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Marc Levy : «il faut avoir le courage d’une bonne quantité d’utopie pour que l’humanité progresse»

L'auteur à succès va publier la suite de sa série jeunesse «Le Petit Voleur d'ombre».[© Joël SAGET / AFP]

Habitant de New York depuis plusieurs années, Marc Levy a accepté de confier son ressenti sur le confinement, la situation Outre-Atlantique, et ses aspirations pour l'avenir.

Comment allez-vous ?

Le quotidien d’un écrivain est forcément moins difficile que celui d'un infirmier, d'une aide-soignante et plus généralement de tous ceux obligés d'être exposés au virus en première ligne. Donc pas de quoi se plaindre. Et puis par mon métier, je suis habitué à être seul dans un bureau, sans collègue. En même temps, cela ne change rien à mon ressenti. Pour moi, le bonheur, c’est les autres : l'éloignement des autres est une perte de bonheur et de l’essentiel. Je suis très perméable au sort du monde et à ce qui se passe autour de moi. Difficile d’avoir une imagination débridée quand les gens meurent autour de vous, quand la souffrance devient encore plus perceptible que d’ordinaire et que le fossé des inégalités s’accroit de manière insoutenable. Mais à part ça, je vais bien !

A New York, êtes-vous confinés, comme on a pu l'être en France ?

Il n’y a pas eu d’obligation légale de rester chez soi. La violence du facteur de contamination à New York était telle que personne n’avait envie de sortir. L'obligation de fermeture a néanmoins concerné certains commerces comme les restaurants et les bars.

Cette ville habituellement si bruyante a plongé dans un silence frappant, déchiré uniquement par les sirènes des ambulances qui 24/24 h traversent la ville pour aller chercher malades et morts. Ça a créé un climat mortifère et anxiogène dans la ville, dans certains quartiers plus que d'autres d'ailleurs.

Votre quartier a-t-il été fortement touché ?

Dans mon quartier, on en est à 280 morts. Quand j’avais 18 ans, j'ai travaillé dans une unité de désincarcération routière à la Croix Rouge. Cela me fait repenser à la mort que j'ai cotoyée alors de près. C'est un peu pareil là : quand on vous annonce qu' il y a eu 20 000 morts à New York, ça ne veut rien dire mais quand vous voyez passer les camions frigorifiques de la morgue avec des morts dedans, tout prend une autre dimension. Dans un petit quartier comme le mien où tous les gens se connaissent, le nombre de 280 morts me prend à la gorge.

Cette ville habituellement si bruyante a plongé dans un silence frappant

Une certaine solidarité s'est-elle installée ?

Tous les soirs, on applaudit ici aussi nos soignants. Dans mon quartier, il y a une chaîne solidaire pour les personnes âgées, on leur fait leurs courses et les commerçants du quartier ont mis en place des horaires spécifiques pour elles. Une association de quartier s’est mise en place très rapidement pour récupérer les animaux domestiques des personnes hospitalisées. Beaucoup de restaurateurs sont sur la paille ici, et ont continué à faire tourner leur cuisine pour apporter de l’aide aux plus démunis.

Peut-on dire que le gouvernement américain laisse une plus grande liberté aux gens qu'en France ?

Ce n’est pas une question de liberté mais une question d’argent. La liberté est un faux prétexte démagogique. Chez les conservateurs, la réalité est que l’économie prime sur l’humain. Très tôt des ultra-conservateurs ont osé dire que s’il fallait sacrifier les personnes âgées pour sauver l’économie, il fallait le faire. Je ne parodie pas ! Derrière tout cela, il y a une logique politique qui est celle de conserver le pouvoir. Depuis toujours, les républicains ont toujours tout fait pour garder le pouvoir à tout prix. Les mouvances d’extrême droite sont, elles, très proactives pour faire croire que le virus est un complot et qu’il faut tout faire pour relancer l’économie à tout prix.

D'ailleurs, Donald Trump ne porte pas de masque… Cela est-il bien accepté par les New-Yorkais ?

Je n’aurais pas l’outrecuidance de parler à la place des américains nombreux et aux opinions différentes. Mais pour tous ceux qui ont Donald Trump en horreur, son comportement est conforme à tout ce que l’on peut imaginer de cet homme : son cynisme, son égocentrisme, son appétit de pouvoir et surtout son absence totale d’empathie. A aucun moment, le président américain, alors que 80 000 personnes sont déjà mortes du virus dans le pays, n’a montré de signe d’empathie à l’égard des victimes et de leurs familles. La seule chose qui l’intéresse, c’est parler de lui.

Pour un écrivain, une situation telle que celle que nous vivons, est-elle paralysante ou une source d’inspiration ?

On ne peut pas vivre au milieu du monde sans être bouleversé et retourner ensuite tranquillement à sa table de travail. Vous ne pouvez pas entendre une ambulance passer sous vos fenêtres en vous demandant où placer la virgule. Cette omniprésence visuelle et sonore de la maladie et de la mort fait qu'il est très difficile de penser à autre chose. Il y a quand même une réalité qui s’impose et qui prime. Donc, non, ce n’est pas une super bonne période de création.

