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J.R.R. Tolkien : pourquoi il faut lire la nouvelle et sublime traduction du Silmarillion

La nouvelle traduction proposée par Daniel Lauzon rend hommage à l'imagination sans limite de J.R.R. Tolkien.[© T.Nasmith/C.Bourgois éditeur]

Si le Seigneur des Anneaux reste le plus grand roman de Fantasy jamais écrit, Le Silmarillion a été, pour J.R.R. Tolkien, le projet de toute une vie, initié dès 1917. Ironie du sort, il dû laisser à son fils le soin de le remanier et le publier après sa mort. La nouvelle et sublime traduction française, qui arrive en librairie, est une occasion unique de se replonger dans cette fresque, et de réviser un peu avant la diffusion, le 2 septembre prochain, de la série Les anneaux de pouvoir, sur Amazon Prime.

«C'est comme un tableau ancien dont on a enlevé le vernis, et dont on retrouve tout l'éclat», explique à CNEWS Vincent Ferré,  spécialiste de l'auteur britannique et professeur de littérature comparée à l'Université Paris-Est Créteil. Il est d'ailleurs partie prenante avec l'éditeur de ce projet de traduction, publié aux éditions Christian Bourgois, une nouvelle publication réalisée de main de maître par Daniel Lauzon, à qui l'on doit déjà les nouvelles traductions du Hobbit, en 2012, et du Seigneur des Anneaux, en 2014. Mais contrairement à ces deux précédents ouvrages, Le Silmarillion offre un panorama complet de tout l'univers créé par Tolkien, de la création du monde et notamment la fameuse Terre du Milieu, jusqu'aux événements décrits dans le Seigneur des anneaux, dans une séduisante diversité de styles, formes littéraires et récits.

Un objet de collection richement garni 

En premier lieu, l'imposant volume attire l'œil et donne envie sans attendre de tourner les pages. Si l'édition précédente ne lésinait déjà pas sur la qualité et l'esthétique, cet ouvrage grand format empile les caractéristiques qui en font quasiment un objet de collection : couverture rigide cousue, dorure, et surtout 49 illustrations, dont 4 inédites, peintes par Ted Nasmith, devenu au fil du temps l'illustrateur presque officiel des oeuvres de Tolkien, avec qui il avait partagé ses oeuvres durant sa jeunesse.

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« S'il existe en version de poche, ce grand format, qui a été conservé par l'éditeur, a toujours été très apprécié des lecteurs français. Il fallait absolument garder un tel écrin, amplement mérité pour cette oeuvre», se réjouit Vincent Ferré. Sans oublier, bien entendu, les nombreuses cartes géographiques - point de départ incontournable pour Tolkien de tous ses récits - essentielles à la compréhension de ce vaste monde à la géologie changeante au fil des époques. 

Une traduction devenue nécessaire

Si l'aspect visuel rend donc honneur à cet imposant travail de retraduction, voir, pour certains passages, de réécriture, c'est bien évidemment le contenu qui fait ici événement. « Cette traduction était devenue une nécessité pour le public francophone, l'ancienne aboutissant parfois à des incompréhensions, voir des contresens complets», explique Vincent Ferré. « Sans juger trop durement l'ancienne version, faite à une autre époque, et avec d'autres moyens, certains partis pris finissaient par trahir les propos de Tolkien. Le personnage de Treebeard par exemple, qu'on traduit en Sylvebarbe ou Barbebois dans le Seigneur des anneaux, était nommé dans le Silmarillion Trois Barbes, pour three beard. Pire encore, les Elfes, premier peuple apparu dans le monde de Tolkien, les «First born» en anglais, étaient traduits en Humains. On finissait par perdre toute la saveur de l'ouvrage à force de difficultés de compréhension».

On finissait par perdre toute la saveur de l'ouvrage à force de difficultés de compréhension.Vincent Ferré

De même, le travail de Daniel Lauzon «rend hommage à la diversité du Silmarillion, avec des chapitres cosmogoniques qui rappellent la Bible, à l'écriture pleine d'emphase et de pompe, puis d'autres, beaucoup plus romanesques, à la forme poétique et au style élevé, comme l'histoire d'amour de Beren et Lùthien, ou encore, avec le récit de Túrin, épiques et proches des tragédies grecques.

