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"Cabu, Wolin... J'aimais ces deux hommes", par Philippe Labro

Philippe Labro, écrivain, cinéaste et journaliste. [THOMAS VOLAIRE]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

 

MERCREDI 7 JANVIER

Une date qui va s’inscrire dans l’histoire du pays. En quelques minutes, en ce début d’année que l’on pouvait espérer positive, le séisme du terrorisme a frappé. Il n’est pas aisé de trouver les mots justes pour décrire le choc provoqué par l’attaque terroriste – tous ces morts – contre Charlie Hebdo.

J’avais, ce matin, entre les mains, le beau et nouveau livre de Laurent Gaudé, Danser les ombres, qui se situe pendant le tremblement de terre d’Haïti. En page 128, quand l’auteur commence à raconter les premières secondes du tremblement, il écrit : «Les hommes regardent sans comprendre. Que se passe-t-il ? Les bouches s’ouvrent grandes, les yeux aussi. Ils suspendent leur phrase, leur main, leurs pensées.»

D’une certaine manière, c’est le sentiment qui s’est emparé de chacun d’entre nous. La sidération, l’émotion, la surprise, l’indignation. La presse ayant été prise pour cible, nous nous sommes vite, entre confrères, appelés, concertés. L’un d’entre eux me dit : «Serait-ce notre 11-Septembre ?» Peut-être, car on serait en droit de juger que tout, au fond, tout ou presque, a démarré le 11 septembre 2001 lors de l’attaque contre les tours du World Trade Center.

Le XXIe siècle a commencé véritablement ce jour-là, avec son enchaînement, lourd, multiple, terrible, de conflits, confrontations, exacerbations, menaces extrêmes, attentats de toutes sortes dans tous pays (Angleterre, Espagne, Inde, etc.) comme si, malgré, de façon parallèle, la marche du progrès (l’ère du numérique, les avancées scientifiques, entre autres) devait être accompagnée d’une autre marche, à rebours, celle de l’horreur et de la barbarie.

Nous vivons dans une démocratie, soyons-en conscients, et reconnaissants. Nous nous battons tous pour la liberté de la presse. La réaction unanime, des personnalités religieuses et politiques, la façon dont, devant un tel acte, avec sérieux, professionnalisme et sang-froid, la force publique réagit, signifient, bien sûr, que les Français de toutes classes sociales, toutes origines et toutes confessions, ne céderont jamais à la loi des tueurs.

 On pense à la phrase de Winston Churchill : «Qui croient-ils donc que nous sommes ?» Il n’empêche : la fusillade dans les locaux de Charlie Hebdo aura fait que, ce matin-là, tout s’est effacé, les événements rituels et attendus, tout, pendant un temps, aura pris une autre dimension. Mais il ne faut céder ni à la peur, ni à la panique, ni à la paranoïa.

En revanche, qu’on me permette d’exprimer ma tristesse, puisque j’ai connu Wolinski et Cabu. A plusieurs moments de ma vie de journaliste, ils ont contribué à illustrer certains de mes articles. J’aimais ces deux hommes. Tout le monde les aimait, en vérité. «Wolin», comme on l’appelait, était affable, dépourvu de toute agressivité, avec un sourire irrésistible, et comme une sorte de tendresse dans le regard et la voix.

Cabu semblait encore plus fragile, plus gamin, encore plus léger, avec ses lunettes et ses cheveux fous. Tous deux étaient des artistes. Ils étaient, comme leurs copains de «Charlie», eux aussi assassinés, aimés et respectés, justement parce qu’ils n’étaient pas «respectables», mais libres. Drôles. Intelligents. Humains. Courageux.

Ils ont été exécutés – c’est le terme précis. Alors, je pense à Maryse, la femme de Georges, et à ses enfants. Comment ne pas leur dire, comme à toutes les autres victimes, à tous les parents et proches des journalistes et des policiers : «Nous sommes avec vous.» La France entière le leur dit, et même le monde. «Soumission» ? Non. Liberté, oui !

 

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