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Alep, cité meurtrie et sacrifiée, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani[Alexis Reau / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

La guerre qui dure depuis cinq ans en Syrie vient de franchir une nouvelle et sinistre étape dans l’horreur avec les bombardements infligés à la ville d’Alep, la deuxième du pays, par les forces de Bachar al-Assad, aidées par l’aviation russe. Cette ville, partagée entre un secteur gouvernemental et un autre aux mains des rebelles, avait, il y a à peine quelques jours, représenté ce que l’on croyait être un premier espoir de paix avec la signature d’un accord de cessez-le-feu sous l’égide de la Russie et des Etats-Unis. Trêve balayée par Bachar al-Assad et cette même Russie au motif qu’elle risquait de permettre aux forces rebelles de se regrouper et de repartir de l’avant. S’en est suivie une campagne de bombardements d’une férocité inouïe visant d’abord les populations civiles et tout ce qui pouvait abriter celles-ci y, compris les hôpitaux.

Deux questions viennent à l’esprit : pourquoi un tel déluge de feu, notamment de la part de la Russie ? Pourquoi une telle impuissance de la part des pays qui, comme les Etats-Unis, cherchent pour la Syrie une solution politique sans Bachar al-Assad ?

Pour cynique et cruelle qu’elle soit, l’attitude russe n’en est pas moins cohérente : dans un contexte où la Russie s’engouffre dès lors qu’elle perçoit une faiblesse occidentale, l’objectif recherché est de s’imposer dans la région en protégeant son allié, Bachar al-Assad, qui lui garantit les accès militaires à la Méditerranée, essentiels à sa stratégie anti-occidentale.

L’enjeu, à Alep, représente la problématique syrienne. La ville est l’un des derniers bastions de l’opposition démocratique, qu’encouragent les Etats-Unis et l’Europe. L’objectif de Moscou, en massacrant les civils, est d’obtenir que les forces jihadistes qui combattent Assad et les forces démocratiques se regroupent pour résister. Dès lors qu’elles ne feront plus qu’une, la Russie pourra se prévaloir de participer à la guerre contre le jihadisme et légitimer ainsi pour longtemps sa présence dans la région. Bernard-Henri Lévy a eu raison de rapprocher les bombardements d’Alep de la méthode qui avait conduit Vladimir Poutine à éliminer toute forme d’opposition en Tchétchénie au nom de la lutte contre les jihadistes.

En face, la faiblesse est criante. De l’aveu même de John Kerry – le secrétaire d’Etat américain avait prôné en vain une intervention militaire – le tournant a été le refus d’Obama d’intervenir à l’été 2013, contrairement à la position de la France, qui souhaitait cette intervention et s’y était préparée. Le terrain perdu n’a plus été rattrapé. Plus récemment, la Turquie a compliqué la situation : elle a fait reculer Daesh ainsi que les forces de Bassar al-Assad mais en frappant aussi durement les Kurdes, pourtant les meilleurs alliés de ceux qui, en Europe et aux Etats Unis, voudraient vaincre Daesh.

L’autre facteur de faiblesse réside dans les opinions américaines autant qu’européennes. Pourquoi tant d’indifférence ? Parce que la guerre en Syrie veut dire des réfugiés, qui nourrissent la peur. Celle-ci sert de carburant à l’offensive populiste et extrémiste qui parcourt toute l’Europe. Le mot d’ordre est donc surtout ne rien faire et ériger des murs. Le meilleur exemple de cette attitude est le référendum d’hier en Hongrie : en cause les 1 300 réfugiés que l’Union européenne voulait attribuer à la Hongrie, pays de plus de dix millions d’habitants et qui, à travers son référendum, veut marquer son refus. C’est bien sûr une attitude à courte vue et, à terme, ô combien dommageable.

Comme le notait le New York Times, massacrer des populations civiles comme on l’a vu à Alep est sans doute un crime de guerre. Mais il a toute chance de porter les fruits politiques attendus par ceux qui le commettent.

Jean-Marie Colombani

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