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Nathalie Achard, experte en communication : «il faut favoriser la coopération et la collaboration avant l'action ».

Nathalie Achard, auteure de « La communication non violente à l'usage de celles et ceux qui veulent changer le monde» décrypte, propose de sortir du reproche et du jugement pour élaborer ensemble des solutions. [Thibault Stipal]

Alors que l’épidémie de Coronavirus remet en cause nos habitudes en raison du confinement, comment communiquer sans violence et désamorcer les conflits ? Nathalie Achard, auteur de « La communication non violente à l’usage de celles et ceux qui veulent changer le monde », invite à repenser le schéma classique de la communication pour mieux coopérer, collaborer.

Après vingt ans passés à agir auprès d’associations comme Greenpeace, Amnesty International ou SOS Méditerrannée, Nathalie Achard a constaté que les confrontations se résument toujours à une posture binaire et stérile : « je suis pour ou je suis contre ». Elle a donc décidé d'épouser les mécanismes de la communication non violente, fondée sur l’introspection, l’écoute et l’échange pour aboutir à la coopération, essentielle en cette période de crise sanitaire et de confinement.  

Comment définiriez-vous la communication non violente ?

La communication non violente a été créée par Marshall Rosenberg, dans les années 1970 aux Etats-Unis. C’est une communication qui nous invite à sortir du système classique binaire, qui consiste à dire « j’ai raison, tu as tort », à sortir des systèmes de comparaison et des systèmes d’opposition. Schématiquement, l’idée est d’être en capacité de nous connecter les uns les autres, en identifiant nos besoins, en les partageant et en les nourrissant de manière équivalente et interdépendante, afin de contribuer à une communication qui favorise la coopération, la collaboration et la connexion avant l’action.

Le but étant d’être au service du bien-être de tous les intervenants. La communication non violente est une attitude, une posture. Ce n’est pas une boîte à outil. C’est un choix individuel qui consiste à ne plus avoir envie de contribuer à un monde d’opposition, de conflit, dirigé par le « c’est bien, c’est mal », « j’ai raison, tu as tort »... C’est sortir du reproche, du jugement, et ce, dans toutes les parties de ma vie : familiale, personnelle, professionnelle, associative, sociétale …

Comment s'applique-t-elle ?

Dans le cercle intime, par exemple, c’est sans doute l’endroit où c’est le plus compliqué. Parce que je suis, a priori, avec des gens affinitaires, qui ont les mêmes valeurs que moi, avec qui je construis un projet de vie, avec qui j’imagine qu’on est toujours d’accord. Mais ce n’est pas la réalité ça ! Si j’imagine que l’autre a les mêmes points de vue que moi, mais que je ne le vérifie pas régulièrement - parce que nous changeons, parce que rien n’est figé - je me trouve dans des situations de conflits qui peuvent m’étonner.

La communication non violente permet de désamorcer les conflits

Quand, effectivement, nous sommes 24 H sur 24 et 7 jours sur 7 ensemble, et que nous nous redécouvrons voire, parfois, nous nous découvrons nous-même, la communication non violente permet de désamorcer les conflits. Comment ? En disant «montres-moi ce qui se passe pour toi, et je te dirai ce qui se passe pour moi». Le tout, en essayant de prendre soin de ne pas être dans le jugement, et de voir quand le reproche arrive. Les reproches appartiennent au système classique. Il y en a un qui doit avoir raison, et l’autre qui doit avoir tort. Cela finit toujours mal. 

En quoi le système binaire peut-il être improductif selon vous ?

Dans un système d’opposition, soit il y en a un qui se soumet et on a l’impression d’avoir la paix. Sauf que c’est une paix armée. Pousser quelqu’un à ne pas s’exprimer pleinement et à ne pas être respecté dans son intégrité, cela finit mal. Soit cela créer un système de rébellion tel, qu'à un moment donné, l’autre ne va pas écouter. Parce que, en tant qu’être humain, il est insupportable de ne pas être pris en considération.

