clézio n’hésite pas à quitter la France pour courir le monde en famille, au Mexique ou aux Etats-Unis où il a établi ses quartiers à Albuquerque, dans l’Etat du Nouveau-Mexique, en 1977. Exil plutôt facile pour un homme étranger à l’idée de nation et qui déclare : «Je ne vis pas en France, je vis en littérature. Je n’écris que pour inventer un monde qui n’existe pas.» Au fil de ses publications, il s’est acquis un lectorat fidèle. Ainsi, Ourania  qui entraîne le lecteur sur la piste d’une république idéale mexicaine, a été tiré à 65 000 exemplaires chez Gallimard en février 2006. Des chiffres qui font rêver dans le paysage engorgé des lettres françaises.

L’un des livres les plus remarqués de Le Clézio est Désert (Gallimard, 1980), récompensé par le prix Paul-Morand l’année de sa publication. Ce milieu physique et climatique est source d’inspiration sans fin pour l’écrivain. Il publiera, avec sa femme Jemia, un recueil de textes et de photographies sur le désert : Gens des nuages (Gallimard, 1999).

 

Vidéo : Le Clézio lors de son passage à La Grande Librairie de François Busnel sur France 5

 

 

Un écrivain nomade

Par-delà son talent littéraire, Le Clézio a bâti son propre personnage, qui a séduit le public autant que ses écrits. Par bien des aspects, il appartient à l’univers de ses romans. L’homme est discret, s’est longtemps défié des photographes, a toujours protégé sa famille, mais ne refuse pas pour autant de se prêter au jeu de la critique littéraire ni de rencontrer les journalistes. Le présenter comme un écrivain mystérieux est séduisant mais ne correspond pas fondamentalement à la nature de Le Clézio, plus simple qu’on ne le dit. En état de découverte permanente, il va au-devant du monde pour le pénétrer et le raconter à lui- même et aux autres.« J’écris des romans parce que je suis incapable d’écrire des mémoires. J’ai une sorte de réticence à regarder ma vie et à considérer qu’elle a un quelconque intérêt », explique-t-il.

Son physique avantageux, son port de tête altier, son regard céruléen lui confèrent une ressemblance avec le Peter O’Toole de Lawrence d’Arabie ou l’abbé Pierre de Lambert Wilson dans Hiver 54. Deux personnages qui auraient pu inspirer Le Clézio par les valeurs dont ils sont porteurs l’un ou l’autre, parfois l’un et l’autre : la rencontre, le souffle de l’ailleurs, le dépassement de la différence et le souci des plus petits. Il n’est guère surprenant dans ces conditions que les écrits de Charles de Foucauld, l’«ermite du Sahara» qui synthétise ces aspirations, aient été son premier contact avec l’univers du désert. Cet «éternel adolescent» se défend de toute velléité prophétique mais a pris à bras-le-corps des questions contemporaines comme l’acculturation des pays du Sud ou encore la violence ordinaire.

 

Anthropologue de la rencontre

De nombreuses rencontres nourrissent toute l’œuvre de Le Clézio. Ainsi a-t-il embarqué il y a trois ans à bord de La Boudeuse, le trois-mâts goélette de Patrick Franceschi, pour partir «à la découverte des peuples de l’eau» : ceux de l’île de Pentecôte de l’archipel de Vanuatu, au nord de la Nouvelle-Calédonie. De cette expérience, vécue dans d’autres contrées mais suivant le même principe que celui d’écrivains comme Patrick Chamoiseau ou Régis Debray, il a tiré la matière de Raga, approche du continent invisible, publié au Seuil en novembre 2006. On retrouve dans Raga le modèle d’inspiration classique de Le Clézio : la découverte d’une contrée et la rencontre intime avec ses habitants. Ainsi, à Raga, il côtoie une société – féminine en l’espèce – acculturée en deux générations et soumise à la violence quotidienne. Pour l’écrivain, cette expérience est l’occasion d’une réflexion sur le dialogue et sur la violence pour dégager une «anthropologie de la rencontre», ou encore un «livre de philosophie nomade» pour reprendre la belle expression de Jérôme Garcin.

Son Prix Nobel de Littérature est intervenu à un moment clé dans la carrière de l’auteur. A 68 ans, son roman Ritournelle de la faim, marque un tournant. Essentiellement urbain, il se plonge dans l’existence d’Ethel, une jeune fille d’une vingtaine d’années, qui pourrait être sa mère, et assiste aux premiers signes du conflit mondial qui s’annonce, dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Pour expliquer ce choix étonnant, le romancier explique avoir voulu interroger l’Histoire. Puisé dans l’histoire personnelle et dans l’imagination de Le Clézio, ce récit esquisse le profil d’une «héroïne qui s’ignore», offre une formidable galerie de portraits et propose une belle et déchirante histoire d’amitié. 

 

Vidéo : Interview Le Clézio avec Le Monde

 

 

Une autre vision de l’homme

Le métier d’écrivain est parfois proche de celui d’un diplomate au point de se confondre avec lui : Paul Claudel, Albert Cohen, Saint-John Perse ou plus récemment Jean-Christophe Rufin l’ont prouvé. Si Jean-Marie Le Clézio n’est guère un habitué des chancelleries, il n’en est pas moins ambassadeur d’une certaine idée de l’humanité. Une vision complexe, universelle, forgée par des décennies de découvertes, de dialogues et de confrontations entre différentes civilisations. Aujourd’hui, il jauge l’homme pour ce qu’il est : fragile, veule parfois, émouvant sou- vent, mais digne d’une solidarité de tous les instants. Avec d’autres figures contemporaines, il ouvre la voie d’une nouvelle vision des relations entre les hommes, loin du choc des civilisations, du tiers-mondisme vindicatif ou des utopies sans lendemain. C’est aussi ce regard qui a été récompensé par le Prix Nobel. Couronné après quelques autres «immortels» de la littérature française, Le Clézio espère bien continuer encore longtemps ce chemin d’un «nomade» désormais célèbre.

 

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