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Dans la tête des jihadistes, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani[REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

"Couper des têtes et les exposer, c’est ce que Allah veut." C’est l’un des slogans que l’on pouvait lire sur Internet écrit par l’un des bourreaux français officiant en Syrie et en Irak pour le compte de Daesh. L’Etat islamique s’est illustré récemment par la décapitation d’un otage américain et de dix-huit soldats syriens. Ce seul slogan monstrueux devrait suffire à faire comprendre que Daesh n’est pas un mouvement religieux mais une organisation strictement politique qui instrumentalise une religion. Et qu’il est aussi éloigné de l’islam véritable que de toute autre religion. Ce slogan exprime la culture de mort. Le credo de Daesh est que sa victoire est assurée parce que nous avons peur de la mort.

La découverte de l’identité de certains des bourreaux nous laisse effrayés et désemparés. Effrayés que l’on puisse si facilement convaincre de jeunes hommes et femmes de partir, avec pour perspective et pour seule ambition de massacrer et de mourir. Désemparés car aucun d’entre eux ne répond à une catégorie spécifique, ne rentre dans un cadre répertorié comme étant à risques. L’un d’entre eux vient d’un petit village de Normandie à la vie paisible et rassurante ; il vivait dans un cadre familial normal et était simplement "converti»"de fraîche date. Ce phénomène ne touche pas que la France. Il concerne aussi bien la Grande-Bretagne que l’Allemagne voire, dans une moindre mesure, l’Italie. Ils sont ainsi plusieurs centaines (3 000 selon les sources européennes, 5 000 selon les services américains) à avoir été enrôlés, le plus souvent grâce à un lavage de cerveau qui a commencé pour eux sur Internet avec, au départ, un objectif affiché humanitaire : venir en aide aux victimes de la guerre. Puis une fois attirés sur place : l’endoctrinement, l’entraînement et la barbarie. De ce point de vue, aussi horrible que cela puisse paraître, la diffusion des décapitations à travers les réseaux sociaux et les médias est un moyen de recruter et de forger autour des bourreaux des figures de héros. Comme le sont devenus, aux yeux de quelques-uns, les assassins de Toulouse et Bruxelles, Merah et Nemmouche. Selon les meilleurs analystes, ce phénomène touche des personnes de plus en plus jeunes, pour beaucoup enfants ou petits-enfants d’immigrés en situation d’exclusion sociale, mais aussi une minorité éduquée, issue des classes moyennes.

Ces analystes considèrent que, pour certains jeunes, la motivation est la haine du système, d’une société qui ne leur offre aucune perspective. L’attrait de la violence, pour une partie de la jeunesse, a de multiples précédents dans l’Histoire, des nihilistes à Pol Pot, en passant par les nazis. Hier, cette violence obéissait le plus souvent à un cadre idéologique. Aujourd’hui, elle paraît aveugle. Ce qui est proposé emprunte à tous les extrêmes.

A l’extrême droite, le patriarcat, l’obéissance aveugle au chef, la culture de mort : on pense aux "viva la muerte" des fascistes espagnols. A l’extrême gauche, "l’anti-impérialisme", plus largement transformé en anti-occidentalisme, mais avec aussi le culte du tyran.

Les réponses dans nos sociétés sont difficiles à trouver. Elles sont, bien sûr, policières, mais elles peuvent être aussi recherchées, ce qui est aujourd’hui ébauché, dans la mise en place de groupes chargés de «déradicaliser» ceux qui reviennent et qui peuvent nourrir des projets d’attentats sur le sol européen.

On comprendrait mal que les politiques conduites ne soient pas gauche et droite confondues. En commençant par éviter de parler, s’agissant de Daesh, d’une radicalisation de l’islam quand il s’agit de jihadisme. De façon à bien séparer le politique et le religieux, la barbarie et la religion.

Jean-Marie Colombani

 

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