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Sa traduction s'est efforcée de coller au mieux à cette diversité, adaptant son style - mais toujours guidé par les notes de Tolkien - à la nature même du récit. On a alors sous les yeux une véritable compilation de textes, ce qu'a au final toujours voulu en faire Tolkien». «Ce livre est, à ce point de vue, une véritable nouveauté pour nous Français», précise Vincent Ferré. «Il rend surtout hommage à l'immense travail de compréhension et de mise en forme réalisé par Christopher Tolkien, qui a su donner vie et cohérence aux milliers de pages et de notes dont il hérita à la mort de son père. En cela, il est presque co-auteur de l'oeuvre originale du Silmarillion».

Une malle au trésor au souffle épique

«C'est grâce à cette diversité des histoires que le Silmarillion peut rencontrer un grand succès et plaire à tous les lecteurs, y compris ceux qui n'auraient pas accroché dès le départ avec le Seigneur des anneaux, et dont ils ne liront alors pas les 1000 pages. Nombreux sont ceux qui au final préfèrent ce livre au classique adapté à l'écran», remarque Vincent Ferré.

Car quand la fameuse Communauté de l'Anneaux se retrouve tétanisée face au Balrog de la Moria, c'est en duel que les Elfes les combattent au fil des pages du Silmarillion. Et quand l'intégralité des peuples libres doit se liguer pour affronter l'ombre de Sauron dans les derniers chapitres du Seigneur des anneaux, le Seigneur du Mordor n'est qu'une menace parmi tant d'autres dans cet ouvrage retraduit en français.

Le Silmarillion est un véritable page turner. Nombreux sont ceux ceux qui le préfèrent au Seigneur des Anneaux.

Vincent Ferré

De la même façon, lorsque Sam affronte vaillamment l'araignée Shelob, elle n'est que le petit rejeton d'Ungoliant, qui fit trembler les dieux eux-mêmes, tel qu'on le découvre au fil des pages nouvellement traduites par Daniel Lauzon. Un ordre de grandeur qui permet de se rendre compte à quel point le Silmarillion recèle de chapitres aventureux, de héros légendaires, de confrontations titanesques et de mystères à l'échelle d'une planète entière. 

«On peut aisément passer quelques pages d'un des chapitres, pour aller piocher dans le récit de la naissance des Elfes, dans celui de l'apparition de l'Anneau, ou chercher les chapitres qui parleront des héros que l'on a suivi dans le Seigneur des anneaux ou le Hobbit. Certains passages, comme celui ou le héros Thingol tombe amoureux de la divinité Melian et décide pour cela de rester en terre du Milieu, sont presque cinématographiques», ajoute-t-il. De quoi faire du Silmarillion « un véritable page turner. C'est, comme l'a toujours imaginé Tolkien, une compilation de sources diverses».

Aux origines des héros du Seigneur des Anneaux

Il offre aussi une nouvelle dimension à certains personnages du récit de Frodon et ses amis. L'elfe Galadriel - inoubliable Cate Blanchett dans les films de Peter Jackson - prend toute sa dimension, elle qui a presque vu le commencement des temps et traverse plusieurs millénaires avant de prêter main forte aux héros du Seigneur des anneaux. Gandalf n'est plus seulement ce magicien venu d'on ne sait où pour sauver les hommes d'un destin fatal, et les poèmes des temps anciens chantonnés par Legolas renvoient à un passé désormais aussi accessible que détaillé. Les ancêtres des grandes lignées prennent vie et participent en chair et en os aux aventures, et chaque ruine figurant sur la carte de la Terre du Milieu a connu son heure de gloire. Elrond, l'apogée des Ents, la lignée d'Aragorn, la création du Rohan ou du Gondor, sont autant d'éléments qui trouvent leur premier écho dans le Silmarillion.

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Et bien entendu, ce fameux anneau unique qui occupe les 1000 pages du Seigneur des anneaux trouve son origine dans les pages du Silmarillion, dans le chapitre Les Anneaux du Pouvoir, ou l'on découvre justement, et dans le détail, comment Sauron, dès l'origine, conçu ces objets maléfiques.

