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Etienne Klein : «Il n’y a pas de planètes de secours, nous sommes terriens avant d’être humains»

Etienne Klein s'est entretenu avec CNEWS à l’occasion de la 30e Fête de la science. [©JOEL SAGET / AFP]

A l’occasion de la 30e Fête de la science, qui a lieu en France jusqu’au 11 octobre, CNEWS s’est entretenu avec le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein, autour de thèmes variés, allant de l’intérêt du tourisme spatial, à la notion de temps, en passant par le rôle des machines et la vie sur une autre planète.

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, la science est au premier plan. Mais à la fois, elle est aussi à l’épreuve de la défiance. Comment l’expliquez-vous ?

Pendant la pandémie, on a trop souvent confondu la science et la recherche. La science est un corpus de connaissances qui constitue les bonnes réponses à des questions bien posées. Et on ne peut contester la science qu’à partir du moment où on a des arguments scientifiques qui permettent de le faire.

Mais ce corpus est parfois incomplet et pose des questions dont on ignore les réponses. C’est pour cette raison que l’on fait de la recherche. Le moteur de cette dernière activité est donc le doute. Mais lorsqu’on ne fait pas la différence entre les deux, le doute, qui est consubstantiel à la recherche, vient coloniser l’idée même de science. Et on arrive à ce raccourci : la science est le doute.

De plus, certains chercheurs et médecins ont parlé au-delà de ce qu’ils savaient. Cela a également engendré cette perte de confiance. Je pense que lorsqu’un scientifique parle en public dans les médias, il ne devrait pas dire «je», mais «nous», moi et la communauté à laquelle j’appartiens. On a perdu la dimension collective de la recherche et cela a contribué à cette confusion.  

Pourquoi la France perd-elle du terrain dans le domaine de la recherche ?

La facilité serait de dire que l’on ne paie pas assez les chercheurs, qu’il n’y a pas assez de postes, et que les moyens ne sont pas suffisants. Selon moi, la France est un pays qui se pense, plutôt à tort, sur la voie du déclin.

On fait moins confiance à la France pour proposer un avenir meilleur.

Et on lui fait moins confiance pour proposer un avenir meilleur. Mais ce qui est plus inquiétant, c’est que le niveau des élèves français chute.

En effet, une étude internationale publiée en 2020 a révélé qu’en mathématiques et en sciences, les écoliers français sont parmi les plus mauvais d’Europe. Pourquoi les jeunes se désintéressent-ils de la science ? Et de quelle manière peut-on stimuler leur intérêt ?

L’Hexagone est avant-dernière des pays de l'OCDE, juste avant le Chili. Je ne suis pas certain que les Français aient pris conscience qu’en moyenne, un jeune portugais ou albanais, est plus compétent en science et en mathématiques qu’un jeune français. On continue à se bercer d’illusions avec l’idée que la science, dans un pays qui a été le berceau des Lumières, est toujours bien connue, mais ce n’est pas le cas.

Il faut faire en sorte que les connaissances scientifiques soient davantage diffusées dans la société. On se gargarise beaucoup avec la vulgarisation scientifique, j’ai passé ma vie à en faire, et on a l’impression que ça marche. Mais on est victime de ce qu’on appelle un biais de confirmation. Les vulgarisateurs ne rencontrent que des personnes qui s’intéressent à la vulgarisation. 

Un jeune portugais ou albanais est plus compétent en science et mathématiques qu'un jeune français.

La priorité est de repenser notre façon de faire. L’une des possibilités, c’est d’utiliser l’actualité pour faire de la pédagogie. Par exemple, quand les médias utilisent le mot «exponentiel» dans leurs articles liés à la pandémie, ils devraient rappeler ce que c’est précisément, en y passant du temps. Idem pour les vaccins. Lorsqu’on dit qu’ils sont efficaces à 95%, il faut approfondir en expliquant comment on est arrivé à ce résultat et à quoi il correspond.

Trois mois après avoir fait voyager dans l’espace ses quatre premiers passagers dont son fondateur Jeff Bezos, la société américaine Blue Origin prévoit sa prochaine mission de tourisme spatial le 12 octobre prochain. Selon vous, le tourisme spatial est-il viable ?

