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Démocrate, capitaliste, antisystème... De quel bord politique sont les personnages de Game of Thrones ?

© capture HBO Cersei Lannister est l'un des personnages les plus despotiques de la série. [HBO]

Les derniers chapitres de Game of Thrones vont se recentrer sur l’intrigue purement politique qui a fait le succès de la série : la bataille pour l’accession au trône, avec au centre du jeu les stratégies de pouvoir des différentes familles.

L'occasion de faire le point sur les idéologies philosophico-politiques qui traversent chacune d'entre elles, dans un contexte de guerres de succession, d'alliances militaires, de conspirations de conseillers et de corbeaux diplomatiques.

Les démocrates

Toujours à la recherche du compromis, respectueuse de l'Etat de droit, jusqu'au moment où elle décide de ne plus se laisser marcher sur les bottes, la famille Stark incarne celle des démocrates. A commencer par le patriarche, Ned Stark, le plus moral et le plus légaliste des personnages, faisant tout son possible pour céder le trône au véritable héritier de Robert Baratheon (le vrai, pas le fruit de l'inceste), comme le veut la coutume à Westeros. En tant que Main du roi, il veut mettre fin à la corruption de la Couronne, parle de «déshonneur» à tout bout de champ, et prévient la reine Cersei, pour la sauver, qu'il sait que ses enfants ne sont pas du roi, relève le Monde. Ned est le héros dit vertueux, un peu bourru mais intrinsèquement bon, celui qui pense que la fin ne doit jamais justifier les moyens. Il n'a probablement pas lu «Le Prince» de Machiavel.

«Les Stark, c’est le camp libéral, celui qui incarne les valeurs de la politique au sens intérêt général. La mort de Ned Stark, c’est la mort des idéaux démocrates», explique la journaliste Ava Cahen, auteure de «Game of Thrones décodé» (éd. du Rocher, 2019). Jusqu'à sa décapitation, qui a traumatisé les spectateurs, Ned Stark s'imagine que, le droit étant de son côté, il ne pourrait lui arriver malheur. C'est sans compter sur les mensonges des Lannister et les trahisons de sa garde et de ses conseillers. Finalement, sa déontologie morale n'a d'égale que sa naïveté politique. On peut faire le même reproche à son fils Robb qui, devenu roi du Nord pour prendre la relève de papa et rétablir le droit, mais trahi par ses soi-disant alliés les Frey en plein mariage, n'a rien vu venir d'autre que les carreaux des arbalètes. Manque de discernement politique fatal.

Toujours bien vivant, lui, Jon Snow – le bâtard de Ned qui n'est finalement pas son fils – est lui aussi un bon représentant du camp libéral-démocrate. Tourmenté de crises existentielles et aimable avec les opprimés comme Sam, il veut réunir les Sauvageons (une allusion aux réfugiés et aux migrants ?) et tout Westeros pour combattre le seul véritable ennemi, les Marcheurs blancs, allégorie du réchauffement climatique. Avant d'accepter de perdre sa couronne pour seconder Daenerys et monter un dragon. «Il est traversé de dilemmes moraux, et finit par incarner le collectif contre l’intérêt individuel», selon Ava Cahen. A croire son choix risqué de mettre fin aux souffrances du roi des Sauvageons sur un bûcher, il serait aussi contre la peine de mort à tendance sadique – un gage de tolérance dans ce monde moyenâgeux ? 

Les absolutistes

Passés maîtres dans l'art du mensonge, calculateurs et conspirateurs de génie, tueurs sans scrupules, les Lannister sont les personnages les plus absolutistes, les plus despotiques du show. Il n'y a qu'à voir la cruauté du king Joffrey, le rejeton numéro 1 de Cersei et Jaime. «Immensément riches, ce sont les capitalistes par excellence : ils n’agissent que pour la sauvegarde de leur pouvoir et la puissance de leur famille sans jamais penser aux conséquences. L'avènement de la famille Lannister fait penser à celui de Donald Trump», estime l’historien médiéviste William Blanc, co-auteur de «Game of Thrones. Série noire» (éd. Les Prairies ordinaires, 2015).

«Un lion ne se soucie pas des moutons», dit un jour Cersei au faîte de sa puissance. Inceste, tentative de meurtre, trahison de l'intérêt du royaume, crimes de guerre... Le chemin de la reine, femme de pouvoir et de complot, est jonché de honte et de victimes, la première d'entre elles étant le roi Robert Baratheon. Prête à tout contre ses ennemis, Cersei finit par utiliser le feu grégeois pour décimer tous les Moineaux et Margaery Tyrell, poussant son fils au suicide. Une réaction un peu à chaud.

Absolutiste, la reine Cersei l'est aussi dans sa décision de ne pas aider Jon Snow à combattre l'armée des morts, faisant le choix de l'égoïsme plutôt que du collectif. «Les Marcheurs, c'est à la fois l’obscurantisme, la fin des Lumières, le chaos total, et en même temps, c’est l’hiver éternel, le froid, le vide. Ils sont une allégorie du dérèglement climatique, qui 'arrive', mais aussi de l’inaction des puissants, aveugles et sourds à la menace», rappelle Ava Cahen. «Cersei me fait donc beaucoup penser à Trump : les deux sont climato-sceptiques, ne croient pas au danger et ne font rien pour l’empêcher.»