Surtout, se plonger dans ces chapitres haut en couleur offre une relecture du Seigneur des Anneaux totalement différentes. Loin d'en effacer la saveur, il jette sur la trilogie une ombre presque mélancolique, celle des ultimes feux d'une glorieuse histoire entamée il y a des millénaires de cela, quand les Elfes cotoyaient les Dieux, que les arbres gigantesques s'épanouissaient sur des pays entiers, et que la colère d'une divinité pouvaient remodeler la face même d'un continent. Le chemin alors parcouru sur la Terre du Milieu apparait vertigineux. A l'instar d'un Champollion découvrant la Pierre de Rosette, la lecture du Silmarillion offre à voir un monde qu'on croyait disparu. 

Un avant-goût de la série Amazon

« Il faut savoir qu'Amazon a acheté les droits de tourner des histoires tirées des appendices du Seigneur des anneaux, et non du Silmarillion lui-même, et les ayants droits des oeuvres de Tolkien, le Tolkien Estate, très pointilleux sur le respect des écrits, veilleront à ce que la série reste dans le cadre. Mais comme dans ces appendices, vous avez des traces du Premier âge, du Deuxième et du Troisième âge - rappelons que les événements du Hobbit et du Seigneur des anneaux se déroulent à la fin du Troisième âge - les centaines d'années du Deuxième âge qui sont présentées sous formes d'annales historiques forment potentiellement le contenu de cinquante saisons pour Amazon !» analyse Vincent Ferré. «Or, ces "pitchs" là recouvrent en partie des chapitres du Silmarillion, en particulier ceux sur l'île de Númenor», dont Tolkien avait fait une sorte d'Atlantide. «Les gens qui ont envie de découvrir en avant-première le synopsis d'une partie de la série Amazon peuvent lire les pages qui se rapportent à Númenor, terre d'origine d'Aragorn». 

Pour ceux qui attendent avec impatience la série, qui va enfin débarquer le 2 septembre prochain sur la plate-forme, se plonger dans le Silmarillion permettra ainsi de faire passer le temps plus vite, mais surtout de mieux comprendre le cadre dans laquelle elle se déroule, et ainsi en comprendre toutes les subtilités. «On sait aussi que Sauron y jouera sans aucun doute un rôle important. On le voit dans certains chapitres du Silmarillion, dans un rôle d'opposant aux Elfes, sous la forme d'un Roi-Dieu. Toute la fin du Silmarillion nous montre le rôle de Sauron, futur Seigneur des anneaux. Mais là, il est réellement, physiquement présent, avec des affrontements entre lui et des Elfes», conclut Vincent Ferré. 

des thématiques toujours aussi puissantes

Se plonger dans la lecture du Silmarillion, c'est aborder de nombreuses thématiques et questions qui étaient chères à J.R.R. Tolkien, et qui ont traversé toute sa production. Témoin des évolutions de son temps - il entame l'écriture de ce livre en 1917, de retour des tranchées de la Somme - et du basculement du monde dans le XXeme siècle et la modernité, il irriguera ses écrits de sa vision du monde réel. « Tolkien a toujours réflechi par exemple à l'héroïsme des humbles, qui transparait au travers des héros Beren ou Túrin, des rescapés presque hors-la-loi. Ce sont ces êtres là qui font "tourner les roues du monde" comme il le faisait dire à Elrond, ce qui renvoyait à son vécu dans les tranchées, ou la vie du simple soldat dépendait du choix des puissants. Car à leur côté, il y a des héros, presque divins, qui eux sont dévorés par la convoitise, l'ambition, quitte à trahir des alliés, imposer des vengeance.»

Sous des dehors merveilleux, Tolkien célébrait la beauté et la diversité de notre monde.Vincent Ferré

La destruction liée à la volonté de posséder, à la convoitise - celle de s'accaparer, par exemple, les Silmarils, les dangers du pouvoir, traversent les pages de l'ouvrage.

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Mais en amoureux de sa campagne anglaise, ce sont aussi les thématiques liées à la nature - qui feront dire à certains que son oeuvre est "écologique" - que Tokien a placé dans ses histoires. «Dans Le Silmarillion, il y a vraiment des passages de célébration de la beauté du monde, avec la naissance des arbres, la sérénité des collines, la personnification des éléments naturels. Sous des dehors merveilleux, il célébrait notre monde», explique Vincent Ferré, précisant qu'il souhaitait aussi «magnifier la diversité de l'Humanité. A travers les Elfes, les humains, les nains, il présentait simplement diverses facettes d'une même Humanité».  

Le Silmarillion, J.R.R. Tolkien, nouvelle traduction Daniel Lauzon, 480 p., Christian Bourgois editeur, 39,90 €.

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