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Robert Badinter : Je me suis juré de combattre cette justice qui tuait »

En 1972, Robert Badinter s'est juré de combattre "cette justice qui tuait aussi longtemps qu’elle existerait, en France et ailleurs"[CC/Abode of Chaos]

Depuis 1972, Robert Badinter mène une lutte acharnée contre la peine de mort. Après la loi historique du 30 septembre 1981, Robert Badinter a déplacé son combat dans le reste du monde.

 

Archives – Article publié le mardi 3 octobre 2006

 

Au fil de articles, des essais et des discours qu’il rassemble, il poursuit l’espoir de voir un jour la peine de mort disparaître complètement. En 2006, dans Contre la peine de mort, il écrivait : « «Le jour viendra où il n’y aura plus, sur la surface de cette terre, de condamné à mort au nom de la justice. Je ne verrai pas ce jour-là. Mais ma conviction est absolue: la peine de mort est vouée à disparaître de ce monde plus tôt que les sceptiques, les nostalgiques ou les amateurs de supplices le pensent ».

 

Les écrivains ont été à l’origine du combat contre la peine de mort. La force de l’éloquence a aussi joué. Les mots ont-ils permis de tout changer ?

Robert Badinter : La littérature a joué en amont. J’ai toujours été convaincu qu’un grand nombre d’accusés avaient échappé à la peine de mort grâce à Victor Hugo. Pendant des générations, les sensibilités ont été forgées par cet auteur dans l’école républicaine. Or, la suppression de la peine de mort fut un des grands combats de sa vie. Je suis sûr que beaucoup de jurés n’ont pas voté la mort parce qu’ils avaient lu Hugo.

 

Vidéo : Discours de Robert Badinter pour l’abolition de la peine de mort le 17 septembre 1981 

 

 

Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps l’abolition de la peine de mort en France, alors que les thèses abolitionnistes ne sont pas nouvelles ?

R. B. : Il y a eu une première abolition de la peine de mort en France en 1794, à dater du jour de la paix générale. Un texte fut voté le dernier jour de la Convention nationale. Mais au moment de la paix générale d’Amiens en 1802, Bonaparte est au pouvoir. Il n’est plus question d’abolition. Ensuite, pour comprendre pourquoi cela a été aussi long, il suffit de prendre l’histoire : l’épuration qui succède à la libération, puis la décolonisation. […]

Mon histoire commence en 1972. J’ai défendu un homme, Roger Bontems, complice de Claude Buffet dans une prise d’otages sanglante, à Clervaux. Nous avons prouvé que Bontems ne pouvait pas avoir tué les deux otages. Les jurés l’ont néanmoins condamné à mort comme complice de Buffet. J’ai donc accompagné à la guillotine un homme qui n’avait jamais versé de sang. En sortant de la Santé, je me suis juré que je combattrais cette justice qui tuait aussi longtemps qu’elle existerait, en France et ailleurs.

 

Qu’est-ce qui compte le plus, les mots ou la manière dont on les dit ?

R. B. : En cour d’assises, il fallait que les jurés sentent que ce que vous disiez sortait du plus profond de vous-même. Jamais je n’utilisais de notes. Jamais il ne fallait quitter les jurés du regard, sinon tout était perdu. Si je ne convainquais pas, je savais que je retrouverais celui qui était assis derrière moi pendant le procès dans la cellule des condamnés à mort et que je l’accompagnerais à la guillotine.

 

Vidéo : La peine de mort, circonstances pour une abolition

 

 

Votre livre Contre la peine de mort démontre que ce débat n’est pas terminé. C’est aux Etats-Unis que se trouve le dernier levier qui permettrait de rendre l’abolition universelle ?

R. B. : Pas uniquement. Il y a d’abord la Chine et les Etats islamistes intégristes. L’Iran et l’Arabie Saoudite, puis les Etats-Unis. En termes quantitatifs, c’est moins important. En termes symboliques, ils sont la seule démocratie occidentale à recourir à la peine de mort, alors qu’ils représentent la première puissance du monde ainsi qu’un modèle culturel.

 

Peut-on demander s’il n’est pas plus cruel et terrible pour l’être humain d’être condamné à perpétuité plutôt qu’à la peine de mort ?

R. B. : Il ne s’agit pas de comparer la cruauté des supplices. Le problème de l’humanisation de la condition pénitentiaire est permanent. Celui de la peine de mort est différent. Celle-ci est, par nature, contraire à l’idée même de justice que nous avons, au premier des droits de l’homme qui est le droit à la vie, dont le respect s’impose d’abord dans une démocratie. C’est la base de notre civilisation. Vous avez avec l’abolition de la peine de mort, à la fois une dimension symbolique et une dimension affective, qui ne se rencontrent pas dans la question de la détermination du meilleur système carcéral humain possible.

 

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