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Mineurs et pornographie : «Ces images peuvent constituer une effraction psychique assez grave», selon Lucie Groussin, sexologue

L'audience du site Pornhub est constituée à 17% de mineurs, contre 12% pour la moyenne des autres plate-formes du genre. [Lionel BONAVENTURE / AFP]

Une étude publiée ce jeudi 25 mai par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) montre que 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques chaque mois. Un chiffre qui ne cesse d'augmenter.

Favorisée par l'utilisation des écrans dès le plus jeune âge, l'exposition des mineurs aux contenus pornographiques est en constante augmentation. Ce jeudi 25 mai, une étude de Médiamétrie, commandée par l'Arcom, révèle que, parmi les garçons, 51% des 12-13 ans et 21% des 10-11 ans consultent ce genre de sites chaque mois.

Des chiffres que Lucie Groussin, sexologue, juge «inquiétants». Elle s'alarme surtout de voir que le phénomène a progressé de 36% en cinq ans. «Pour un mineur, ces images peuvent constituer une effraction psychique assez grave, il voit juste de la violence».

Surtout, c'est une très mauvaise manière de commencer son éducation à la sexualité, insiste l'experte, selon qui la pornographie vient «coloniser l'imaginaire». «Aujourd'hui je vois dans mon cabinet des gens entre 20 et 30 ans qui ont grandi avec cette pornographie de masse. Quand ils ont commencé leur vie sexuelle il ont reproduit des schémas vus sur ces sites, avec notamment la banalisation de certaines pratiques sexuelles».

Les outils de contrôle parental peuvent être utilisés pour protéger les plus jeunes mais, puisqu'il paraît impossible de vérifier tout ce que les enfants et adolescents regardent, la sexologue conseille avant tout l'éducation et la prévention.

«Les faits sont là : les jeunes regardent. Donc plutôt qu'interdire, il faut leur expliquer, décrypter ces images avec eux et leur dire que la pornographie ce n'est pas la réalité.» Lucie Groussin déplore en effet les «scripts sexuels très normés» véhiculés par le «porno de masse». Elle dénonce des biais sexistes, racistes et une industrie où le consentement, notamment celui des femmes, est trop souvent bafoué.

Ça n'a «rien à voir avec la vraie vie»

«Ça montre, pour les hommes comme pour les femmes, tout un tas de clichés qui n'ont rien à voir avec la vraie vie, développe-t-elle. Dans la pornographie, les femmes sont dans une sorte de passivité et les hommes dans la performance. On montre le cru, le génital, le visuel. On n'est pas du tout dans l'érotisme, il n'y a aucune place pour l'exploration de soi et de l'autre».

Selon Lucie Groussin, il existe aujourd'hui des ressources en ligne de qualité, y compris sur les réseaux sociaux, vers lesquels les jeunes peuvent être guidés pour s'informer. Elle mentionne notamment le site commentonsaime.fr, géré par l'association féministe En avant toutes.

Le mieux serait que les parents osent aborder ce genre de sujets avec leurs enfants, «dès le plus jeune âge», de manière adaptée. Mais «certains ne sont pas à l'aise, concède la sexologue. Et les adolescents n'ont pas toujours envie de parler de ça avec leurs parents». En cela, Lucie Groussin estime que l'école a un rôle à jouer. Voilà pourquoi elle déplore que les séances d'éducation à la sexualité prévues par l'Education nationale ne soient pas dispensées : «c'est un vrai problème».

Plusieurs sites mis en demeure

A défaut, le gouvernement a présenté un projet de loi pour «sécuriser et réguler» Internet. Il prévoit notamment de donner la possibilité à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) d'ordonner, sans le concours d'un juge, le blocage par les opérateurs télécoms et le déréférencement des sites pornographiques qui n'empêchent pas les mineurs d'accéder à leur contenu.

Car si les sites sont en principe tenus de réserver leur accès aux seuls adultes, dans les faits, la plupart se contentent de demander aux internautes de cliquer sur une case pour certifier qu'ils ont plus de 18 ans. Selon Thomas Rohmer, fondateur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open), l'une des solutions envisagées pour renforcer la sécurité serait de créer un système de vérification dit de «double anonymat», par lequel l'internaute donnerait son identité à un «tiers de confiance».

Parmi les 179 sites pornographiques étudiés dans le cadre de l'étude publiée ce jeudi, Pornhub est apparu comme le plus consulté par les jeunes, avec 1,4 million de visiteurs mineurs en décembre 2022, soit 900.000 de plus en cinq ans. Son audience est constituée à 17% de mineurs, contre 12% pour la moyenne des autres plate-formes du genre.

Au vu des chiffres, l'Arcom a mis en demeure quinze sites pour qu'ils instaurent «des mesures concrètes afin d’empêcher l’accès des mineurs à leurs contenus». L'instance a également saisi la justice pour demander le blocage de sept d'entre eux, dont Pornhub. Le tribunal judiciaire de Paris doit se prononcer sur ce dossier le 7 juillet.

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