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Reportage : en mer à bord du sous-marin français Perle

Le Perle compte un équipage de 70 hommes et assure principalement des missions de renseignement en Méditerranée.[Mickael Sizine / Direct Matin]

Ce sont les yeux de la mer. Immergé à près de 300 mètres, le Perle, l’un des dix sous-marins de l’armée française, sonde la Méditerranée et scrute les côtes dans la discrétion la plus totale. Sa position évolue en permanence et relève du secret défense. Une précaution indispensable pour assurer sa mission : le renseignement militaire et la dissuasion nucléaire.

Le submersible de 2 670 tonnes, dont le port d'attache est Toulon (Var), ne dispose pourtant pas de l’arme atomique. Les navires de guerre de ce type, baptisés SNA (sous-marin nucléaire d’attaque), n’ont de nucléaire que leur mode de propulsion, contrairement aux SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d’engins), au nombre de quatre dans la Marine nationale.

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Le mal de mer se ressent moins que la claustrophobie

«Notre mission principale est d’échanger des informations avec l’Etat-major, mais nous participons aussi à la lutte contre le narcotrafic, à des opérations commando ou à du torpillage», explique le commandant du Perle, Cyrille P. Sa cabine de 5 m2, la plus grande du sous-marin, est située tout près de la salle des commandes, d’où il donne ses directives à près de 70 hommes, qui se relaient toutes les quatre heures. Il n’y a pas de femme à bord.

Tous ces marins évoluent dans des espaces extrêmement confinés. Le Perle ne mesure en effet que 73,6 mètres de longueur (pour 7,6 mètres de large) qui contiennent les équipements ainsi que les salles des machines, qui à elles seules occupent la moitié de l’appareil, le sous-marin nucléaire le plus compact du monde. Les couloirs sont aussi étroits qu’une largeur d’épaules et les escaliers sont raides comme des échelles. Le mal de mer se ressent moins que la claustrophobie. Il faut une bonne entente pour ne pas se marcher dessus.

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Les sous-mariniers doivent composer dans un espace extrêmement confiné. [© Mickael Sizine]

Tous travaillent à l’aveugle lorsqu’ils sont en immersion. Le périscope est peu utilisé pour rester le plus discret possible. En conséquence, les crayons, les feuilles et les calculs sont légion. Les sous-mariniers apprennent ainsi à déterminer leur position théorique ou à examiner les alentours en utilisant le sonar, qui lit le bruit que font dans l’eau les bateaux, les baleines, voire d’autres sous-marins.

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Au sonar, "l'oreille d'or" travaille avec un opérateur de détection et un classificateur. [© Mickael Sizine]

Quatre mois sans cigarette ni téléphone portable

Ecouter la mer, c’est le métier de Martial, 34 ans. Cet analyste acoustique, aussi appelé «oreille d’or», doit examiner les sons, les localiser avec précision et déterminer leurs origines. «S’il s’agit d’un navire suspect, nous devons le savoir vite par mesure de sécurité», souligne-t-il. Avec lui, Joris, 21 ans et un an seulement de marine, apprend. Lui aussi veut devenir «oreille d’or» dans les prochaines années. Ce jeune opérateur de détection ému par le bruit des dauphins en est à sa première mission. Il devra rester quatre mois en mer, sans cigarette, sans téléphone portable, sans Internet. «Au début, c’est difficile, reconnaît-il. Mais on s’y fait vite car il y a toujours quelque chose à faire.»

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Beaucoup de choses reposent sur la théorie et les calculs, le périscope n'étant utilisé que rarement. [© Mickael Sizine]

Quand ils ne travaillent pas, les sous-mariniers se détendent comme ils peuvent, soit dans leur cabine, qu’ils partagent avec leurs collègues, soit dans la salle de pause, qui fait office de cantine matin, midi et soir. Le repas est «un moment essentiel où l’on relâche la pression», disent certains. Sauf pour les cuisiniers eux-mêmes. «On est jugés trois fois par jour sur ce qu’on prépare. Mais c’est stimulant, tant on sait que les gars ont besoin de ça pour se sentir bien», s’accordent à dire Ludovic et Nicolas, aux manettes de leur cuisine de moins de 5 m2, où il y a une place pour chaque chose et où chaque chose à sa place.

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Dans leur cuisine de 5 m2, Ludovic et Nicolas servent environ 70 couverts par repas. [© Mickael Sizine]

Dans la salle, on se délecte au déjeuner d’un (bon) hachis parmentier en parlant du quotidien, dans une ambiance de franche camaraderie. Ici, le timonier blague avec le torpilleur et les mécaniciens chambrent les ingénieurs du génie atomique. Une diversité de profils et, surtout, de métiers (une cinquantaine) auxquels les marins ont été formés par la Marine nationale.

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Les espaces sont réduits jusque dans les salles des machines, la "zone arrière", territoire d'Adrien, électromécanicien de propulsion navale. [© Mickael Sizine]

«Un jeune peut arriver ici peu ou pas diplômé, devenir ingénieur puis se reconvertir dans le privé une fois sa carrière militaire terminée», souligne-t-on. D’autant que, s’ils sont mieux payés que les militaires à terre (environ 50 % de plus, pour un salaire mensuel minimum de 1 500 euros pour un jeune arrivant, plus des primes), les sous-mariniers peuvent prétendre à une (petite) retraite au bout d’une quinzaine d’années, ce qui permet de se reconvertir sereinement.

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Les marins se relaient à leurs postes toutes les quatre heures. [© Mickael Sizine]


Peu de communication avec l'extérieur

Des avantages qui réclament toutefois plusieurs sacrifices. A commencer par la vie de famille, un marin naviguant un tiers de l’année. Et avec peu de contact avec l’extérieur. Les escales sont rares (environ deux par mission). Pas de réseau téléphonique, ni de mails et encore moins Facebook. Les militaires à bord du Perle ne peuvent envoyer ou ne recevoir un message écrit de leurs proches qu’une fois par semaine, dans le meilleur des cas.

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La Marine nationale propose plus de cinquante métiers différents. [© Mickael Sizine]

«Si nos femme ont un problème avec la voiture ou la maison, on ne peut pas les aider et c’est frustrant», admettent les marins. Et parfois, l’attente de nouvelles peut être longue. Ceux qui étaient en mer lors des attentats à Paris ne l’ont, par exemple, su que deux mois plus tard. «Tout le monde est indispensable à bord. Si un seul est affecté par la disparition d’un proche, c’est toute la mission qui peut être compromise», nous rappelle-t-on.

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Quand ils ont un coup de blues, c’est Kean, l’infirmier, que les marins vont voir. «Il m’arrive de faire le psy, car on est tous ensemble en permanence, sans intimité», explique l’homme de 39 ans, ancien de l’hôpital militaire de Lyon. L’infirmerie devient un lieu de confiance, malgré le fait qu’elle ne fait que 3 m2 (tout équipée) et qu’elle est traversée par certains pour rejoindre leur cabine. La promiscuité, toujours.

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Dans seulement 3 m2, Keane dispose de tout le nécessaire pour faire des soins. [© Mickael Sizine]

Autrement, les hommes peuvent compter les uns sur les autres, chacun se montrant à l’écoute, compréhensif et souriant en toute circonstance. C’est peut-être ça aussi être sous-marinier. Au-delà des conditions difficiles et de la fatigue, ces hommes font toujours tout pour s’entraider, même après quatre mois ensemble, quand ils rentrent au port.

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