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Réforme constitutionnelle, tous perdants, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani.[Alexis Reau / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

L'abandon, par le président de la République, du projet de réforme constitutionnelle consécutif aux attentats du 13 novembre est une mauvaise nouvelle pour le pays. Au-delà de la défaite politique infligée au chef de l'Etat, il faudra compter avec des conséquences de longue portée. Au départ, il y a eu la volonté du président, unanimement saluée sur le moment, d'organiser pour nous-même et vis-à-vis du reste du monde une manifestation concrète de l'unité du pays dans l'adversité. Une traduction juridique en quelque sorte du «Rassemblons-nous, rassemblez-vous !» qu'il avait lancé au lendemain des attaques de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher. Le sujet était tout sauf anodin : il s'agissait de créer et d'inscrire dans la Constitution un «état de crise» qui donne à l'exécutif, à la police et à la justice, mais aussi au Parlement, les moyens juridiques de faire face aux attaques terroristes et d'être convenablement contrôlés par les députés et les sénateurs.

Lors des rencontres qui ont eu lieu à l'Elysée, la veille de la réunion du Congrès à Versailles, les responsables de l'opposition (notamment le président des Républicains Nicolas Sarkozy et le président du Sénat Gérard Larcher) ont demandé d'ajouter à cette réforme l'inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité ; idée longtemps prônée par Nicolas Sarkozy et dénoncée par la gauche. François Hollande a pourtant intégré celle-ci dans son discours, car elle était la garantie d'un vote d'union nationale.

Très vite, une partie de la gauche s'est emparée de cette concession faite à la droite et a mené campagne. Amendée (la déchéance n'était plus limitée aux binationaux), l'ensemble de la réforme a été voté à une large majorité (gauche et droite) à l'Assemblée nationale. Mais le texte des députés a été refusé par la majorité (de droite) du Sénat. S'agissant d'une réforme constitutionnelle, le texte doit avoir été voté dans les mêmes termes par l'Assemblée et le Sénat, avant d'être soumis au Congrès : il s'inscrit alors dans la Constitution s'il est voté à une majorité des 3 / 5.

La part de la petite politique est celle-ci : au Sénat, la majorité n'est pas sarkozyste ; beaucoup de sénateurs Les Républicains, se réclament de François Fillon, lequel avait récusé l'idée même de la réforme constitutionnelle. Ses partisans ont donc fait la démonstration de la perte d'influence de Nicolas Sarkozy. La victime principale est certes François Hollande et il ne déplaît sans doute pas à Nicolas Sarkozy de voir que son successeur échoue à faire modifier la Constitution, alors que lui-même y avait réussi, malgré l'opposition de la gauche. Mais l'ancien président ne peu pas ne pas savoir qu'il était, lui aussi, la cible de cette opération. 

Cet échec de François Hollande et de Nicolas Sarkozy est dommageable. En premier lieu parce qu'il fait la démonstration que, même sur un sujet essentiel, même après 130 morts et 413 blessés, nos représentants n'ont surmonté ni leurs différences, ni leurs petits calculs. En second lieu, parce que l'insécurité initiale ne sera pas corrigée. Puisque l'état de crise n'existera pas, qui aurait été assorti d'un plus grand contrôle parlementaire et de meilleures garanties pour les libertés. Il restera - jusqu'à quand ? - l'état d'urgence, très imparfait ; et si les choses s'aggravent, l'état de siège (c'est-à-dire le pouvoir aux militaires) et l'article 16 (c'est-à-dire le pouvoir au seul président de la République). Quant à la déchéance de nationalité, elle restera applicable dans les conditions actuelles. Elle ne sera ni encadrée, ni restreinte par la Constitution, comme cela avait été prévu. Il y a donc dans cette affaire de nombreux perdants.

 

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