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Joël Dicker : «Dans L'énigme de la chambre 622, il y a forcément un peu de moi»

L'énigme de la chambre 622, le nouveau roman de Joël Dicker, est en librairie L'énigme de la chambre 622, le nouveau roman de Joël Dicker, est en librairie[© Jeremy Spierer]

Initialement prévu fin mars, «L’Enigme de la chambre 622» (éd. De Fallois), le nouveau roman très attendu de Joël Dicker, est enfin paru ce mercredi 27 mai. Rencontre.

S’étalant sur une trentaine d’années, cette «Enigme de la chambre 622» (éd. De Fallois) plonge dans une affaire de meurtre perpétré dans le milieu bancaire genevois. Derrière cette affaire, Joël Dicker donne à voir des personnages attachants sur fond de dissimulations et de tourments familiaux, sans compter une étourdissante histoire d’amour et un écrivain se souvenant de son vieil éditeur plus vrai que nature. De quoi ne jamais arrêter de tourner les 576 pages de l’épais volume et de le refermer à regrets.

La publication du livre a été repoussée en raison du confinement. Comment avez-vous vécu ce moment ?

Ce n’est vraiment pas dramatique à l’aune de ce qui s’est passé pour beaucoup de gens que ce soit économiquement, socialement ou même physiquement. Mais personnellement, quand tout s’est arrêté en mars, je me suis demandé ce qui allait se passer pour ce livre, s’il allait sortir un jour. Aujourd’hui, ce qui m’attriste un peu – mais on n’a pas le choix -, ce sont les séances de dédicaces reportées ou annulées. Rencontrer les lecteurs est un moment très fort car cela scelle ce que chacun a fait auparavant dans son coin : lire ou écrire.

Le confinement est-il quelque chose de moins difficile pour un écrivain ?

Ça dépend des écrivains. Il y en a qui écrivent dans les cafés alors que je suis une sorte d’écrivain confiné par essence. J’ai besoin d’être dans le calme absolu pour écrire, de partir m’isoler dans un bureau qui ne se trouve pas chez moi, mettre de la musique et écrire. Pour me confiner, j’ai besoin que le reste du monde ne le soit pas. Je pars de chez moi le matin à l’heure à laquelle les autres vont travailler, je rejoins le monde bruissant avant de me créer ma bulle dans mon bureau.

A partir du moment où tout le monde est confiné, où tout est à l’arrêt, ma bulle d’écrivain confiné ne sert à rien. Ce fut donc une période où j’ai été très peu productif, incapable de créer cette bulle de travail. D’autre part, face à cette actualité très anxiogène, je me suis retrouvé devant la télé à regarder les infos midi et soir et réécouter les infos déjà entendues. Mon esprit était très absorbé par cette inquiétude et ce besoin de savoir ce qu’il allait se passer, alors que pour écrire, j’ai besoin d’un certain apaisement.

Il vous a fallu attendre votre cinquième roman pour placer votre action enfin chez vous en Suisse, et notamment à Genève…

Cela faisait longtemps que je voulais ancrer une histoire à Genève et en même temps, ce n’était pas quelque chose de naturel pour moi. Situer mes actions aux États-Unis relevait d’une facilité pas vraiment consciente : la côte Est que je connais très bien est à 6000 km de l’endroit où je vis. Cela me permettait une certaine justesse dans mes descriptions sans pour autant me confronter aux affres de la réalité : je brode à partir de mes souvenirs pour justement avoir cette distance nécessaire à la fiction, sans me préoccuper de connaître les détails des décors que je raconte. Pour moi, le réel tue la fiction. C’est pour cela que parler de Genève n’était pas simple car j’y suis né et j’y habite. Pour moi, c’est une ville de la réalité. Sortir dans ma rue est la réalité : utiliser cette même rue pour me glisser dans un monde imaginaire n’était pas facile.