Est-ce que ça nourrit l’imaginaire ? Seul l’avenir le dira. Comme la vie a plus d’imagination que tous les auteurs réunis, il y a des situations ubuesques qui pourraient venir nourrir des pages. Mais je pense que cela arrivera une fois qu’on aura gagné en apaisement.

J’ai plutôt pris de plein fouet, le fait d’être séparé des autres et notamment l’idée que je risquais de ne plus revoir ma mère avant qu’elle ne parte. Cette situation ne fait bien sûr pas de nous des victimes mais ça ne rend pas l’esprit léger : ça a renforcé des convictions que je portais en moi depuis longtemps. J’ai toujours fait partie des gens qui doutaient. Mais ce que nous venons de vivre m’a apporté un paquet de réponse sur l’humain et la politique, sur des absurdités qui ne peuvent pas durer.

L’absurdité de nos sociétés ?

Je parle de l’absurdité des écarts sociaux. Il faut se demander si en politique, il n’y a pas un grand changement de braquet à faire pour que l’économie soit au service de la société et pas l'inverse. Depuis que je suis né, c’est le modèle qui prime et cela profite à un tout petit nombre, au détriment désormais même de notre démocratie. Mais c’est un autre et vaste débat.

J’ai un profond amour pour les utopistes

Est-ce que vous pensez que l’on peut apprendre de nos erreurs ?

Dans notre société aujourd’hui, il y a ceux qui ont toujours critiqué pour critiquer et la vie est trop courte pour s'y attarder. Il faut avoir le courage d’une bonne quantité d’utopie pour que l’humanité progresse. Je ne suis pas un pessimiste, et surtout pas de ceux qui pensent qu’avant c’était mieux. Quand on regarde les chiffres de la grippe espagnole et ceux de la pandémie actuelle… C’est un drame mais c’est beaucoup mieux aujourd’hui ! On est à 300 000 morts alors qu’ils étaient à 50 millions avec une population 5 fois inférieure. J’ai un profond amour pour les utopistes. On pourrait changer pas mal de choses, peut-être même en temps que consommateurs.

Qu’est-ce que vous changeriez en premier ?

Depuis mes années Croix Rouge, je peux voir à quel point notre démocratie ne valorise pas ou de manière absurde, le rôle de certains métiers. Pourquoi dans un pays intelligent et cultivé, il y a un tel désequilibre entre le service rendu à la société d'un individu et sa rémunération ? Pourquoi un trader gagne bien mieux sa vie qu'une infirmière ?

J'aimerais remettre au premier rang de notre société le rôle de l’enseignant et de la santé. Je crois énormément à la transmission et à l’enseignement, car plus un pays est bien éduqué, plus il progresse. Le métier d’enseignant devrait être un rêve et non un sacerdoce. Le fait qu’on soit une démocratie intelligente et que les enseignants soient mal payés, les écoles sous-équipées, est une des grandes aberrations de nos sociétés modernes. Comment peut-on prétendre être une nation civilisée quand on néglige autant notre éducation ? Il a fallu que les écoles soient fermées pour qu’on se rendent compte à quel point il y avait un déficit de moyens d’apprendre chez une grande partie de la population. Mettons les ministères dans des endroits moins luxueux car on n’a pas besoin des ors de la République, faisons des responsabilités politiques des fonctions publiques et pas des métiers.

Comme Daniel Pennac, vous êtes un ancien cancre...

Je le suis resté, ça ne s’efface pas ! Mais je ne garde aucune rancœur et même une admiration pour la plupart de mes enseignants. J’ai l’impression que je dois beaucoup à 3-4 d’entre eux. Je me souviens en particulier de madame Henry, prof d'Histoire-Géo. Le premier cours du lundi matin, elle tirait les rideaux, s’installait au milieu de nous et racontait l’Egypte : on y était. Même avec 39 de fièvre, je n'aurais pour rien au monde raté ce cours. Alors qu'en bon vieux cancre, j'étais installé au fond de la classe, ma prof de Français de 4e, madame Delvaux, m’a demandé de lire «Le cancre» de Prévert. Ça a été un choc littéraire pour moi : par ce poème, je suis rentré dans les livres. C’est pour ça que je suis convaincu que tout commence par l’éducation.

Pendant cette crise, on a bien sûr beaucoup parlé des héros du quotidien, que sont les soignants. Les enseignants sont, eux, les héros du quotidien hors-crise. D'ailleurs en tant que parents, on a compris à quel point ils sont héroïques avec leurs trente élèves tous les jours ! Chapeau bas. Ce sont mes héros.

 

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Avec Fred Bernard, Marc Levy publie le 11 juin prochain les tomes 3 et 4 du Petit Voleur d'ombres aux éditions Robert Laffont, la série jeunesse à succès (à partir de 8 ans) d'après l'un des best-sellers de Marc Levy, Le Voleur d'ombres.

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