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Affaire Le Pen : et si c'était calculé ?

Marine et Jean-Marie Le Pen en novembre 2014. [JEFF PACHOUD / AFP]

Si Jean-Marie Le Pen affirmait vendredi matin que la stratégie de sa fille Marine allait dynamiter le Front National, on peut observer aussi que le scandale provoqué par ses déclarations pourrait a contrario renforcer le mouvement. A telle enseigne que certains se demandent si cette nouvelle sortie ne serait pas préméditée.

 

Au cours de son interview de Marine Le Pen menée jeudi soir sur le plateau de TF1, Gilles Bouleau - s'excusant du "cynisme" potentiel de sa question - a demandé à la présidente du Front National si les sorties de son père ne constituaient pas une aubaine dans le cadre de la stratégie de dédiabolisation du mouvement. Visiblement émue, Marine Le Pen a confirmé qu'elle jugeait cette question "cynique" et a écarté cette hypothèse. Certains continuent pourtant de penser que les dernières sorties du fondateur du FN ne seraient pas complètement fortuites.

 

Ce qui plaide pour l'hypothèse de la préméditation : 

> En convoquant son père devant la commission de discipline du FN et en l'écartant de la candidature à la présidence de la région PACA, Marine Le Pen inflige un sérieux démenti à ceux qui - dans la sphère politique ou les médias - continuent d'affirmer qu'elle assume et partage le socle idéologique du fondateur du "Front" sous des apparences moins rugueuses. Or cet argument est l'un de ceux que l'on a le plus entendus lors de la campagne pour les élections départementales, en particulier lorsque Manuel Valls a affirmé à l'Assemblée nationale son intention de continuer à "stigmatiser" le mouvement.

> En termes de calendrier, l'éviction partielle ou totale de Jean-Marie Le Pen tombe à pic. Après le succès des élections départementales, elle peut permettre au Front National de décomplexer une partie de l'électorat toujours rétive à la figure du fondateur du mouvement, en particulier chez les retraités qui votent bien moins pour le mouvement que le reste de la population. A huit mois des élections régionales, un apport de voix supplémentaire serait bienvenu pour l'emporter dans un certain nombre de régions gagnables. De manière plus locale, évincer Jean-Marie Le Pen de la région PACA - au profit probable de Marion Maréchal-Le Pen (qui demeure en retrait de la polémique) ou de Stéphane Ravier - permet d'éviter les "dérapages" qu'il pourrait signer s'il emportait la présidence de l'assemblée régionale. 

> La nouvelle "affaire Jean-Marie Le Pen", enfin, permet au mouvement de renforcer l'unité de ses cadres au moment où les élus se sont multipliés. Le changement de positionnement - dû à la stratégie de "dédiabolisation" orchestrée par Florian Philippot - ainsi que les changements de génération, ont induits un flou dans le positionnement des cadres. Manifestement tous unis contre Jean-Marie Le Pen - à l'exception de son vieux compagnon Bruno Gollnisch qui refuse de participer à l'opprobre, et de Marion Maréchal - Le Pen - ils pourraient ainsi afficher davantage de cohésion en vue des prochains RV.

 

Ce qui hypothèque le scénario de la planification :

> Lorsque Jean-Marie Le Pen déclare que se fille "dynamite" le Front National, sa sincérité semble probable. De nombreuses et récentes évolutions symboliques ou politiques ont probablement heurté les convictions les plus viscérales du "Menhir" (l'un de ses nombreux surnoms). Ainsi, lorsque Florian Philippot, ancien chevénementiste devenu vice-président du FN, a fleuri la tombe de Charles de Gaulle à Colombey-les-deux-Eglises, l'ancien défenseur de l'Algérie française a sans doute été dérangé. De même, certaines propositions économiques du Front National, comme la retraite à 60 ans, heurtent probablement le fond reaganien de Jean-Marie Le Pen.

> Ecarter Jean-Marie Le Pen, de manière concerté ou unilatérale, représente une vraie prise de risque au regard de son aura dans certaines terres d'élection du Front, notamment dans le sud de la France. Le président d'honneur du Front National y demeure acclamé lorsqu'il participe à des réunions publiques. Bruno Mégret avait commis cette erreur en 1998 lorsqu'il avait voulu prendre la tête du mouvement. S'il avait obtenu le soutien de très nombreux cadres du mouvement, il n'avait pas été suivi par la base du mouvement. Le MNR qu'il avait fondé n'a jamais décollé, tandis que Jean-Marie Le Pen accédait au 2e tour de l'élection présidentielle en 2002 malgré un appareil politique en ruines. La contre-performance de Florian Philippot au dernier congrès du FN laisse entendre que sa "ligne" est loin de faire l'unanimité chez les militants.

> Au-delà des aspects politiques, l'hypothèse d'un stratagème concerté suppose l'acceptation par les deux parties - Jean-Marie et Marine Le Pen - de mettre en scène un déchirement familial particulièrement violent. Certes, la famille Le Pen a déjà manifesté de profondes dissensions par le passé. Mais la convocation en commission de discipline de Jean-Marie Le Pen par sa propre fille atteindrait des sommets de machiavélisme s'il était concerté. L'émotion visible de Marine Le Pen sur le plateau de TF1, à moins d'être considéré comme l'ultime touche de la mise en scène, ne plaide pas en faveur d'un tel projet.

 

S'il semble difficile de soutenir la théorie d'un calcul politique concerté pour éclairer cette nouvelle "affaire Le Pen", il semble possible d'imaginer en revanche que le FN puisse bénéficier là d'un effet d'aubaine, en ouvrant de nouveaux gisements électoraux et en décomplexant les nouveaux cadres du mouvement que l'ombre du fondateur n'a jamais cesser de gêner. Il n'en demeure pas moins que cette séquence doit être gérée avec la plus grande prudence par Marine Le Pen et son entourage, d'autant plus que de nouveaux nuages s'annoncent sur le Front National avec la progression de l'enquête en cours sur le financement illégal du mouvement.

 

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