Jaime Lannister, moins intransigeant que sa sœur, est quant à lui le prototype du salaud devenu juste. Il est surtout radical dans l'amour passionnel qu'il porte à sa sœur. «Jamie Lannister commence par être un personnage amoral, suprémaciste, capable de tuer un enfant [Bran] pour protéger sa famille, mais qui devient finalement très humain, très moral. Il a un héritage certes, mais il a un côté électron libre, ce qui fait qu’il rejoint l'ennemi. Il a une certaine grandeur d’âme», selon Ava Cahen. 

Les antisystèmes

Si tous les personnages ont un grain contestataire, la reine Daenerys est la rebelle par définition. «Elle libère les esclaves de leurs chaînes – d'où une forte dimension sociale – et prône aussi bien le partage des richesses que l’égalité des valeurs. Avec le projet de renverser les Lannister, elle veut passer du féodalisme au socialisme. Elle a finalement quelque chose de Marx ou de Trotski en elle», relève Ava Cahen. Sans compter que ses dragons sont, eux, carrément hors du système existant à l'époque.

Bien que d'un héritage libéral démocrate, Jon Snow a aussi un bon côté antisystème. Le Targaryen dit d'abord ciao aux jeux de pouvoir pour aller bronzer sur le Mur, abandonnant sa Maison et ses proches pour s'habiller en noir ad vitam eternam. Il part ensuite s'acoquiner avec les sauvageons et finit par les inviter derrière le Mur, brisant là des siècles de tradition, avant de rejoindre la dissidente en chef, tante Daenerys (l'inceste faisant d'eux des antisystèmes particulièrement hors catégorie). «Jon Snow, c'est le lanceur d’alerte. C’est lui qui alerte les puissants sur la menace, lui qui risque tout pour l’intérêt général, pour l’humanité. Il partage d’ailleurs quatre lettres de son nom avec Edward Snowden [qui a révélé les détails de la surveillance de masse opérée par les agences américaines]», note Ava Cahen.

«Au début de la série, le pouvoir politique est défaillant. Et la jeune génération – que ce soit Daenerys, Jon Snow, Arya Stark ou Yara Greyjoy – veut réenchanter l’action politique et imposer un pouvoir qui sera, lui, plus juste et efficace», abonde William Blanc.

La petite Arya devenue grande, qui sauve la mise en tuant le Roi de la nuit, pourrait bien être le bras armé des antisystèmes. Partie toute seule sur les routes déguisée en garçon, elle se découvre un talent d'assassin lors de sa formation chez les Sans-Visage, avant de revenir parmi les siens, métamorphosée comme jamais. Et puis, dès lors qu'on se travestit derrière un masque, tel un Black Bloc de Braavos, c'est bien qu'on a quitté les rives du système depuis un bail.

Les nihilistes

Génie du mal parti de rien, calculateur froid, murmurant à l'oreille des puissants pour mieux les contrôler, Littlefinger est probablement le personnage avec le moins de convictions morales de la série – à l'exclusion peut-être d'Hodor, qui ne sait pas trop ce qu'il fait là. Usant de tous ses charmes, il n'agit que dans son propre intérêt (s'asseoir un jour sur le trône) et manipule à tour de bras pour parvenir à ses fins. Il ne croit en rien si ce n'est sa bonne étoile et la mauvaise des autres.

Dans un genre moins maléfique, Tyrion Lannister est également empreint de nihilisme. Ivrogne habitué des bordels, le joyeux nain de la famille Lannister «n'en a rien à faire, de tout et de tout le monde, ne croit plus en grand chose et encore moins aux dieux, et préfère boire à la fin du monde», selon William Blanc. En tout cas au début, avant de se découvrir un grand talent pour la politique et l'art de la guerre. Le nihiliste d'alors finit par croire en quelque chose ou plutôt quelqu'un : Daenerys (et ses dragons).

LES FONDAMENTALISTES

A l'inverse, les fondamentalistes croient un peu trop. En leurs dieux, en leur foi, en leur maître, peu importe, ils y croient dur comme acier Valyrien. Il y a d'abord Mélisandre, qui n'hésite pas à faire appel au «seul et unique dieu»pour enflammer des épées ou ressusciter Jon Snow. Elle parle souvent par énigmes et ne cligne jamais des yeux.

Plus terre-à-terre, vivant parmi les miséreux de Port-Réal, la secte des Moineaux, qui veut assainir la société à grand renfort de purges, fait également parti des intégristes de la série. «Les Moineaux, c’est la tentation du fanatisme religieux. Cela fait écho à Daesh, avec la chasse aux homosexuels ou aux femmes libertines», relève Ava Cahen.

Côté fondamentalistes, on peut aussi citer Bran Stark, devenu Corneille à trois yeux et donc plus ou moins omniscient, ce qui n'est quand même pas rien quand on parle de divin.

Les écologistes radicaux

Tous les Marcheurs blancs sans exception. Ils sont là pour nous rappeler, à grands coups de glaives de glace et d'armée de morts-vivants, qu'on ne joue pas impunément avec le climat.

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