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COP15 : «La crise de la biodiversité est aussi importante que celle du climat», défend Maud Lelièvre, présidente du Comité Français de l’UICN

La présidente du comité français de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), Maud Lelièvre, a présenté à CNEWS les attentes et enjeux autour de la COP15. [UICN]

La 15e Conférence des Nations unies sur la biodiversité, dite COP 15, s’est ouverte ce mercredi 7 décembre à Montréal (Canada), après plus de deux ans d'attente. Un retard qui a tempéré les espoirs d'un grand nombre de participants alors que les enjeux sont grands pour endiguer la crise, comme l'explique à CNEWS la présidente du comité français l'UICN, Maud Lelièvre.

C'est le sommet de la décennie pour la biodiversité. Alors que vient de s'ouvrir la COP15, ce mercredi 7 décembre à Montréal, plus de 190 Etats devront adopter un nouveau cadre mondial décennal pour façonner les prochaines actions sur la biodiversité et enrayer son érosion.

A cette occasion, la présidente du comité français de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN) et membre de la délégation française, Maud Lelièvre a présenté à CNEWS les attentes et enjeux autour de rendez-vous international.

Comment expliquez-vous que cette COP15 soit beaucoup moins médiatisée que sa consoeur la COP Climat qui vient de s'achever à Charm el-Cheikh ? 

M. L. : Effectivement, les gens ne parlent que de la COP Climat, qui est aujourd'hui la plus connue, mais il faut savoir qu'il y a eu quatre COP en cette fin d'année. Derrière la protection de la planète, il y a beaucoup d'échanges internationaux pour essayer d'avancer. Nous avons eu en plus de la COP27 pour le Climat,  la COP Ramsar sur les zones humides qui a eu lieu à Genève, puis la COP Cites - encore moins connue - qui est celle sur le commerce et le transport des espèces protégées et qui vient de s'achever au Panama. 

Concernant la médiatisation, cela s'explique très certainement pour des raisons de mobilisation citoyenne car depuis la COP de Copenhague (2009, ndlr), beaucoup d'ONGs ont investi le champ médiatique dans les pays du Nord et qui ont été suivies dans les pays du Sud. Cet engagement a alors mis la lumière sur ces COP climat et la nécessité de s'engager. Mais il est évident qu'il est aujourd'hui plus facile de comprendre ce qu'est le réchauffement climatique que la perte de biodiversité. Et, enfin, il est aussi plus compliqué de trouver des solutions car les causes sont multifactorielles comme l'agriculture industrielle, la surpêche, le braconnage, l'artificialisation des sols et bien-sûr le réchauffement climatique.

Pourtant la biodiversité semble extrêmement liée au climat ? 

M. L. : Ça ne sert à rien de maintenir une planète à +1,5 °C, s'il n'y a plus de vivant sur Terre. Il ne faut pas opposer la biodiversité et le climat, car ce sont deux aspects d'une crise environnementale extrêmement grave. La crise de la biodiversité est aussi importante que celle du climat. Et pendant longtemps, nous avons privilégié la lutte contre le réchauffement climatique en prenant de mauvaises décisions pour la biodiversité alors que les solutions doivent être communes. C'est ce qu'a montré le dernier rapport du GIEC en juin dernier, écrit conjointement avec les experts de l'IPBES (plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques).

Après plus de deux ans d'attente, la COP15 a enfin ouvert ses portes aujourd'hui. Qu'en attendez-vous ? 

M. L. : Pour l'UICN, nous avons des objectifs que nous souhaitons voir aboutir dans ce prochain cadre mondial. Nous souhaitons que les Etats redoublent d'efforts pour trouver des solutions concrètes pour l'après 2020. Pour ce faire, il y a cinq points clé à travers lesquels nous mesurerons la réussite de cette COP. Le premier serait qu'il faut un monde neutre en carbone et positif pour la nature d'ici à 2050. C'est une ambition élevée mais conjointe entre la biodiversité et le climat. Ensuite, il faut que le cadre présente au final des objectifs ciblés et chiffrés. Troisièmement, nous voulons un reporting et une évaluation régulière des stratégies nationales de la biodiversité et des indicateurs que nous mettrons en place.

