Marc Levy : «les lanceurs d’alerte constituent la nouvelle Résistance»

Par , Mis à jour le Publié le

Ce 29 septembre, Marc Levy publie «C'est arrivé la nuit» aux éditions Robert Laffont/Versilio. Rencontre avec un écrivain qui a changé de «genre».

L'histoire : dans «C'est arrivé la nuit», Marc Levy plonge dans l'existence d'un groupe de lanceurs d'alerte. S'ils ne se connaissent pas physiquement ou peu, ils oeuvrent clandestinement sans autre motivation que l'éradication du mal. Que cela soit pour contrer la montée d'un parti d'extrême droite ou pour empêcher de sombres alliances au sein de l'industrie pharmaceutique, ils prennent tous les risques. Le chronomètre tourne vite, tout comme les 398 pages de ce premier volume aux allures d'un épisode de Mission Impossible.

Vous changez radicalement de genre avec ce nouveau roman.

J’ai souvent pris des virages dans ma carrière. Ce n'est pas la première fois que je change de genre. J’avais amorcé ce virage là avec «Si cétait à refaire» avec l’histoire d’un grand reporter qui s’attaquait à la corruption politique. Ce roman est né d’un faisceau d’envies et de besoin, celui de parler de la grande criminalité en col blanc et des attaques systémiques à la démocratie qui sont faites avec les outils de manipulation d’aujourd’hui, à savoir les réseaux sociaux.

J’avais envie de parler de la façon dont la criminalité en col blanc aujourd’hui œuvrait sous couvert de manipulation des mouvances populistes et, au final, de la société en général avec un projet purement économique, celui de s’approprier les pays pour en démanteler les richesses et se les partager.

Vous dénoncez cette criminalité à travers les actions d'un groupe de hackers...

Raconter la vie de ces lanceurs d'alerte forme mon second moteur. Ces Robin des bois des temps modernes, bien que très ancrés dans le concret, sont extrêmement romanesques. Cela m’intriguait de comprendre ce qui motivait ces gens de tous âges à vivre une partie de leur vie dans la clandestinité, à prendre tous ces risques, je voulais d'abord les mettre à l’honneur ainsi que le combat qu’ils mènent.

Ces Robin des bois des temps modernes sont extrêmement romanesques.

Ensuite, j’avais envie de faire partie de cette bande et partager ce combat avec eux, en racontant leur histoire. Aujourd'hui, les lanceurs d’alerte constituent une nouvelle Résistance. Et paradoxalement, un lanceur d’alerte risque beaucoup plus que les criminels qu’il dénonce.

Comment vous êtes-vous documenté ? Avez-vous rencontré des lanceurs d’alerte ?

C’est un travail de longue haleine. Cela demande du temps pour gagner la confiance de ces gens. Une fois que la confiance est acquise, il faut ensuite respecter ce pacte de confiance. Je ne peux donc pas vous dévoiler qui j'ai rencontré et comment. Ce qui est passionnant, c’est que ce ne sont pas des super-héros. Ils ont, comme dans le roman, un quotidien souvent très « banal ».

La construction du roman est très cinématographique, entre chapitres très découpés, cliffhangers et courses poursuite à la manière d’un épisode de «Mission impossible». Avez-vous eu des références en tête au moment de l’écriture ?

Non. Il fallait inventer une vraie technique d’écriture car dans la plupart des romans, l’écriture est portée par un ou deux personnages. Là, le fil rouge de l’histoire est soutenu par neuf personnages. Il me paraissait important que chacun de ces personnages avance dans sa propre histoire, que chaque trajectoire fasse avancer le roman pour assembler les différentes pièces du puzzle. Contrairement au cinéma qui dévoile immédiatement chaque visage, le travail du romancier consiste à provoquer des images avec des mots.

Vous abordez les dangers du Net et de la surveillance généralisée. Est-ce une manière aussi d’informer vos contemporains ?

Au travers d’une fiction, je voulais ouvrir les yeux sur les conséquences de cet espionnage. Beaucoup de gens acceptent cet espionnage car ils pensent que nous sommes uniquement la cible de la publicité. A partir du moment où vous prenez conscience que vous êtes espionnés non pas uniquement pour de la publicité ciblée mais pour vous manipuler, vous endoctriner et vous diviser, vous devenez plus vigilant, ne serait-ce que sur la nature de l’information.

Parvenez-vous à cette hygiène de vie «anti-espionnage numérique» ?

Oui. Notre pouvoir de consommateur est le seul pouvoir qu’il nous reste. Google changera ses méthodes à partir du moment où les gens quitteront Google.

Google changera ses méthodes à partir du moment où les gens quitteront Google.

L’industrie du tabac a par exemple dépensé des centaines de millions pour mieux cacher la vérité mais un jour cette dernière a fini par éclater, et beaucoup se sont détournés de la cigarette. Aujourd’hui, la manipulation existe à d'autres niveaux. Des gens dépensent des milliards pour créer le doute quant au réchauffement climatique, par exemple.

Au vu de ce qui se passe aux États-Unis, où vous habitez, ressentez-vous une urgence à vous engager politiquement ?

Je pense que l’entourage de Trump est encore plus criminel que lui. Sans ces criminels en cols blancs, Trump n’aurait pas cette puissance. Il a été porté au pouvoir par ces gens pour qu’il serve leurs intérêts. J’ai assisté ces quatre dernières années à la déconstruction de la démocratie américaine, à une vitesse qui m’a stupéfié et terrorisé en même temps.

Avez-vous écrit ce roman pendant le confinement ? Car les personnages voyagent aux quatre coins de la planète, à se demander si vous n'aviez pas des envies de voyage...

J’ai continué à écrire pendant le confinement : le tome 1 mais aussi le tome 2 de cette histoire. D’ailleurs, dans le deuxième volume, on voyage encore plus. Je vous avoue qu'imaginer les halls d’embarquement et les gares bondées restait très jubilatoire. Dans le fond, cela a été possible car j’enquête toujours sur le terrain avant d’écrire. Il est nécessaire de s'imprégner d'un décor - qui me semble aussi important que les personnages - pour mieux en restituer l’atmosphère.

Peut-on s'attendre à un triptyque ?

Je ne peux rien vous dire encore. Le deuxième tome est prévu prochainement. Et je n’ai pas encore envie de quitter ces personnages.

C'est arrivé la nuit, de Marc Levy, éd. Robert Laffont, Versilio, 21,90€

Retrouvez toute l'actualité des livres ICI
Ailleurs sur le web