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Quand des SDF sourds retrouvent le plaisir d'entendre

Une salle de classe pour enfants sourds utilisant le langage des signes, le 3 septembre 2013 à Ramonville. [Remy Gabalda / AFP/Archives] Une salle de classe pour enfants sourds utilisant le langage des signes, le 3 septembre 2013 à Ramonville. [Remy Gabalda / AFP/Archives]

Elle porte la main à son oreille, sourit, puis s'effondre en larmes : "Je suis contente", souffle-t-elle. Après cinq ans sans appareil auditif, Ana, une femme sourde sans abri, vient tout d'un coup de réentendre avec l'aide de l'association Audition solidarité.

Ana est sourde profonde de naissance: petite et fluette, elle communique essentiellement par langage des signes. Logée dans un centre d'hébergement d'Emmaüs Solidarité, cette femme de 43 ans a déjà été appareillée, mais s'est fait voler l'appareil "il y a cinq ans" dans son sac, mime-t-elle.

Sans logement, sans ressource et sans mutuelle, impossible d'entendre à nouveau. "Un appareil comme ça, c'est entre 2.000 et 3.000 euros, mais ici c'est entièrement gratuit", souligne Géraldine Echinard, audioprothésiste bénévole.

Sur la place de la Bourse au cœur de Paris, dans le bus de l'association les Enfants du Canal, qui vient en aide aux plus précaires, des bénévoles d'Audition Solidarité ont pris leurs quartiers pour deux jours, le temps d'une opération humanitaire à destination des SDF.

Des audioprothésistes, des ORL et des orthophonistes les accueillent et diagnostiquent leur problème d'audition. Si certains n'ont qu'un bouchon de cerumen, d'autres doivent passer les tests audiométriques et être appareillés dans la foulée.

"Le rouge, c'est pour l'oreille droite, le bleu pour la gauche", explique l'un des bénévoles, pour qu'Ana ne mélange pas ses prothèses auditives, qui viennent d'être faites sur mesure.

- "C'est bien ?"

- "Super", répond-elle, pouce en l'air.

- Handicap insidieux -

"Normalement, après avoir pris l'empreinte de l'oreille pour fabriquer l'embout (partie qui rentre dans l'oreille), on l'envoie à un prothésiste", qui en fabrique une version en silicone, explique Christine Bourger, présidente de l'association. "Ici on n'a pas le temps", car les personnes repartent directement avec leur appareil. Alors les embouts sont limés sur place dans la pâte servant à faire les empreintes, avant d'être trempés dans un vernis pour les durcir. Ils peuvent durer un an, légèrement moins qu'en silicone.

"Nerveuse" en arrivant, Ana est repartie en remerciant chaleureusement toute l'équipe. Elle a détaché sa queue de cheval, laissant ses boucles brunes recouvrir ses oreilles.

"Même si elle est sourde profonde, un tel appareil permet d'entendre l'environnement. Ca peut éviter un accident quand on traverse une rue", souligne Mme Bourger.

Audition Solidarité, qui intervient notamment à l’étranger auprès d'enfants sourds défavorisés, avait mené une opération similaire en octobre, qui lui avait permis de venir en aide à 31 SDF.

Les appareils auditifs proviennent pour partie du recyclage, car l'association récupère et remet en état, via ses quelque 160 audioprothésistes bénévoles, les appareils des particuliers; d'autres sont fournis par quelques mécènes fabricants, qui donnent le reste de leur stock quand ils changent de gamme de produits.

"La surdité est un handicap qui ne se voit pas, mais il est insidieux, car les personnes touchées se retirent encore plus de la société", souligne Carole Ercole, co-directrice de l'association. "On est les seuls à proposer ça aux sans-abri", insiste-t-elle. "On a des moments magiques, raconte-t-elle. Ce matin, un homme malentendant est arrivé avec son neveu, qui lui criait dessus pour se faire entendre de lui. Après avoir été appareillé, il disait à son neveu : +Vas-y, parle moi, mais pas si fort+. Et le jeune a répondu: +Mais j'ai pas l'habitude de lui parler sans crier+".

Mourad Sayar est venu seul. Il n'entend "pas bien" depuis qu'il a été opéré à la tête à la suite d'une agression, il y a un an. "Quand il y a trop de bruit, ça me dérange, j'entends rien", explique le jeune sans-abri. Lui aussi repart avec un double appareillage, des piles de rechange, et le sourire aux lèvres.

"A la rue, la santé passe au second plan, explique Clément Etienne, responsable de l'Abribus pour les Enfants du Canal. Les personnes ont d'autres priorités. Et beaucoup de pathologies, comme celles liées à la surdité, sont très répandues."

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