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Marjane Satrapi, réalisatrice de «Radioactive» : «L’après va être très compliqué, y compris pour la culture»

La cinéaste et dessinatrice franco-iranienne déplore qu'il n'y ait pas «un mot concernant la culture» en cette période de pandémie.[© Jamie McCarthy / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP]

Avec «Radioactive», son biopic sur la scientifique Marie Curie, Marjane Satrapi présente une femme forte et déterminée, dont les découvertes sur la radioactivité ont eu un impact sur le monde. Même si ce film n'a connu qu'un passage éclair au cinéma en raison du Covid-19, la réalisatrice et auteure de bande-dessinée franco-iranienne se rejouit de sa sortie en VOD, tout en avouant subir ce confinement.

Adapté du roman graphique de Lauren Redniss, «Radioactive : Marie & Pierre Curie : A Tale of Love and Fallout», le long-métrage, dévoilé le 11 mars sur grand écran, ne sera resté à l’affiche que quelques jours, avant que l’épidémie de coronavirus ne vienne fermer les salles obscures et l’ensemble des lieux culturels.

En bénéficiant d’une sortie anticipée en vidéo à la demande sur la plate-forme de streaming  MyCanal, le film s'invite dans les foyers, offrant à tous les cinéphiles la possibilité de (re)découvrir le destin incroyable de Maria Sklodowska, devenue l’épouse du physicien Pierre Curie, qui a quitté sa Pologne natale pour Paris. De ses activités dans son laboratoire à ses moments plus intimes en famille, Marjane Satrapi concentre aussi bien son récit sur cette grande figure de la science, incarnée par l’actrice britannique Rosamund Pike, que sur les conséquences positives et négatives de ces découvertes sur le monde. Un monde qui est aujourd'hui à l'arrêt, au grand dam de la réalisatrice et dessinatrice («Persepolis», «Poulet aux prunes»).

Comment vivez-vous ce confinement ?

Très, très mal. Je n’aime pas cette assignation à résidence et devoir remplir des papiers pour sortir comme si j’étais une enfant à qui l'on ne fait pas confiance. Comment le gouvernement peut-il nous demander de lui faire confiance, si lui-même ne le fait pas ? Et ces policiers que je croise dans la rue me font peur… Je ne suis pas contre cette situation pour autant. Ce confinement est sans aucun doute nécessaire, mais je ne trouve pas que ce soit un moment de partage, une parenthèse «extraordinaire» comme disent certains. Je pense à tous ces gens qui vont perdre leur métier et qui ne vont pas pouvoir payer leur loyer, à tous ces restaurateurs qui vont se retrouver sur la paille. Cela me désole.

Parvenez-vous tout de même à vous occuper et à vous projeter ?

Je suis antisocial et je déteste les mondanités. Mais pour être antisocial, encore faut-il qu’il y ait un social, ce qui n’est pas le cas en ce moment. Mon inspiration, je la puise dans l’émotion des gens que je croise dans la rue ou dans les cafés. J’écoute des bribes de conservation. Paris, cette ville que j’adore et qui est pour moi le centre du monde, est actuellement un très beau décor, mais sans âme. J’arrive à peindre et à écrire un peu. Mais cet isolement me stresse et me déprime. Quand tout cela sera derrière nous, je ne me plaindrai plus jamais de voir les rues bondées, et je serai amoureuse de chaque personne que je croiserai.

canal1_5ead3ee96f50d.jpg© Studio Canal

Etes-vous inquiète quant à l'avenir de la culture en France ?

L’après confinement va être très compliqué pour tous les secteurs, y compris la culture. Je m'estime très chanceuse car j’ai pu finir «Radioactive» et assurer sa promotion. Mais imaginez toutes ces personnes dont le film n’est pas achevé à cause de l’épidémie. Les tournages ont été arrêtés, les assurances ne rembourseront certainement pas. Au théâtre, des équipes entières ont travaillé pendant des mois pour monter des pièces qui ont tout simplement été annulées, et ne seront sans doute pas reprogrammées. Et les intermittents qui ne peuvent pas faire leurs heures, auront-ils quand même droit à leurs indemnités ? Dans les discours actuels du gouvernement, il n’y pas un mot concernant la culture, comme si cela était simplement utile à briller en société. Si on imagine justement la société comme un bâtiment, nous ne sommes pas les briques. Certes. Mais nous sommes le ciment qui lie les briques les unes aux autres. Et si vous enlevez la culture à une société, il ne reste plus rien. Il y a aussi cette idée préconçue que ce milieu baigne dans le fric. Ce n’est pas le cas. Je ne pense pas que tous les comédiens, par exemple, soient des multimillionnaires.

Vous réjouissez-vous de la sortie anticipée de «Radioactive» en VOD ?

Je ne suis pas fan de VOD, je n’en regarde jamais. Mais je suis contente que le film puisse connaître une seconde vie et être vu par le public en cette période de confinement. Il existe, c'est le principal.