Il y a ce cri premier au fond de nous qui dit « prend-moi en considération ». Les enfants le vivent tellement souvent, mais à leur manière. Par exemple, quand ils ne veulent pas mettre un manteau alors qu’il fait moins dix degrés, ce n’est pas pour nous enquiquiner. C’est parce qu’il se passe quelque chose de l’ordre du «considère-moi». 

Quelle est la base d'une communication non violente ?

Il faut exprimer ce qui se passe pour soi de façon claire et concrète. C’est complètement à l’opposé de ce qu’on nous a appris, à savoir « le « je » est haïssable ». Mais non, pas du tout. L’idée n’est pas de dire « regardez-moi, je suis le plus fort », mais « regardez ce qui se passe pour moi ». En effet, à partir du moment où je suis dans le « tu », dans le reproche, je rentre dans une violence. L’autre va avoir envie de se défendre. Ce qui aboutit à une situation stérile où l’on va être opinion contre opinion. 

Comment s'approprier et mettre en pratique cette communication ?

La communication non violente est un processus complexe dans le sens où il est arborescent. Personnellement, il y a une phrase de Mandela qui me guide c’est : « ce qui se fait pour moi, sans moi, se fait contre moi ».  

L’idée est vraiment de favoriser l’observation plutôt que le jugement, l’expression de son propre état émotionnel plutôt que le reproche. Pour cela, il faut identifier ses propres besoins, ses sentiments pour être capable de les exprimer sans rentrer dans le reproche. Cela nécessite de sortir du paradigme classique qui est : si l’autre, en face n’est pas exactement comme on l’attend, tout est de sa faute. Une fois que j’ai exprimé ce que je ressens et mes besoins, je suis alors dans la capacité d’écouter de manière équivalent ce qui se joue entre nous, et comprendre ce que l’autre vit à ce moment-là. 

Etre à l'écoute de soi-même et des autres, est-ce la clé ?

Faire le choix de la communication non violente, c’est être au service de la coopération. Cela passe par l’expression authentique de ses émotions et donc de l'écoute de soi-même, mais aussi par l’écoute de l’autre. Et j’écoute l’autre, sans chercher à le couper, sans me dire : « tiens je vais lui répondre ça » et donc sans penser à le contrer. L’écoute inconditionnelle est indispensable, ce qui ne veut pas dire tout accepter. Ce n’est pas magique, c’est simplement pragmatique parce que c’est une vision collaborative et en collaborant, il est possible de sortir de toutes les ornières. 

Quelle est la finalité de cette communication non violente?

Idéalement, l’objectif est de trouver ensemble la solution. Nous mettons nos ressources pour élaborer des solutions en commun, et donc dans l’équivalence et le respect des besoins de chacun. Par exemple, pour le coucher des enfants, je me demande « pourquoi est-ce que je veux que mon enfant aille se coucher à telle heure ».  Il peut y avoir mille besoins : avoir de la tranquillité, prendre du temps pour soi ou contribuer à autre chose, comme son travail ou au bien-être de son enfant.

Idéalement, l'objectif est de trouver ensemble la solution

En exprimant ses besoins, en expliquant, l’enfant va comprendre et ce ne sera pas une décision descendante systématique. Et si l’enfant dit qu’il n’est pas fatigué, on lui pose la question « qu’est-ce que tu pourrais me proposer ? ». On le prend en considération pour co-construire. Ce n’est pas magique sinon ça se saurait. Ce n’est pas immédiat mais quand on y arrive, c’est fabuleux.  

Quelle question se poser avant d'exprimer un reproche ou une requête ? Comment désamorcer la violence ?

Dans la communication habituelle, on va tout de suite vers l’autre avec une action, avec une exigence. La communication non violente m’invite à faire un retour sur moi. Avant d’écrire par exemple un message désagréable sur Twitter ou de dire à un enfant « ça suffit, tais-toi, fais ça !», je me pose la question « qu’est ce qui se passe pour moi ? ». J’essaye de voir quel est mon état émotionnel. Comment je me sens ? Pourquoi ai-je envie d’écrire ou de dire ça.