Autre point clé des débats, il faut un financement non seulement des politiques de biodiversité, mais surtout la réduction des subventions néfastes pour la nature, qui sont de 700 milliards de dollars par an (environ 666 milliards d'euros, ndlr). Car tant que nous continuerons à financer des politiques qui vont à l'encontre de la biodiversité, ça ne fonctionnera pas. Et le dernier point, qui a été le succès des COP climat et qui doit l'être également pour les COP biodiversité, il faut derrière l'accord-cadre une déclinaison en stratégie nationale, et peut-être européenne en ce qui nous concerne.

Pensez-vous, comme peuvent l'avancer certains diplomates et experts, que cette COP15 sera à l'image de la COP21 et de l'Accord de Paris, une avancée majeure pour le climat ? 

M. L. : Du moins, nous en avons envie. Pour qu'une COP réussisse, il y a deux facteurs. Il faut une prise de conscience internationale, et nous l'avons. Mais ce qu'il nous manque aujourd'hui, c'est le deuxième facteur clé : un leader diplomatique comme la France l'a été lors de la COP21. Malheureusement, cette conférence a été la victime de la pandémie de Covid-19. C'est d'ailleurs paradoxal puisque c'est une zoonose qui l'a tué en partie. Mais à cela s'ajoute le fait qu'aucun chef d'Etat ne fera le déplacement, ils seront simplement représentés par leur ministre. Et tous ces facteurs ne nous donnent pas un bon ton, mais nous ne sommes jamais à l'abri d'une bonne nouvelle, notamment sur le poids que certains pays vont mettre dans les négociations.

Alors qu'un nouveau cadre mondial sera pris à l'issue de cette COP15, quel bilan tirez-vous du précédent, pris en 2010 à Aichi au Japon ? 

M. L. : Le bilan reste positif de façon générale pour la biodiversité car preuve en est qu'aujourd'hui nous parlons de plus en plus de biodiversité. Ce n'était pas le cas en 2010. Et parmi les vingt objectifs pris il y a douze ans, six ont été atteints partiellement. Les parties s'étaient entendues pour réduire de moitié la perte d'habitats naturels, y compris les forêts. L'objectif n'est clairement pas atteint. Toutefois, lorsque nous regardons l'objectif sur la sauvegarde de 17 % des zones terrestres et de 10 % des zones marines, nous avons là réellement progressé. D'ailleurs, nous passons aujourd'hui à l'objectif 30/30, à savoir 30 % des aires protégées marines et terrestres, à l'horizon 2030. Donc, nous pensons que c'est plutôt sous cet angle une réussite. Après, cela ne va effectivement pas assez vite. Toutefois, il faut noter qu'à l'échelle nationale il y a des progrès concernant la préservation de la biodiversité. 

Vous évoquez les stratégies nationales, la France fait-elle partie des pays exemplaires quant à la préservation de la biodiversité ?

M. L. : Sur la préservation des habitats terrestres et marins, le pays a atteint son objectif, car nous avons en France une politique de préservation des territoires qui est assez ancienne. En quarante ans, nous avons développé une palette de lois sur l'environnement et sa protection qui sont efficaces, contrairement à d'autres pays où il est totalement possible de déforester et d'appliquer une agriculture intensive sans contrôle.

Toutefois, nous pourrions mieux faire, notamment au sujet des espèces protégées. La France est aujourd'hui la plaque tournante pour l'Europe du trafic d'espèces protégées qui arrivent à l'état de viande de brousse. Chaque semaine, une tonne d'entre elle arrive à l'aéroport Charles-de-Gaulle pour être consommée, et ce, parce que les contrôles sont insuffisants. Donc, nous ne sommes pas exemplaires en tout et il faudra de toute évidence que la France adopte une stratégie nationale pour la biodiversité ambitieuse tout mettant des moyens à disposition pour y parvenir.

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