S’il y a des personnes pour payer, sans doute. Mais est-ce que cette activité est intéressante ? Outre le fait que l’emprunte carbone est énorme, cela me choque que des voyages spatiaux soient simplement touristiques et pas associés à des programmes de recherches. Si des expériences scientifiques étaient menées en parallèle, il y aurait une finalité.

Avec le réchauffement climatique, on peut imaginer que dans un ou deux siècles, la vie sur Terre deviendra très difficile. Est-ce réaliste d’imaginer que la Terre n'est peut-être pas le meilleur des mondes et que l’Homme pourrait être amené à s’installer sur d’autres planètes ?

Non. Il n’y a pas de plan B, de planètes de secours. Nous sommes terriens avant d’être humains. C’est la Terre qui nous a fabriqués. Nous ne pouvons vivre ailleurs que si nous emportons la Terre avec nous. Et puis les exoplanètes les plus proches, restent bien trop lointaines. Cela représente des millions d’années de voyage.

On comprend que notre planète est d’une certaine banalité astrophysique, en même temps que pour nous, elle est unique. Elle est à la fois banale et singulière. Plutôt que d’imaginer que l’on pourrait la saccager puis trouver refuge ailleurs, on devrait travailler à y maintenir la possibilité de notre présence continuée.

C'est la Terre qui nous a fabriqués. Nous ne pouvons vivre ailleurs que si nous emportons la Terre avec nous.

Concernant la planète Mars, est-ce qu’on est prêt à vivre sur une planète où la gravité n’est pas la même que sur Terre ? Dans un endroit où il n’y a pas vraiment d’eau, de nourriture. Et où il n’y a personne qui nous attend ? Sans parler des problèmes pendant le voyage, les éruptions solaires...

Mais cette capacité à changer de milieu et à s’adapter, n’est-ce pas cela qui nous distingue des autres espèces ?

On ne s’adapte pas à tout, il y a des limites. Et la Terre elle-même n’est pas intégralement habitable. Personne ne pourrait vivre longtemps au sommet de l’Everest. Et puis les études montrant que la vie sur des exoplanètes serait possible s’appuie sur des critères d’habilité qui sont très restreints.

D’autres paramètres, comme le rayon cosmique, la gravité, l’atmosphère… sont à prendre en compte. On peut rêver que c’est possible, l’imaginer, le découvrir, mais considérer que c’est une solution, c’est une idée cynique et irresponsable.

Ces derniers mois, notre rapport au temps a été chamboulé. Pourquoi avons-vous parfois l’impression que le temps s’accélère ou qu’il ralentit ?

On confond le temps et les phénomènes temporels. On fait comme si le temps ressemblait à ce qu’il se passe dans le temps. Donc quand le rythme des activités, de la production, et des informations augmente, on a l’impression que c’est le temps lui-même qui s’accélère. Or le temps n’a pas de vitesse.

Quand on est livré à son rythme propre, comme durant le confinement, on perd la notion même de temps.

Quand on veut calculer la vitesse du temps, on divise du temps par du temps. Ce qui nous donne le sens du temps, le sentiment qu’il passe, ce sont les rendez-vous, les marqueurs, temporels, les rythmes imposés. Mais quand on est livré à son rythme propre, comme durant le confinement, on perd la notion même de temps. 

La plate-forme Apple TV+ a commencé la diffusion de la série «Fondation», tirée de l’œuvre d’Isaac Asimov, qui a notamment énoncé les «trois lois de la robotique» afin d’apaiser les craintes de l'Homme envers la «machine». Selon vous, les machines sont-elles plus intelligentes que l'Homme ? Faut-il en avoir peur ?

Dans le bon sens anglais du terme, l’intelligence est la capacité à traiter des informations et à gérer des données. Et cela, certaines machines le font mieux que les Hommes. De ce point de vue-là, elles sont plus intelligentes que nous.

En revanche, elles ne sont pas capables d’empathie, de créer des concepts, et des pensées critiques. Il faut faire en sorte que le travail humain garde une saveur, un sens pour celui qui l’exerce. Cela suppose qu’on le débarrasse des tâches répétitives, et les robots pourraient nous y aider.

Étienne Klein vient de publier aux éditions Le Robert «150 drôles d'expressions pour ramener sa science». Dans cet ouvrage, le spécialiste, aidé de linguistes, fait la lumière sur des formulations bien connues de la langue française, dans lesquelles s’invite le vocabulaire de la science.

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