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Mandela aurait-il pu refuser le prix Nobel de la paix ?

Nelson Mandela (g) et Frederik de Klerk reçoivent le prix Nobel de la Paix, le 9 décembre 1993 à Oslo [Gérard Julien / AFP/Archives] Nelson Mandela (g) et Frederik de Klerk reçoivent le prix Nobel de la Paix, le 9 décembre 1993 à Oslo [Gérard Julien / AFP/Archives]

Nelson Mandela aurait-il pu refuser le prix Nobel de la paix, qui lui fut remis le 10 décembre 1993, il y a tout juste vingt ans? La question fut très sérieusement posée par ses camarades de lutte fâchés qu'il ait à partager cet honneur avec le dernier président de l'apartheid Frederik de Klerk.

 

Honoré tout comme son adversaire pour avoir mené l'Afrique du Sud vers la démocratie, l'ancien président sud-africain, emprisonné pendant vingt-sept ans sous le régime raciste blanc, est décédé jeudi à 95 ans.

Tokyo Sexwale, chef de file à l'époque de son parti, le Congrès national africain (ANC), se rappelle que "certains étaient très inquiets et ne voulaient pas voir Nelson Mandela, une telle icône, recevoir ce prix avec son oppresseur".

Quand la téléphone a sonné le 15 octobre 1993 pour annoncer la décision du comité Nobel, "les réactions étaient mitigées et certains hésitaient à soutenir ce truc conjoint avec De Klerk", raconte-t-il.

"Il faut se rappeler qu'il y avait énormément de violences", reprend M. Sexwale, en référence au climat de guerre civile qui régnait dans de nombreuses townships noires durant cette période.

Nelson Mandela, le poing levé, salue une chorale sud-africaine lors de la cérémonie de remise du prix Nobel de la Paix, le 9 décembre 2013 à Oslo [Gérard Julien / AFP/Archives]
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Nelson Mandela, le poing levé, salue une chorale sud-africaine lors de la cérémonie de remise du prix Nobel de la Paix, le 9 décembre 2013 à Oslo
 

Les négociations avec le pouvoir blanc étaient déjà très avancées: les premières élections multiraciales avaient été fixées au 27 avril de l'année suivante et une ébauche de nouvelle constitution démocratique entérinée.

Mais les partisans de l'ANC et du parti zoulou de l'Inkatha s'entretuaient, et le dernier carré de partisans de l'apartheid était soupçonné d'attiser la haine. On estime que les violences politiques firent entre 40.000 et 50.000 morts de 1990 à 1994.

"Il ne faut pas oublier qu'avant Mandela, Albert Luthuli ou Desmond Tutu et bien d'autres personnalités dans le monde avaient reçu le prix Nobel individuellement" sans le partager avec quiconque, reprend M. Sexwale. "Il aurait pu le refuser, il y avait beaucoup de tensions".

"Pour nous, Nelson Mandela n'avait pas besoin du prix partagé avec une autre personne, en plus avec celui qui l'a mis en prison. Mais c'est lui-même qui nous a convaincu de la justesse de ce qui se passait."

"Il nous a convaincu après une vive discussion que quoi qu'il en soit, c'était important pour nos compatriotes à cause de la réconciliation --on se réconcilie seulement avec un ennemi-- et pour montrer au monde que nous, les Sud-Africains, nous avons transcendé nos différences+", enchaîne-t-il.

Le "mal terrible" de l'Apartheid

"Pour nous, il fallait franchir le Rubicon. Nous avions souffert, eu des membres de notre famille tués, des amis assassinés, et même notre ambassadeur à Paris Dulcie September (en 1988, ndlr). Comment se réconcilier avec des gens comme ça? Ce n'était pas facile. Il fallait qu'on montre qu'un De Klerk pouvait être étreint et même être fait vice-président."

Nelson Mandela serre la main de Frederik de Klerk, le 10 décembre 1993 à Oslo après avoir reçu ensemble le prix Nobel de la Paix [Gerard Julien / AFP]
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Nelson Mandela serre la main de Frederik de Klerk, le 10 décembre 1993 à Oslo après avoir reçu ensemble le prix Nobel de la Paix
 

A la présidence sud-africaine, la réaction fut inverse. C'est Dave Steward, alors directeur de cabinet de M. de Klerk, qui décrocha puis appela M. de Klerk pour lui communiquer "la bonne nouvelle d'Oslo".

"Il était enchanté", se souvient-il, se remémorant lui-même "un moment très heureux dans une période pas facile", et à peine terni par les huées de certains Norvégiens quand M. de Klerk vint saluer au balcon du Grand Hôtel d'Oslo avec Nelson Mandela le 10 décembre 1993.

Proche de l'ANC, la prix Nobel de littérature Nadine Gordimer, 90 ans, était du voyage à Oslo, comme George Bizos, l'ami et avocat de toujours de Mandela.

"Mandela étant le merveilleux personnage qu'il est, il décida d'accepter ce que des gens comme moi auraient considéré comme un déshonneur", dit-elle à l'AFP.

"Pour nous, c'était une sorte de trahison de voir qu'il devait partager, que le président de l'apartheid avait quelque chose à partager avec Mandela et de voir Mandela se tenir là à Oslo à côté de De Klerk, placé au même niveau", ajoute-t-elle.

Ni M. de Klerk, ni M. Mandela, qui se rendaient alors coup pour coup durant cette période délicate, sous la pression des extrémistes des deux bords, n'eurent accès au discours de l'autre avant de prononcer le leur.

Dans son discours, M. de Klerk souligna "le changement fondamental de positions des deux parties".

Mandela loua "l'humanité commune qui lie Noirs et Blancs". Et il salua son "compatriote et lauréat conjoint" pour avoir eu "le courage d'admettre qu'un mal terrible avait été fait à notre pays et à notre peuple" avec l'apartheid.

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