En ce moment par exemple, avant de prononcer des mots terribles aux soignants comme « déménagez », on se pose la question « pourquoi je dis ça ? ». Parce que je sens que j’ai peur, je suis inquiète, j’ai l’impression qu’à tout moment je peux attraper ce virus. De l’autre côté, par rapport à ses enfants, je dis ça parce que j’ai quelque chose à faire qui va avoir une conséquence sur mon travail, travail qui m’amène une sécurité financière, par exemple. 

Dès lors, j’essaye de voir en profondeur, quelles sont les racines de cette première impulsion, qui est de me jeter sur l’autre pour qu’il fasse exactement ce qui est bon pour moi. En prenant ce temps d’introspection, je fais baisser le niveau d’agressivité. Ensuite, j’observe mes besoins personnels. Comme si je descendais dans un puit, je découvre à quel point les exigences que j’ai sur l’autre impliquent des besoins qui me sont personnels. Je me souviens alors que ça ne dépend que de moi. Je vois, ensuite, comment je peux revenir vers l’autre, en lui montrant ma petite introspection. Tout de suite, c’est plus doux.

L’autre va se retrouver face à quelqu’un, qui va lui montrer ses émotions, ses peurs, ses inquiétudes, ses besoins. On se rend compte alors que ces besoins sont souvent similaires. A partir de là, on peut commencer à collaborer, à trouver des solutions. C’est une communication beaucoup plus lente. Elle demande plus de temps. Ça tombe bien, en ce moment on en a plein, ou on peut le réorganiser. 

Que faire face à un message violent ?

Je crois que qu’il ne faut pas prendre ces messages personnellement. C’est très soulageant. Dans le cas des soignants malmenés en ce moment par exemple, il faut garder en tête que les personnes qui écrivent ça, parlent d’elles-mêmes. Elles parlent de leur peur profonde d’attraper cette maladie, de ce besoin de contribuer à la sécurité de leurs proches et de leurs enfants, qui sont des besoins qui font que l’on peut développer des stratégies très agressives vers l’extérieur pour se protéger et protéger les siens. Les soignants qui vivent ça, devraient essayer de bien intégrer le fait que ce n’est pas une attaque personnelle, que c’est une expression tragique d’un besoin de sécurité.

Cela peut soulager de se le rappeler, afin de se protéger soi-même en se disant, l’autre en face est très en colère, est terrorisé. Il a des besoins qui ne sont pas nourris. C’est son affaire. Ce n’est pas moi qui suis responsable de son état. 

Comment répondre à ces agressions ?

Pour répondre à ces messages, il faut dans un premier temps dire que ce je lis dans vos messages, c’est que vous avez extrêmement peur et je vous comprends. Cette peur, je la partage. Elle me taraude matin, midi et soir. En étant soignant, moi aussi j’ai peur, pour moi, mes proches. Je ne suis pas dans l’inconscience de cette peur et quand je lis vos messages, cela me rend profondément triste, parce que je prends toutes les précautions. Plus que la majorité d'ailleurs, parce que c’est mon métier, parce que je suis parfaitement conscient de ce qui se passe, que je connais les conséquences et que je ne ferai rien pour augmenter le flux des malades à l’hôpital, parce que ca aurait un impact sur mon travail.

Ce que je fais est au service du bien commun, de la santé de tous et j'ai besoin d'être soutenu. Il faut être dans la pédagogie, l’explication et offrir un aller-retour entre, ce que moi je ressens, et ce que je perçois de l’autre.

Malheureusement, cela demande encore une fois aux soignants de faire tout le boulot. Mais ce message peut être porté par celles et ceux qui sont autour. Après, les réseaux sociaux ont tendance à faire un focus sur ce qui est négatif et à faire d’un cas des généralisations. Il y a aussi plein d’initiatives où les soignants sont soutenus, ou des gens leur prêtent des appartements, des vélos. 

Cette pandémie malmène la société française et au-delà, le monde. Y aura-t-il un avant et un après ?

