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Des toxicomanes de Sevran ne se voient pas vivre sans seringue

Utilisation d'une seringue [Martin Bureau / AFP/Archives] Utilisation d'une seringue [Martin Bureau / AFP/Archives]

Ils sont SDF, travaillent sur des marchés ou dirigent leur entreprise. Toxicomanes depuis plusieurs années, ils se procurent leurs seringues dans des distributeurs automatiques, dont le maire de Sevran (Seine-Saint-Denis) a demandé la mise hors-service provisoire après une série d'incidents dans sa commune.

Derrière sa frange rousse et ses yeux maquillés, Emma raconte, la voix éraillée, 20 ans de toxicomanie. Son premier "snif" d'héroïne à 22 ans, le premier "shoot" un an plus tard. "Une connerie", dit cette femme de 44 ans, qui s'injecte toujours de la cocaïne et "un peu d'héroïne".

Elle a dépensé jusqu'à 100 euros par jour pour sa dose, grâce à l'argent des marchés sur lesquels elle travaille depuis l'âge de 16 ans. Mais pour limiter les shoots, elle prend aussi du Subutex.

Chez First, une association de réduction des risques située à l'hôpital Ballanger d'Aulnay-sous-Bois, commune limitrophe de Sevran, elle vient régulièrement chercher des seringues stériles dans l'un des deux automates, en transports en commun, depuis Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) où elle vit.

Stephane Gatignon le maire EELV de Sevran,  le 09 novembre 2012 à Paris [Bertrand Guay / AFP/Archives]
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Stephane Gatignon le maire EELV de Sevran, le 09 novembre 2012 à Paris
 

Avec un passage obligé aux Beaudottes, quartier de Sevran envahi par le trafic. "C'est pas loin du RER et ils ont les deux produits. C'est pour ça que je viens de si loin", explique-t-elle.

Ce quartier --où des patrouilles de CRS sont récemment revenues, à la demande du maire EELV de la ville, Stéphane Gatignon-- a été le théâtre depuis dix jours d'incidents liés à la drogue dans des écoles. Des enfants se sont ainsi piqués avec une seringue retrouvée dans la cour.

"Celui qui a jeté la seringue volontairement, c'est un gros con. Nous, les toxicos, on a tous au moins l'hépatite C !", peste Emma, mère de deux adolescents. Elle ne leur a jamais parlé de sa dépendance."Mais bon, ils ne sont pas bêtes...", soupire-t-elle.

Le teint mat et le corps amaigri, Samy, SDF depuis sa sortie de prison il y a deux mois, se voit, lui, comme "le vilain petit canard" de sa famille, avec qui il a coupé les ponts.

Placé quand il était jeune, il a très tôt connu la prison, où il a étudié et obtenu une licence en marketing. A 45 ans, il dépense 80 euros chaque jour pour du "speed-ball", un mix d'héroïne et de cocaïne qu'il s'injecte. Près de l'hôpital, "il y a plusieurs points d'achat et on se refile les infos entre nous", détaille-t-il.

"Même celui qui nous vend la came ne nous aime pas. On est les derniers dans le système", affirme-t-il. La suspension de la distribution des seringues réclamée par M. Gatignon en est selon lui la preuve. Et il prédit des conséquences désastreuses: "moins on en aura, plus on utilisera de seringues usagées".

"Effet rétro"

Des boites de Subutex [Mychele Daniau / AFP/Archivew]
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Des boites de Subutex
 

L'association First a distribué 26.000 seringues neuves en 2012. "S'ils n'avaient pas été là, je serais fini", renchérit Titi, 39 ans. Les yeux clairs, le sourire facile, il se dit "clean" et raconte avoir "tapé dans l'héroïne" pendant 4 ans à la fin des années 90, puis replongé dans le crack quand il était "dans le creux de la vague".

"Avec mon épouse, on avait une société de transport", retrace-t-il. Avec 7.000 euros de revenus mensuels, le couple se fait construire un pavillon à Sevran. Mais la drogue, avec laquelle Titi flirte à nouveau en 2008, instaure chez lui "une routine négative", suivie d'un divorce et d'un dépôt de bilan.

Suivi par un médecin de l'hôpital, il "espère que ça va tenir", car le manque provoque "des maux de ventre, l'impression qu'on nous casse les os". "C'est pour ça que les toxicos font tout et n'importe quoi pour leur dose".

Pour lui, la fin des seringues en "libre-service" provoquerait "un effet rétro: les gens s'échangeraient leurs seringues, se refileraient des maladies, traîneraient. On aurait dix problèmes à traiter au lieu d'un".

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