J’ai dû me rendre compte qu’il ne fallait pas décrire Genève de façon factuelle mais plutôt en raconter les émotions. C’est en transformant Genève en émotions que j’ai réussi à séparer Genève de ma réalité et en faire le décor de ma fiction.

A propos de réel, vous avez aussi mis en scène un double littéraire ainsi que votre éditeur, Bernard de Fallois. Serait-ce une manière de jouer un peu plus avec vos lecteurs ?

J’écris sans plan. Bernard venait de décéder et j’avais envie de consigner mes souvenir de lui, puis de les partager avec mes lecteurs. J’ai eu ensuite l’idée de rendre hommage à l’homme au travers d’un roman, car c’était bien les romans qui nous avaient réunis.

Dans ce Joël Dicker de papier, il y a forcément un peu de moi mais pas plus que dans mes autres personnages

Pour des raisons de cohérence j’ai eu envie que le narrateur porte mon nom et ainsi jouer un peu sur le jeu de la fiction et de la réalité. Moi-même quand je lis le roman de quelqu’un, j’ai l’impression ensuite de mieux connaître l’auteur, alors que je suis bien placé pour savoir que ce n’est pas vrai ! Dans ce Joël Dicker de papier, il y a forcément un peu de moi mais pas plus que chez mes Anastasia, Olga ou Marcus.

Derrière cet hommage à votre éditeur et votre « mise en scène », est-ce qu’il y a une envie de parler du métier d’écrivain ?

Oui mais je crois qu’il y a plus largement un questionnement autour de l’identité. Chaque écrivain possède sa manière d’écrire. Parce qu’il n’y a pas de formation, qu’est ce qui valide le métier d’écrivain ? Il y a des gens qui écrivent tous les jours et qui n’ont pas forcément envie de se séparer de leur texte, de le partager. Moi, j’ai eu besoin du regard de l’autre, qu’on me dise que j’étais écrivain pour me sentir en tant que tel. C’est très personnel. L’interrogation autour de l’écrivain qui parcourt mes quelques romans correspond surtout à une histoire d’image, à comment on définit l’autre.

La grande originalité de ce roman réside dans le fait qu’on ne sache pas qui a été tué avant plusieurs centaines de pages. Encore un petit jeu avec vos lecteurs ?

Oui et non. Encore une fois, cela ne part pas d’une décision consciente mais du fait que je n’ai pas de plan. J’ai d’abord eu envie de raconter quelque chose de prenant - comme un meurtre - et parallèlement rendre hommage à Bernard. J’avais donc quelques pistes pas très claires ! La banque est arrivée plus tard quand je me suis rendu compte que je souhaitais parler de transmission, de la famille qu’on choisit et celle qu’on ne choisit pas. Une entreprise dans laquelle il y aurait un héritage compliqué entre le fils prodigue et le fils spirituel me paraissait une bonne piste. La banque est venue après.

Je n'arrivais pas à me décider qui faire mourir

Ensuite, quand j’ai été en possession de mes personnages, je n’arrivais pas à me décider qui faire mourir. Une fois la victime trouvée, j’ai eu envie de respecter ce questionnement que moi-même j’avais eu auparavant.

« La vie est un roman dont on sait déjà comment il se termine : à la fin, le héros meurt.» Est-ce que la réalité vous ennuie ?

Non. Mais si on ne sait pas quand ce Coronavirus va disparaître ou ce qu'on va manger ce soir, en revanche, on est certain de mourir. Et c’est le lien avec le roman : tous les personnages y passent beaucoup de temps à vouloir briller aux yeux des autres et à s’accomplir pour les autres, jamais pour eux-mêmes. L’important reste de vivre pour nous-même. Et ce message me paraissait encore plus nécessaire dans le monde dans lequel on vit, rempli de cette volonté d’embellir la réalité avec des filtres, une forme d’imposture qui est rentrée dans les mœurs.

 L’énigme de la chambre 622, Joël Dicker, éd. De Fallois, 576 p., 23 €.

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