Je pense qu’il y aura un avant et un après pour de nombreuses raisons. Cette crise permet de redécouvrir à quel point nous sommes interdépendants à l’échelle nationale mais aussi mondiale. On redécouvre par exemple la structure sociale, puisqu’aujourd’hui tous ceux qui continuent à faire fonctionner notre société sont ceux qui sont les moins favorisés en terme social.

On se rend compte de l’impact sur l’environnement aussi. En trois semaines de temps, il y a des pumas à Sao Paulo, des sangliers dans les villes italiennes, des canards à Paris. C’est extraordinaire de voir à quelle vitesse, dès que l’homme arrête ses activités, le monde se transforme.

Y-a-t-il un bouleversement psychologique pour nos sociétés ?

C’est incroyable de se dire qu’un virus, c’est-à-dire un enchaînement d’acides aminés sans cerveau, est en train de tout enrayer et remet en question la vision de la toute-puissance de l’Homme sur la terre, de la toute-puissance de nos systèmes.

Un virus sans cerveau remet en question la vision de la toute-puissance de l'Homme.

Psychologiquement ce n’est pas rien quand même. L’arrêt complet de certaines activités, remet également en question l’utilité ou non de certaines d’entre elles. Cela permet aussi de s’interroger sur le sens donné à ces activités, sur la compréhension des mécanismes de mondialisation, de compétition qui sont à l’origine de beaucoup de disfonctionnements sociétaux aujourd’hui, dont on paye les conséquences.  

Quelle est la part de responsabilité de chacun ?

Quand je dis qu’il y aura forcément un avant et un après, en fait, je suis extrêmement optimiste. Je pense qu’il est nécessaire et vital qu’il y ait un après, et je ne suis pas la seule. Ceci dit, après c’est une responsabilité collective de ne pas repartir dans un système qui montre ses défaillances. 

Beaucoup de choses ont été pensées, matérialisées voire expérimentées, depuis des années par des collectifs, des associations, que ce soit au nouveau de l’agriculture, de la gestion sociale ou au niveau économique. Mais comment vont-elles être implémentées, installées ? Ça, c’est un grand mystère. Notre responsabilité commune est de se donner les moyens de penser différemment et ensemble, sans écraser celles et ceux que je considère comme responsable de la situation. Car si tel était le cas, ce serait une victoire qui porterait, en son sein, une violence et donc une victoire passagère. C’est comme ça que s’est écrite l’histoire classique de l’Humanité jusqu’à aujourd’hui. Il y a un enjeu de civilisation. C’est un vrai rendez-vous. 

Comment respecter les besoins de la communication non violente à l'échelle nationale ?

Il y a, à mon sens, trois niveaux. Un niveau personnel, la communication non violente que je m’applique à moi-même avec cette communication intérieure, cette introspection. Il y a le niveau interpersonnel dans les relations familiales, professionnelles ou le niveau local. C’est-à-dire mon travail avec les communautés autour de moi.

Et puis, il y a le niveau systémique, le niveau institutionnel, qui peut fonctionner par capillarité. Plus nous aurons fait les choix au niveau local d’avoir une posture non violente, plus les décisions qui seront prises au niveau systémique le seront. Cette capillarité montante existe déjà. Par exemple, la justice restauratrice, qui sort de la logique de justice punitive, pour aller vers une justice qui permet de restaurer le lien entre les personnes qui ont commis un acte et toute la communauté. C’est une justice qui est actuellement interrogée par la justice punitive, parce que c’est une posture qui est partagée et qui devient un vrai sujet.

Bien évidemment, il y a des grandes décisions qui sont de l’ordre de la sécurité, de l’organisation, qui ne supportent pas le temps long de la communication non violente, de la collaboration. Je ne pense pas, à ce jour, que l’on pourra s’en débarrasser.

C’est comme dans le management. A un moment, un manager même collaboratif doit prendre des décisions descendantes, parce qu’il y a des urgences. Cependant, si c’est au cœur d’un système, cela peut faire partie de ce monde d’après. C’est une question de proportion et d’intention. 

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