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La semaine de Philippe Labro : étincelant Noël, sombre fourrière

Philippe Labro, écrivain, cinéaste et journaliste. [THOMAS VOLAIRE ]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour DirectMatin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

 

DIMANCHE 1ER DÉCEMBRE

Un dimanche à Paris. Il fait beau, mais froid. Chez le boulanger («La France est le seul pays au monde où les gens font la queue dans la rue sous n’importe quel climat pendant 45 minutes, sans jamais broncher, afin d’acheter deux baguettes de pain», aurait fait remarquer Woody Allen), je lis, sur un petit carton visiblement décoré par une main d’enfant : «Plus que 24 jours avant Noël.»

A Paris, la «mobilisation» n’a pas encore complètement saisi les esprits – mais, enfin, tout est en place : sur la deuxième moitié des Champs- Elysées, entre Rond-Point et Concorde, une interminable enfilade de baraques blanches où l’on vend toutes sortes de babioles. Dans les rues des quartiers, les guirlandes électriques, certaines d’un goût douteux, d’autres plutôt agréables ; et, malgré la quasi quotidienne pratique des marches, manifs, blocages de routes, et autres gestes devenus presque routiniers, on sent un désir de fête – l’envie d’un semblant de parenthèse.

J’ai humé ce parfum, au cours d’une séance de signatures à la librairie «Le Divan», dans le 15e arrondissement de Paris, au côté de Christophe Ono-dit-Biot, Grand Prix du roman de l’Académie française pour son nouveau livre, Plonger. Nous tombons vite d’accord sur cette évidence : une séance de dédicaces, pour un auteur quel qu’il soit, c’est le seul et le meilleur moyen de savoir et comprendre qui vous lit. Homme ? Femme ? Etudiant ? Retraité ? Toutes et tous expriment pensées, sentiments, réflexions. On sourit, on explique le pourquoi de telle ou telle dédicace. Au fond, une librairie demeure un des endroits les plus civilisés et les plus réconfortants d’une ville, d’une vie.

En sortant, je découvre que ma voiture, mal garée, a été emmenée à la fourrière par cet insecte mécanique et ubiquiste : la dépanneuse. Garée à 11h20, enlevée à midi – bigre ! Ils sont rapides. Me voici donc en direction de la fourrière située près du périphérique, Porte Pouchet. C’est un autre monde, soudain, que celui ronronnant et courtois de la chaleureuse librairie. Non que les deux imposantes responsables, vêtues de noir, soient désagréables. Mais il y a quelque chose de violent dans le contraste entre ce que je viens de vivre, au «Divan», en signant mes livres tout en croquant quelques chouquettes judicieusement disposées par mon aimable libraire, et cet univers gris, froid, bruyant, impersonnel, où vous poussez des portes, des grilles, vous allez retrouver votre véhicule avec la dérisoire sensation que c’est un petit miracle («Elle est là ! Elle n’est pas abîmée ! Ma voiture !»), et vous vous délestez de 135 euros, empreint du sentiment du péché pardonné, d’une sorte d’absolution donnée par la guichetière aux bras musclés et au parler neutre.

Vous savez que vous allez bien vite repartir vers les rues de Noël et les heures creuses d’un après-midi de repos – tandis que, à la fourrière, ces deux employées vont continuer de répondre aux appels : «Oui, votre numéro d’immatriculation ? Oui, elle est là.» Et vous ne leur en voulez aucunement. Vous avez commis une erreur – mal garé –, elles ne font qu’en être les censeurs objectifs et salariés.

Le soir, nouveau rendez-vous à la télé, France 3 Ile-de-France, Porte de Vanves. Par précaution, j’ai pris des taxis. Le premier chauffeur était un Tunisien de 26 ans. L’autre, un Cambodgien de 60 ans, dont les deux enfants sont partis gagner leur vie à New York et en Australie. C’était un dimanche à Paris.

 

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