Si on imagine la société comme un bâtiment, les artistes ne sont pas les briques. Ils sont le ciment qui les lie les unes aux autres.

Aimeriez-vous que ce film soit reprogrammé dans les salles de cinéma quand celles-ci pourront rouvrir ?

Ce serait tout simplement merveilleux. Je ne fais pas des films pour moi, mais pour les autres. Et la salle de cinéma reste un endroit magique. Il faut rassurer les exploitants même si l’avenir est incertain. Les gens qui regardent des films en VOD continueront à le faire. Mais les personnes comme moi qui aiment l’atmosphère des cinémas retourneront dans les salles. Je peux attendre religieusement pendant six mois avant d’aller voir un film sur grand écran. La France est un pays très cinéphile où il y a un nombre incroyable de salles de projection.

Avant de vous lancer sur ce projet auquel vous avez consacré trois ans de votre vie, quel rapport entreteniez-vous avec Marie Curie ?

Pendant toute mon enfance, ma mère, qui était très exigeante, m’a répétée que je devais ressembler à deux femmes : Marie Curie et Simone de Beauvoir. Je ne suis pas devenue scientifique, ni philosophe, mais une femme indépendante. La cause n’était pas totalement perdue. J’ai donc grandi avec le mythe de Marie Curie. Et comme elle, j’ai fui un pays (L’Iran, ndlr) pour m’installer en France où je me suis sentie libre.

En quoi cette grande figure de la science vous a-t-elle séduite?

Marie Curie était une femme exemplaire et ultra moderne pour son époque. Elle disait ce qu’elle pensait. Une féministe avant l’heure. Ce n’était la muse de personne, ni la douce Marie qui restait à la maison. Si l’on veut décrocher deux prix Nobel, ce n’est pas en faisant la choucroute tous les jours que l’on y parvient. En parcourant son journal intime et ses correspondances, j’ai découvert une combattante qui a tout de même mis le feu à son laboratoire à trois ou quatre reprises, et qui avait donc des failles. Quand mon agent américain m’a contactée pour réaliser un biopic, l’idée ne me plaisait guère. Je trouvais cela désuet. Je voulais présenter un être humain avec ses défauts. J’ai donc imaginé un film où l’histoire personnelle de Marie Curie et l’impact de ses travaux sur la radioactivité s’entremêlent. Visuellement, cela me laissait par ailleurs un grand champ d’exploration.

radioactive_format_vod_2000x3000_5eac3eada57b6_1_5ead3f52843dd.jpg© Studio Canal

Comme elle, défendez-vous une certaine idée du féminisme ?

J’aime le féminisme factuel. Je n’aime pas trop brandir le bras. Je suis parfois confrontée à des personnes qui me parlent de choses techniques comme si je ne pouvais pas comprendre parce que je suis une femme. C’est 5 000 ans de civilisation patriarcale que l’on ne peut pas effacer en un coup de balai. Etre militante, c’est une chose. Agir, c’est encore mieux et cela reste la plus belle des réponses face à ceux qui nous dénigrent. Si être féministe, c’est d’être l’égale de l’homme, alors je le suis. Mais je ne partage pas la vision nord-américaine qui est de démolir la tête des hommes. Je trouve cela horrible de penser que tous les hommes sont des prédateurs sexuels et toutes les femmes, des victimes. C’est beaucoup plus subtil que ça. On peut être différents et égaux. Parfois, je suis en colère et on me dit que je suis émotive. Ça, c’est machiste. Il faut tracer sa route et ne pas se préoccuper de ce que pensent les autres. En 2018, des actrices hollywoodiennes ont décidé de s’habiller en noir aux Golden Globes en signe de protestation. Mais ce n’est pas de porter du noir qui changera les choses. Tu peux t’habiller en fuchsia, en rose ou même être nue. Le problème, c’est de continuer à poser en faisant des yeux de biche. On peut plaire à quelqu’un que l’on aime, mais il ne faut pas développer ce côté sexué. Une femme s’habille comme elle veut et montre ce qu’elle veut. C’est surtout la manière dont on vous regarde qui est importante. Il faut se tenir droite, prouver que l’on a un cerveau et ne pas jouer avec notre physique. Il faut arrêter de dire aux petites filles qu’elles doivent avant tout être belles, et valoriser d’autres qualités comme la loyauté ou la gentillesse.

Selon vous, qu’aurait pensé Marie Curie de la crise sanitaire que nous traversons actuellement ?

Elle nous aurait aidés à réfléchir. Aujourd’hui, on envisage de glisser une puce GPS dans nos téléphones portables qui permettrait de lutter contre l’épidémie. Mais toutes ces données personnelles que nous pourrions fournir pourraient aussi à terme être vendues. L’histoire nous a démontrés que toute découverte entraîne de bonnes et de mauvaises choses si l’on en fait pas bon usage. Mais en France, cela donne lieu à un débat démocratique, contrairement à la Chine ou à l’Iran où tout peut être utilisé contre nous pour nous condamner. Notre liberté est intrinsèquement liée à notre santé mentale et physique.

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