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D'ex-interprètes afghans de l'Otan rêvent de France

Un réfugié afghan le 31 mars 2009 dans les locaux de MSF à Paris [Joel Saget / AFP/Archives] Un réfugié afghan le 31 mars 2009 dans les locaux de MSF à Paris [Joel Saget / AFP/Archives]

C'est une réunion de trois "vétérans" de l'armée française en Afghanistan qui n'a rien de joyeuse. Des ex-interprètes afghans qui se disent "menacés" et rêvent de France mais se sentent abandonnés par Paris comme par leur gouvernement, opposé à leur émigration.

A un an et demi du retrait quasi total des forces internationales du pays, Suleyman, maigre sous ses jeans difformes, dit vouloir "partir en France" car il est "considéré comme un traître même par (ses) proches".

Cet étudiant en économie raconte qu'il avait 19 ans quand, en 2008, il a été embauché par les Français. Il travaillera trois ans pour eux, d'abord à Kaboul puis dans le Wardak, au sud de la capitale, où les talibans sont très actifs.

Son collègue Daoud, 28 ans, a lui été basé pendant près de deux ans avec les Français dans l'instable province de Kapisa, au nord-est.

Plusieurs pays de l'Otan se sont dits prêts à accueillir chez eux des Afghans qui ont servi d'interprètes pour leurs soldats et seraient de ce fait menacés dans leur pays.

Daoud, qui vit aujourd'hui chez ses parents à Kaboul, où il travaille comme architecte dans une société afghane de BTP, dit avoir déposé une demande de visa auprès de la France. Mais elle "n'a pas grand chance d'aboutir", dit-il.

Fin avril, le président afghan Hamid Karzaï a en effet marqué son opposition à cette émigration en minimisant les menaces contre les interprètes, bien que plusieurs d'entre eux aient été assassinés ces dernières années.

Au ministère afghan des Affaires étrangères, on ne cache pas avoir "fait savoir de façon très claire cette position aux pays engagés en Afghanistan" alors que certains d'entre eux comme le Canada et les Etats-Unis ont mis en place un programme de visas pour leurs employés afghans. Les interprètes, en tant que "professionnels qualifiés", "doivent rester en Afghanistan en cette période cruciale de transition", assure Janan Mosazaï, porte-parole du ministère.

Le Royaume Uni juge de son côté au cas par cas les dossiers des interprètes afghans. Mais ils sont moins favorisés sur ce point que les Irakiens, ce qui a amené trois Afghans à lancer début mai à Londres une action en justice contre des procédures d'immigration jugées "discriminatoires".

Selon un rapport parlementaire français de février 2012, quelque 800 Afghans ont travaillé pour les forces françaises, dont une majorité d'interprètes. Sur ce nombre, 70 Afghans "faisant l'objet d'une menace immédiate, avérée et urgente" devaient être accueillis en France avec leurs familles, soit 166 personnes au total. Combien ont rejoint la France? L'ambassade de France à Kaboul s'est refusée à communiquer sur le dossier.

Ahmad ne comprend pas les critères de sélection français. "J'ai travaillé six ans avec les forces françaises dans la vallée de Tagab (en Kapisa, ndlr), un endroit très dangereux, mais la France a refusé fin avril ma demande de visa".

A 30 ans, ce diplômé en technologie de l'information est sans emploi depuis sa "démobilisation" de l'armée française il y a six mois. "J'essaie d'être recruté par les forces américaines, mais comme les troupes sont sur le départ, c'est difficile".

Quant au gouvernement afghan, "il dit que nous sommes importants pour l'avenir de ce pays mais il ne fait rien pour nous trouver un emploi", dit cet homme marié sans enfant. "La vérité c'est qu'il nous considère comme des espions potentiels, sinon pourquoi ne nous embauche-t-il pas aux ministères de la Défense ou de l'Intérieur?"

Il dit avoir reçu des menaces par téléphone. "On m'accuse d'être un infidèle, un traître, mais si je comprends bien on doit essayer de me tuer pour que mon dossier soit accepté par la France".

Les risques, ils les connaissaient avant d'être embauchés. "Mais qui aurait cru qu'après onze ans de présence internationale la situation serait aussi mauvaise? Moi je pensais me faire un peu d'argent puis reprendre ma vie dans un Afghanistan pacifié", explique Daoud qui touchait entre 650 et 900 euros par mois selon son affectation, bien au-delà du salaire moyen afghan de 140 euros.

Mais si c'était à refaire, tous le referaient car, lance Suleyman, "il n'y a pas d'emplois dans ce pays ou sinon des emplois de misère".

(ndlr: les interprètes ont demandé que leurs noms soient changés pour des raisons de sécurité)

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