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1914-1918, une guerre totale

Des femmes emballent du pain pour les troupes au front pendant la guerre de 14-18 [ / Historial de Péronne/AFP/Archives] Des femmes emballent du pain pour les troupes au front pendant la guerre de 14-18 [ / Historial de Péronne/AFP/Archives]

Soldats et civils, hommes, femmes, enfants, syndicalistes, artistes, scientifiques, les clivages politiques oubliés au profit de l'"union sacrée", des économies militarisées: le premier conflit mondial a mobilisé les nations européennes et leurs peuples dans ce que certains ont appelé une "guerre totale", sans précédent dans l'Histoire.

"Rien ne viendra briser devant l'ennemi l'union sacrée des Français", s'exclame le 4 août 1914 le président français Raymond Poincaré. "Je ne connais plus de partis, je ne connais que des Allemands", lance pour sa part Guillaume II, tandis qu'en Grande-Bretagne, l'heure est à la "party truce" (la trêve des partis).

En France, cette ferveur nationale est particulièrement forte au début de la guerre, et même des pacifistes comme les socialistes Marcel Sembat et Jules Guesde, rejoignent le gouvernement.

Photo non datée de Raymond Poincaré, président français de 1913 à 1920 [ / AFP/Archives]
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Photo non datée de Raymond Poincaré, président français de 1913 à 1920
 

Dans tous les pays, les budgets de guerre sont votés sans difficulté et les rares voix pacifistes sont inaudibles, du moins jusqu'en 1917, lorsque l'usure d'une guerre qui s'éternise et l'exemple de la révolution russe viendront alimenter partout grèves et parfois mutineries, et fissurer les unions sacrées.

C'est que tous les belligérants, France et Allemagne en tête, ont mobilisé toutes leurs forces dans l'effort de guerre.

 

- Tout pour l'armement -

 

Les économies sont entièrement tendues pour répondre aux besoins des armées, une adaptation qui s'accompagne d'un renforcement considérable du rôle de l'Etat et parfois, comme dans les empires centraux, d'une mainmise militaire directe sur les ressources disponibles.

Une affiche de 1917 aux Etats-Unis incitant à un effort de solidarité avec  femmes françaises pendant la Première guerre mondiale [ / Archives nationales américaines/AFP]
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Une affiche de 1917 aux Etats-Unis incitant à un effort de solidarité avec femmes françaises pendant la Première guerre mondiale
 

Tout doit être fait pour assurer la production d'armements et de munitions. Pour l'historien français Jean-Yves Le Naour, 14-18 a été la "première guerre industrielle". L'Etat, écrit-il, "prend en main la production en distribuant les commandes et les importations, en contrôlant les marges des entreprises et la commercialisation des biens de consommation courante". La mobilisation de l'économie entraîne sa rationalisation et le "taylorisme", le travail à la chaîne, prend son essor dans les usines.

En Allemagne, la militarisation de l'économie est encore plus forte. "L'ensemble du peuple allemand ne doit vivre qu'au service de la patrie", tranche le maréchal Hindenburg qui lance en 1916 un programme de "réquisition totale" de la main-d'oeuvre possible.

La France est à l'époque encore un pays essentiellement agricole et le conflit éclate au plus fort des moissons. Les hommes partent pour le front et les femmes prennent la relève, assurant désormais seules les travaux des champs.

 

- Les femmes en première ligne -

 

La femme doit remplacer "sur le champ du travail ceux qui sont sur les champs de bataille". Et le pays a besoin d'elles aussi dans l'industrie, dans les administrations, les écoles. Apparaît ainsi bientôt l'image de la "munitionnette", préposée à la fabrication des obus et moins bien payée que les hommes. Cette féminisation de la main-d'oeuvre frappe les esprits et certains s'inquiètent déjà de ces femmes aux cheveux courts, portant pantalon et cigarette aux lèvres, redoutant leur émancipation. "J'ai quitté un agneau et j'ai retrouvé une lionne", confie un poilu après la guerre.

Une affiche de l'Historial de Péronne montrant des femmes britanniques regardant partir des soldats au front pendant la Première guerre mondiale [ / Historial de Péronne/AFP/Archives]
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Une affiche de l'Historial de Péronne montrant des femmes britanniques regardant partir des soldats au front pendant la Première guerre mondiale
 

La mobilisation patriotique n'épargne pas les enfants dont les "exercices scolaires, relate l'historien français André Loez, visent à fairer rédiger des éloges aux soldats ou à calculer la production des obus". Les sujets de composition française peuvent être "le drapeau blessé" ou "lettre à un soldat du front", indique Jean-Yves Le Naour.

La propagande et la censure militaire sont omniprésentes. Le commandement allemand entreprend de raffermir l'"instruction patriotique" des troupes. Les Alliés tentent de leur côté de séduire les différentes nationalités de l'empire d'Autriche-Hongrie.

Dans tous les pays, une iconographie prolifique (affiches, caricatures, cartes postales,...) rappelle constamment à la population la vaillance de ses soldats et les atrocités de l'ennemi, et le devoir de participer à l'effort de guerre.

 

- Les intellectuels mobilisés -

 

Ceux qui s'insurgent contre cette mobilisation des esprits sont bien rares. Un rien iconoclaste dans le climat de communion patriotique qui enflamme toute la presse, le journal satirique français Le Canard enchaîné, fondé en 1915, propose de désigner "le grand chef de la tribu des bourreurs de crâne".

Mais même les syndicalistes, intellectuels ou scientifiques n'échappent pas à la fièvre nationale qui balaye l'Europe.

Le philosophe français Henri Bergson présente la guerre comme une lutte "de la civilisation contre la barbarie". 93 intellectuels allemands répliquent un peu plus tard pour défendre la position de leur pays dans un appel au "monde civilisé".

Chimistes, physiciens, biologistes, médecins mettent leurs compétences au service de leur pays pour élaborer de nouvelles armes ou les moyens de s'en protéger.

Du côté syndical, la lutte des classes s'efface partout devant à l'effort de guerre, au moins au début du conflit. "Ce fut en tant que citoyens-soldats et non en tant que producteurs que les ouvriers participèrent à la guerre", écrit l'historien irlandais John Horne.

En France, la CGT, pourtant antimilitariste et pacifiste, se rallie immédiatement à l'"union sacrée". Son secrétaire général Léon Jouhaux, rappelle John Horne, associe la "classe ouvrière" aux "soldats de l'an II" et appelle à combattre les "empereurs d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie, hobereaux de Prusse et grands seigneurs autrichiens qui par haine de la démocratie ont voulu la guerre".

Les catholiques français, au nom de la défense de la Patrie, serrent les rangs derrière la République "athée", qu'ils vouaient pourtant jusqu'alors aux gémonies. En Allemagne, le ralliement de la religion à la cause nationale est le même et les soldats portent la devise "Gott mit uns" (Dieu avec nous) sur leurs ceinturons.

Le Vatican a bien tenté d'empêcher le massacre de ceux qui se réclamaient du même Dieu. Mais l'appel à la paix de Benoît XV, en décembre 1914, est tombé dans le vide. La fureur des armes balayait tout.

 

 

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