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Pourquoi la lecture de mangas en ligne va exploser en France

«L’attention, on va la chercher là où les gens passent du temps, et cela passe notamment par les smartphones», explique Romain Regnier, fondateur de Mangas.io. [© Mangas.io]
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Année record pour les éditeurs de mangas, 2021 témoigne également d'un tournant dans les habitudes de lecture des amateurs des BD japonaises avec un intérêt croissant pour les chapitres numériques, sur smartphones et tablettes.

Avec 47 millions d'exemplaires vendus dans les librairies et chez les web marchands en 2021, et un chiffre d'affaires de 353 millions d'euros, le marché du manga en France a battu tous les pronostics l'an passé, générant plus du double des revenus constatés en 2020, selon le bilan annuel GfK Market Intelligence en partenariat avec le Festival d'Angoulême (FIBD), publié fin janvier. Des chiffres excellents qui profitent aussi aux plates-formes de lecture de mangas numériques. Elles se nomment Mangas.io, Izneo, Manga Plus ou encore Glénat Manga Max... Et témoignent d'un appétit croissant pour la consommation digitale de BD.

Lancée en mai 2020, la plate-forme de lecture de mangas en ligne Mangas.io souligne d'ailleurs la bonne santé du secteur, avec un public connaisseur toujours plus branché sur le numérique. «Depuis nos débuts, nous avons enregistré une croissance de 600 % du chiffre d’affaire et multiplié par 100 le nombre d’inscriptions», commente pour CNEWS Romain Regnier, fondateur et patron de la plate-forme, qui se félicite d'être passé de un à dix éditeurs en seulement un an et demi d'existence. 

Une part de marché qui répond à la demande

Et pour 2022, tous les voyants sont au vert, alors que les éditeurs, qui ont déjà un public conséquent sur trois générations de Français, sont à la recherche de nouveaux vecteurs de croissance. «Au printemps 2022, notre catalogue comptera plus de 150 licences, contre 40 au début», ajoute-t-il. Kana, l'un des poids-lourds de ce marché, a d'ailleurs rejoint la plate-forme en janvier, aux côtés de Ki-oon, NaBan, Black Box, Mahô, Akata...

Et si l'offre numérique restait encore modeste ces dernières années en représentant 1 à 2 % du marché global de l'édition manga, celle-ci devrait «franchir de nouveau cap, aidée par la globalisation du manga (avec la Corée et la Chine…) et surtout les méthodes de simultrad [traduction simultanée] qui apportent du nouveau pour suivre ses mangas favoris sans attendre les volumes reliés», prédit Romain Regnier.

Nous devrions arriver dans les prochaines années à une répartition de 80 % pour le papier et 20 % pour le numérique.Romain Regnier

Pour le fondateur de Mangas.io, «cette part de l’offre numérique ne peut qu’augmenter. L’attention on va la chercher là où les gens passent du temps et cela passe notamment par les smartphones». Plusieurs raisons amènent également à lire autrement : «D'abord, il y a des limites de tailles de bibliothèques chez les lecteurs, tandis que le marché du manga papier va arriver à un moment à maturité. Les relais de croissance sont forcément autour du numérique, comme le webtoon ou de nouvelles séries qui vont être publiées d’abord en numérique. On devrait arriver dans les prochaines années avec une répartition de l'ordre de 80 % pour le papier et 20 % en France, voire du 50-50 comme au Japon», estime-t-il.

Le profil type du lecteur numérique concerne d'abord la jeune génération autour des 18 ans, selon Mangas.io. «Ils représentent environ 50 % des utilisateurs. Pour eux un abonnement, qui est d'ailleurs accessible avec le fameux Pass Culture, c’est plus intéressant. Notre catalogue était quand même orienté vers un public jeunes adultes et adultes (seinen), avec des histoire plus mûres. Nous avons également beaucoup d'adultes qui ont davantage de pouvoir d’achat et veulent s'orienter vers une lecture légale», précise Romain Regnier, un constat qui suit la transition qui s'est opérée ces dernières années pour les plates-formes de streaming vidéo.

© Mangas.io

«Et si en raison de notre catalogue, c’est encore un public masculin qui est le plus consommateur, une audience féminine va se développer». Manga.io annonce d'ailleurs ce 1er février, l'ajout de sept nouvelles licences orientées autour du shôjô - manga à destination d'un lectorat féminin -, comme Ça reste entre nous, Mon Histoire ou Strobe Edge, issus du catalogue Kana. Enfin, «beaucoup de parents veulent être prescripteurs pour leurs enfants».

La saturation du marché en librairies

«En outre, il y a une saturation du marché du papier. Car avec tellement d’offres de mangas sur les étalages, il est difficile d’avoir de l’attention dans les librairies», explique-t-il. C'est ainsi que certains éditeurs, plus modestes, touchent ici un lectorat dont l'attention est souvent monopolisée par les grandes maisons en magasins.

«Traditionnellement, il y a des cycles avec les sorties mangas où le succès des ventes papier se font dans les premières semaines du lancement. Mais quelques mois après, une œuvre n’est plus d'actualité et perd en visiblité. Sur une plate-forme numérique, malgré des ventes papiers qui peuvent décroître, les titres continuent de générer régulièrement des revenus. C'est le cas par exemple de la série Old Boy chez NaBan. Mise en ligne en juin 2020, elle est restée numéro 2 sur la plate-forme depuis un an et demi», note Romain Regnier. Le numérique possède également un argument de taille : la découverte et le suivi des séries non traduites.

Un avenir autour de la prépublication

L'avenir ? Mangas.io le voit à travers la prépublication des chapitres en direct du Japon, commme c'est le cas pour la simultrad de séries animées sur Wakanim, ADN et Crunchyroll en France. «Par exemple, Kana arrive avec des titres exclusifs en prépublication et en créations originales, comme Sweet Konkrete, avec la même dynamique qu’au Japon. Les auteurs sont ici contents car ils vont gagner aussi en visibilité, avec une prébublication au chapitre», explique Romain Regnier qui compte proposer bientôt une série en simultrad, une première sur marché français.

Un modèle économique scruté de près par Mangas.io. qui envisage également de mettre en valeur les jeunes talents français. «Nous avons un partenariat avec l’EIMA, une école pour devenir mangaka à Toulouse. Mangas.io pourrait servir de tremplin avec certains auteurs indépendants. Nous discutons aussi avec des éditeurs étrangers pour faire découvrir des titres en version numérique qui ne seraient pas édités en version papier en France», met en avant Romain Regnier, qui tempère toutefois en rappelant que Mangas.io reste une société tech sépcialisée dans le numérique.

Et alors que certaines maisons d'éditions japonaises se positionnent déjà sur le marché naissant des NFT, Mangas.io dit «suivre de près leur évolution, mais il y a d'abord des questions de mode et de maturité des technologies à observer». «Il y avait jusqu’à présent un système de duplication facile et difficilement chiffrable sur le Web, mais avec les NFT on introduit un élément intéressant lié à la propriété intellectuelle pour les auteurs. Il y a un intérêt dans cette technologie, mais la forme qu’elle aura va sans doute évoluer», conclut Romain Regnier.

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