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Gilbert Rozon acquitté : la plaignante va se battre pour faire changer le système judiciaire

Annick Charette estime être «un autre exemple des limites du système de justice en matière de violence sexuelle» [Andrej Ivanov / AFP]

Trois ans après le début de la procédure au Canada, l’ancien producteur et animateur de télévision Gilbert Rozon a été, « au bénéfice du doute », acquitté ce mardi 15 décembre des accusations de viol et d’attentat à la pudeur qui pesaient sur lui. A l’annonce du verdict, son accusatrice Annick Charrette a déclaré qu’il s’agissait d’« un jour sombre pour toutes les victimes », et promis de mener un combat pour « faire changer le système judiciaire ».

Ouvert le 13 octobre dernier, le procès de Gilbert Rozon n’a, selon la juge Mélanie Hébert de la Cour du Québec, pas permis de prouver la culpabilité de Gilbert Rozon « en dehors de tout doute raisonnable ». Pour justifier son verdict, la juge a expliqué qu’elle avait plus tendance à croire la version de la plaignante que celle de Gilbert Rozon, mais qu’un doute a subsisté dans son esprit et que c’est ce doute raisonnable qui lui a imposé de rendre un verdict de non-culpabilité.

« Le verdict d’acquittement ne signifie pas que les faits reprochés ne se sont pas produits », écrit la juge dans son jugement. Mais « l'analyse du témoignage de monsieur Rozon révèle qu'il est plausible et qu'il est exempt de contradictions susceptibles d'en affecter la crédibilité ou la fiabilité », a conclu la juge, en précisant : « un acquittement ne veut pas dire que le tribunal ne croit pas la victime. Cela signifie que le directeur des poursuites criminelles et pénales ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé ».

« Je pense que je suis un autre exemple des limites du système de justice en matière de violence sexuelle », a déclaré la plaignante Annick Charrette, qui a décidé de révéler son identité à l’issue du procès. « Je déplore profondément que les mythes et les stéréotypes d’une autre époque qui ont largement étayé les arguments de la défense aient pu trouver écho auprès de la Cour. C’est un message bien négatif qu’envoie la justice aux victimes. Un autre de mes constats est que le système judiciaire actuel ne met pas les victimes de crimes à caractère sexuel au centre des procédures. L’encouragement et le vent de changement que l’on sent dans notre société ne se traduit malheureusement pas dans le parcours d’une victime ou dans le système judiciaire. Le système établit des attentes élevées au chapitre de la performance de la victime, à travers le processus et lors de son témoignage. Il est indéniablement nécessaire que les victimes soient mieux accompagnées et informées et ce, même avant de faire une première déclaration à la police. Les ressources humaines et financières manquent aux organismes de terrain pour faire un travail capital d’accompagnement avec les victimes », a-t-elle ajouté.

La gorge serrée par l’émotion, elle a ensuite envoyé un message à l’attention de toutes les victimes de crimes de nature sexuelle : « n’ayez pas honte. La culpabilité que vous ressentez ne vous appartient pas. Malgré la déception d’aujourd’hui, je vous invite à dénoncer, parce qu’ainsi les choses pourraient changer ». 

deux versions contradictoires de faits remontant à 40 ans

Selon Gilbert Rozon, Annick Charette se serait « fait l’amour (…) à califourchon » sur lui. C’est ainsi qu’elle l’aurait réveillé après une nuit passée dans une maison de Montréal en 1980, lors de laquelle ils auraient dormi dans deux chambres différentes. La version de la plaignante, qui avait 19 ans au moment des faits, est bien différente : c’est lui qui l’aurait réveillée en étant sur elle alors qu’elle avait refusé ses avances la veille au soir. Non consentante, elle dit avoir finalement cédé pour « pouvoir passer à autre chose ». Elle souligne que Gilbert Rozon a eu trois ans pour étudier avec ses avocats la version des faits qu'elle avait présentée, alors qu'elle-même a appris celle de l'accusé en pleine cour. « Cinq minutes avant la fin de mon témoignage, l'avocate m'a posé la question : ‘Et moi, si je vous disais que vous avez agressé M. Rozon ?’ J’étais déconcertée, étonnée, ça n’avait aucun sens pour moi. Ça n’avait aucun sens. En fait, ma première réaction, ça a été de sourire parce que je trouvais ça farfelu».

Dans un entretien pour le quotidien La Presse, Annick Charrette dit ne pas regretter d’avoir porté plainte, et espérer que le système judiciaire sera révisé en profondeur afin que les victimes de crimes sexuels soient davantage crues. Annick Charette avoue s'être sentie impuissante pendant le procès : « impuissante face à des règles de droit, des procédures, des procédés qui répondent au code de la justice, mais qui ne répondent pas nécessairement à l’équité, à la justice intrinsèque ». « On ne doit pas baisser les bras. Parce que le droit ne précède jamais la société, c’est la société qui change le droit. Si notre société juge que ceci n’est pas équitable ou n’est pas valable, c’est la société qui doit se mettre en œuvre pour changer ça », a-t-elle martelé.

Le fait d’avoir porté plainte a été bénéfique dit-elle. « Chaque fois que j’y pensais, j’avais honte. Je me disais : ‘J’aurais dû me débattre, je n’aurais pas dû rester là, c’est ma faute.’ C’est ma faute’, C’est fou. C’est un fardeau que tu portes à l’intérieur de toi, dit-elle, comparant la violence subie à une cicatrice intérieure. Parfois, tu t’accroches les doigts dedans et tu te dis : ‘Ah oui, ça fait encore mal.’ (...) Maintenant, je n’ai plus peur d’y toucher. C’est correct. Cette cicatrice-là, je peux la montrer à tout le monde maintenant. Elle n’est plus à l’intérieur, elle est à l’extérieur. Si vous vous sentez comme ça, moi, je vais vous tendre la main et je vais vous aider, car on ne mérite pas ça. On mérite un monde sans harcèlement et sans violence, poursuit-elle, disant prendre la parole pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Ce ne sont pas que les femmes qui sont concernées par ça, dit-elle. « Ce sera mon combat personnel : que les victimes d’agressions puissent trouver un écho dans le système judiciaire, mais un écho dans d’autres systèmes aussi parce qu’il n’y a pas juste le système judiciaire pour venir à bout de ça ». 

Si seule la plainte d’une femme avait été retenue par la justice, Gilbert Rozon avait en octobre 2017 été accusé par plusieurs femmes d’agression sexuelle, ce qui l’avait poussé à quitter ses fonctions de producteur de Juste pour Rire et de juré dans l’émission La France a un incroyable talent.

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