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Du 18e siècle à Taubira : ces "Marseillaise" polémiques

Janvier 1980 : Serge Gainsbourg entonne la marseillaise dans une salle de concert de Strasbourg, face à des anciens combattants ulcérés par son interprétation reggae de l'hymne national : "Aux armes, et caetera". [AFP]

Qu'on refuse de la chanter ou qu'on la déforme, la Marseillaise est source de querelles nationales régulières. En conservant le silence samedi lors des cérémonies de commémoration de l'abolition de l'esclavage, Christiane Taubira n'a pas manqué de les raviver.

 

En n'entonnant pas l'hymne national samedi lors de la commémoration de la fin de l'esclavage à Paris, puis en le comparant à un "karaoké d'estrade", la Garde des Sceaux se retrouve à nouveau au centre de la controverse. L'opposition, du Front National à l'UMP, n'a pas manqué de s'engouffrer dedans pour réclamer la démission de Christiane Taubira.

Sa sortie, pourtant, n'est que le dernier épisode d'une longue querelle nationale, entamée dès le XVIIIe siècle. En 1793, les armées vendéennes avait détourné l'hymne pour en faire une "Marseillaise des Blancs" aux intonations catholiques et monarchistes. Mais cette "contre-Marseillaise", retrouvée sur le cadavre d'un combattant vendéen, n'a guère eu le temps d'être diffusée, la révolte étant rapidement noyée dans le sang par les "colonnes infernales" de la République.

 

D'un siècle à l'autre

Sous Louis-Philippe, les ardeurs guerrières du "Chant de guerre de l'armée du Rhin", composé par Rouget de L'Isle indisposait les intellectuels allemands, comme le poète Becker. Ce à quoi le poète Alphonse de Lamartine avait répondu par une "Marseillaise de la Paix", pour chanter les vertus du Rhin, trait d'union entre deux peuples.

Depuis, les controverses liées à la Marseillaise ont perdu en panache et en souffle historique. Néanmoins, elles continuent de diviser régulièrement les Français plus de deux siècles après sa composition. Ainsi, on peut citer le scandale créé par la Marseillaise antimilitariste de Léo Ferré dans laquelle le chanteur libertaire compare l'hymne à une prostituée de bas étage : "Arrête un peu tes cuivres / Que je puisse finir ma chanson / Le temps que je baise / Ma Marseillaise".

 

Une charge violente comparée au léger coup de griffe esquissé par le pourtant très libre Georges Brassens dans La Mauvaise Herbe en 1954 : "Quand le jour de gloire est arrivé / Comme tous les autres étaient crevés / Moi seul connus le déshonneur / De n'pas être mort au champ d'honneur".

 

L'interprétation reggae de la Marseillaise par Serge Gainsbourg dans "Aux armes, et caetera" (1979), est l'archétype de ces disputes franco-françaises régulières. L'artiste refusait de voir dans cette chanson une charge directe contre l'hymne mais réclamait le droit à la liberté d'interprétation. C'est d'ailleurs la version officielle qu'il interprêtera en janvier 1980 devant des anciens combattants venus perturber son concert à Strasbourg.

 

Signe des temps, depuis le début du XXe siècle, ce sont surtout le football et le rap qui sont devenus pourvoyeurs de polémiques. La plus célèbre n'a pas été déclenchée par une personnalité, mais par les supporters algériens huant la Marseillaise lors du match France-Algérie de 2001 au Stade de France. L'année suivante, elle est à nouveau sifflée lors du match Lorient-Bastia en finale de la coupe de France, ce qui avait amené le président Chirac à quitter les tribunes du stade.

 

En 2003, en réaction à ces deux incidents, une loi introduit un délit d'outrage au drapeau et à l'hymne national dans le Code Pénal. L'article 433-5-1 dispose désormais que "Le fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d'amende".

 

Benzema, Anelka, Booba... Taubira ?

Depuis, des débats naissent régulièrement à l'occasion des bouches obstinément fermées qu'arborent certaines stars du foot lorsque résonnent les accords de la Marseillaise. Nicolas Anelka avait ainsi expliqué en 2010 qu'il aurait quitté les Bleus s'il avait été obligé de la chanter. Plus récemment, Karim Benzema avait expliqué à son tour en mars 2013 pourquoi il refusait de chanter l'hymne.

Dans leur cause, les footballeurs sont souvent rejoints par les rappeurs, à commencer par Booba, interviewé dans Les Inrockuptibles avec Anelka, qui expliquait que le "sang impur" évoqué dans la Marseillaise, c'est "le (s)ien, du sang d'Algérie, du sang d'Afrique". On peut également cité le rappeur Kennedy, qui s'en prend à l'hymne dans son titre "Nique sa mère" : "Nique les paroles racistes de la Marseille", s'y insurge t-il avant de conspuer pêle-même et entre autres le "Trésor Public", le "SMIC", le "FISC" et les "pédés qui s'galochent en public".

On est bien loin de la tourmente révolutionnaire et de Lamartine. Mais la dernière polémique déclenchée par Christiane Taubira devrait activer les ressorts d'une polémique inextinguible, aux formes variant au cours des années.

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