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Gilets jaunes : cinq ans après, que reste-t-il du mouvement ?

Porteur de revendications sur les retraites et le pouvoir d'achat, le mouvement des Gilets jaunes n'est «pas éteint» mais «résigné» et «replié vers d'autres sphères d'engagement», estiment deux chercheurs. [FRANCOIS NASCIMBENI / AFP]

Cinq ans après le lancement des Gilets jaunes, la crise sociale, notamment marquée par l’inflation, n’a pas disparu. En revanche, il ne reste plus grand chose du mouvement historique porté par les Français face au gouvernement.

Le samedi 17 novembre 2018, il y a cinq ans jour pour jour, des milliers de Français endossaient un gilet jaune pour défiler dans les rues de plusieurs grosses villes de France afin de protester contre la hausse du prix du carburant. Très vite, les manifestations se sont propagées à l’échelle nationale et le mouvement de contestation dénonçait plus globalement l’inflation et la vie chère. La France découvrait alors les «Gilets jaunes» qui, de ronds points en places de villages, venaient gonfler les rangs de l’un des plus grands mouvements contestataires du 21e siècle.

Cinq ans, une pandémie et une guerre - en Ukraine - plus tard, la France reste marquée par cette contestation sociale, et les revendications n’ont pas disparu. Alors que l’inflation a battu des records ces deux dernières années et que la vie n’a jamais été aussi chère, les inégalités sociales, vecteur de cohésion des Gilets jaunes, n’ont jamais été aussi importantes qu’en cette fin d’année 2023. Toutefois, si la pandémie de Covid-19 a eu raison des rassemblements de Gilets jaunes, plusieurs manifestations contre la vie chère, ainsi qu’un immense mouvement contre la réforme des retraites promulguée par le gouvernement, ont suscité autant, voire plus d’engouement que la contestation de 2018.

Porteur de revendications sur les retraites et le pouvoir d'achat, le mouvement des Gilets jaunes n'est «pas éteint» mais «résigné» et «replié vers d'autres sphères d'engagement», estiment deux chercheurs. Magali Della Sudda, chargée de recherche au CNRS, co-autrice d'une vaste étude menée sur les ronds-points et durant des manifestations, et Samuel Noguera, doctorant qui épluche depuis un an les cahiers de doléances ouverts à l'époque en Gironde, ont décrypté ce mouvement dont l’avenir s’est assombri, notamment en raison de la répression policière.

Que sont-ils devenus ?

D'une moyenne d'âge de 44 ans, le mouvement était porté par «des gens qui ont des enfants à charge mais aussi potentiellement leurs parents» et qui étaient «aux premières loges du démantèlement de la citoyenneté sociale», juge Magali Della Sudda à partir d'un échantillon de 1.477 gilets jaunes interrogés en 2018-2019. «La singularité de ce mouvement social», selon elle, est d'avoir «convoqué, à l'exception de certaines fractions de cadres, les différentes classes de la société». 

La mobilisation était cependant ancrée «dans les classes populaires» : près de 50% des interrogés affirment vivre dans un foyer avec moins de 2.000 euros par mois, avec une forte représentation des «cols roses, travailleuses du care et aide-soignantes» chez les femmes et des employés «de la logistique et des transports» chez les hommes.

«Indubitablement mixtes et sans porte-parole attitré», les gilets jaunes ont «peut-être changé la représentation des luttes sociales en donnant une visibilité et un leadership aux femmes qui, jusqu'alors, ne l'avaient qu'exceptionnellement», analyse la socio-historienne. Autre «point singulier» : la représentation des handicapés, «à la hauteur de leur présence dans la société», du jamais-vu dans d'autres mouvements sociaux.

Aujourd’hui, on peut observer des caractéristiques similaires dans la population qui bat le pavé contre la réforme des retraites ou contre la vie chère. De nombreux «anciens Gilets jaunes» font d’ailleurs partie des personnes mobilisées qui sortent dans les rues, alors qu’elles ne le faisaient pas nécessairement avant la grogne sociale de 2018.

Pourquoi se mobilisent-ils aujourd’hui ?

En 2018, près d'un quart des Gilets jaunes interrogés évoquaient «spontanément» la question des retraites, avec «un gros sentiment d'injustice». En outre, «60 % des ouvriers et employés se montraient inquiets pour le devenir du système», le sujet étant souvent «imbriqué» à celui «des salaires, à la dénonciation d'injustices sociales et fiscales et à une volonté de se mobiliser pour les nouvelles générations». Pour Samuel Noguera, les cahiers de doléances «ouverts à tous» ont révélé une «solidarité intergénérationnelle» qui se retrouvait beaucoup, «notamment des retraités vers les jeunes».

Selon le doctorant, près de 40 % des demandes portaient sur le «pouvoir de vivre», avec une notion omniprésente de «dignité», sur les «fins de mois» ou «la juste répartition des fruits du travail». Il a également constaté «énormément de doléances sur le prix des factures énergétiques» - avant même leur flambée - et les services publics. En zone rurale, la question du «désenclavement» et des transports du quotidien était «surreprésentée», avec la demande de liaisons ferroviaires et d'autoroutes supplémentaires.

La deuxième principale préoccupation, dans les cahiers comme sur les ronds points, exprimait «une crise de la représentation politique». Celle-ci se matérialisait par la revendication du RIC - référendum d'initiative citoyenne - et répondait à un «manque d'écoute» ressenti. «Il y avait aussi un manque de confiance en l'action publique», relève Samuel Noguera. «On avait beaucoup de demandes de suppression du Sénat ou de réduction du nombre de parlementaires, mais sans en finir avec le système de représentation», précise-t-il.

Aujourd'hui, on peut observer que ces problématiques sont toujours au cœur des revendications des manifestants contre la réforme des retraites ou contre la vie chère. Le mouvement a toutefois évolué vers une certaine convergence des luttes, notamment avec l'apparition des enjeux environnementaux qui se font de plus en plus présents, dans les consciences comme dans les manifestations. Les questions de souveraineté, de sécurité ou d'immigration, en revanche, étaient «mineures» dans les revendications des Gilets jaunes, tandis qu’elles peuvent apparaître plus importantes aujourd’hui, pour une partie d’entre eux.

Que vont-ils devenir ?

Pour Magali Della Sudda, qui poursuit actuellement ses entretiens, «la brutalisation du maintien de l'ordre», avec «un arsenal répressif» allant des amendes aux gardes à vue jugées préventives, a alimenté «peur» et «résignation» chez les anciens manifestants. La résurgence dans l'actualité des thématiques portées à l'époque n'entraîne pas une «réactivation» massive d'un mouvement qui s'est «divisé» sur les politiques sanitaires pendant la pandémie de Covid-19.

«Pour se mobiliser, il faut avoir la perception qu'on peut changer les choses», analyse la chercheuse. Or, «aucune politique publique nationale n'est venue répondre» depuis aux «trois grands enjeux portés par le mouvement, que sont la justice sociale, la participation démocratique, et la transition écologique». Selon elle, le «mouvement n'est pas éteint» mais «résigné», «en repli» vers des engagements associatifs : d'ex-gilets jaunes ont monté nombre de collectifs locaux d'entraide, «loin des radars des journalistes et des institutions». 

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