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Marlène Schiappa : «Ne laissons rien passer»

Marlène Schiappa, jeudi 18 janvier à Paris. [Jacques Witt/Sipa pour Cnews]

A la tête du secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes depuis maintenant neuf mois, Marlène Schiappa porte, au sein du gouver­nement, un combat plus que jamais ­d’actualité.

Des cours d’écoles au monde de l’entreprise, en passant par les transports en commun, la res­ponsable politique de 35 ans tente en effet, sur divers fronts, de défendre la cause féminine. Avec toujours, en ligne de mire, sa principale priorité : la lutte contre le harcèlement.

Comment avez-vous réagi à la ­tribune polémique publiée par «Le Monde» ? Ne brouille-t-elle pas la cause que vous défendez ?

Dans ce texte, certaines choses étaient intéressantes, comme le fait de refuser la victimisation systématique en tant que femme. Mais, derrière, il y avait des aspects dangereux, comme le fait d’affirmer que les frotteurs du métro ne commettent pas toujours une agression sexuelle. Alors que c’en est toujours une. Elle est d’ailleurs condamnée par une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 75 000 euros d’amende.

La récente sortie de Brigitte ­Bardot, qui a parlé d’«actrices allumeuses»,vous a-t-elle étonnée ?

C’est triste, évidemment, venant d’une icône féminine, mais on connaît les positions de Brigitte Bardot. Elle s’occupe très bien de la défense des animaux. Il faudrait peut-être qu’elle se concentre sur cela.

Qu’en est-il du projet de loi contre le harcèlement de rue que vous soutenez ?

Il vise à ce que ces agissements soient verbalisés directement. Concrètement, la police de la sécurité et du quotidien pourra infliger une amende (le montant est en cours de réflexion, ndlr). Avec la sécurité routière, nous avons réussi à créer une forme de «peur du gendarme». Je voudrais qu’on y parvienne avec le harcèlement de rue, en créant une «peur du policier», en plus de l’éducation.

La sensibilisation au harcèlement passe aussi par la pédagogie…

Oui, et c’est un long combat. Cela fait des années que j’essaie, avec d’autres, d’alerter l’opinion sur le sujet des agressions sexuelles. Le président de la République en avait fait un des thèmes de sa campagne, mais c’était rarement relayé dans la presse. La société ouvre enfin les yeux, et elle est prête à entendre toutes ces femmes qui n’en peuvent plus de subir ce harcèlement. Une récente étude de la Fondation Jean-Jaurès et de l’Ifop montre que huit femmes sur dix ont peur quand elles sortent seules le soir. Par crainte, certaines se privent ainsi de vie active.

Vous portez également l’initiative du «Tour de France des inégalités». Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?

Nous allons repérer sur le terrain les ­initiatives originales pour l’égalité femmes-hommes, pour les dupliquer. A Angoulême (Charente), par exemple, nous avons rencontré des urgentistes, des élus départementaux, des asso­ciations, qui travaillent ensemble pour prévenir les violences conjugales et partager les alertes sur les femmes ­victimes de leur conjoint.

Autre exemple, avec le lycée d’Osny (Val-d’Oise), où nous avons rencontré, avec le ­ministre de l’Education nationale, Jean-­Michel Blanquer, des personnes référentes ­formées sur le harcèlement sexiste et scolaire. Ces médiateurs ­accompagnent et secondent les élèves qui sont en ­difficulté au quotidien.

Justement, comment décririez-vous cette jeune génération ?

Je vois proliférer des critiques sur cette jeunesse soi-disant égocentrique, mais ce que j’observe au quotidien est l’exact contraire. Elle a une très grande conscience des inégalités en général, du racisme, de l’écologie. C’est une génération qui réfléchit,qui remet en question des schémas. Certes, elle ne s’engage pas forcément dans les associations, comme les ­générations précédentes. Car, en ­réalité, son activisme s’est souvent ­déplacé vers les réseaux sociaux. Et cela, il faut l’écouter.

Quelles sont les pistes envisagées pour une véritable égalité salariale ?

Des lois existent déjà. Désormais, l’urgence est de les faire appliquer. Nous y travaillons avec la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, pour faire en sorte que l’on parvienne enfin à une égalité réelle. Les partenaires sociaux ont un véritable rôle à jouer, c’estun sujet qui doit être mis à l’agenda des négociations avec eux.

Par ailleurs, le président de la République a ­annoncé, le 25 novembre dernier, que cela faisait partie des priorités del’Inspection du travail que de veiller à l’application de la loi pour l’égalité ­salariale. Nous présenterons, dans les prochaines semaines, des actions importantes.

La réforme du congé maternité faisait partie des engagements du président…

Il sera tenu. Nous proposerons un congé maternité amélioré pour toutes les femmes. Car certaines ont en effet, actuellement, des congés différents. C’est le cas, notamment, des agri­cultrices, des auto-entrepreneuses ou de certaines intermittentes. Une mission est en cours sur ce sujet.

Personnellement, avez-vous déjà été victime de sexisme en politique ?

Je n’ai jamais été confrontée au sexisme de la part d’hommes politiques. J’ai passé des mois en commission d’investiture avec d’ex-ministres, le questeur de l’Assemblée nationale ou des patrons d’entreprise, et je n’ai jamais ressenti ni condescendanceni paternalisme.

En revanche, j’ai connu le sexisme dans la presse. De nombreux articles à mon égard ont pu être outranciers. Il subsiste encore cette présomption d’incompétence pour les femmes.

C’est-à-dire ?

Un quinquagénaire en costume bénéficie d’une présomption de compétence. Une femme jeune, c’est l’inverse. On nous ramène à notre apparence, notre vie privée, et non à nos qualifications.

C’est le constat que vous faites dans votre livre «Le deuxième sexe de la démocratie»,qui doit paraître en février ?

Oui, j’essaie de montrer qu’il existe une analyse différente des hommes et des femmes en politique, au travers dela sémantique. Certains mots sont ­utilisés pour les femmes, et jamaispour les hommes.

Un article m’a, par exemple, décrite comme «encombrante mais pratique». Comme si j’étais un meuble. Plusieurs femmes partagent des expériences similaires. Comparer une femme à un objet, c’est profon­dément sexiste.

Comment combattre cela ?

En ne laissant rien passer. C’est le mot d’ordre de notre politique publique.

La laïcité, enfin, permet, selon vous, l’émancipation des femmes dans la République…

C’est une garantie. La laïcité, à elle seule, ne suffit pas. Des femmes vivant, par exemple, dans des pays où il n’existe pas de loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, m’ont expliqué comment des religieux radicaux financent les centres de soin et les cliniques. Ils imposent ainsi leurs règles, en ­limitant l’accès à la contraception ou en prohibant l’IVG.

La lutte contre l’homophobie ­rentre-t-elle aussi dans ce cadre-là ?

Tout à fait. J’ai organisé une conférence-débat sur la laïcité, où Frédéric Potier, préfet et délégué interministériel en charge de la lutte contre l’homophobie, a démontré que c’est la laïcité de notre pays qui permet de financer une ligne d’écoute pour les jeunes LGBT, qui s’interrogent sur leur orientation sexuelle.

Je veux rappeler qu’en France, les lois de la République prévalent. Chacun a le droit d’avoir sa propre religion, et de la pratiquer sans être inquiété ou incriminé pour cela. Mais notre vie, nos actes, ne peuvent pas être jugés par la République à l’aune de tel ou tel code religieux.

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