En direct
A suivre

Surpopulation carcérale : « il faut changer les mentalités et la législation »

La prison de Fleury-Mérogis connait des tensions à cause de la surpopulation. [ERIC FEFERBERG / AFP]

La surpopulation carcérale mine la plupart des maisons d’arrêt de France.

Au mois de mars, le pays a battu son record de détenus avec 69.430 personnes incarcérées. Or la capacité d’accueil des établissements pénitentiaires en France est de 58.664 places.

La surpopulation carcérale est un véritable fléau dans les maisons d’arrêt, à l’instar de Fleury-Merogis, où elle entraine violence et indignité des conditions de vie des détenus, et met en danger tant les prisonniers que les gardiens. Ces derniers sont d’ailleurs en grève depuis que six d’entre eux ont été blessés, jeudi dernier.

L’Observatoire international des prisons, indépendant, est en première ligne sur la question. Interview avec Amid Khallouf, l’un de ses coordinateurs.

D’où viennent les tensions à Fleury-Mérogis ?

Amid Khallouf : C’est la plus grande prison d’Europe, avec 4.500 détenus pour 2.900 places, soit une surpopulation de 157 %, selon les chiffres du ministère de la Justice. On est donc en situation de surpopulation dans une prison gigantesque, avec des détenus condamnés à de courtes peines ou en attentes de jugement, puisque c’est une maison d’arrêt. Donc les détenus s’entassent. Il y a très, très peu d’accès aux activités, au travail, à la sortie de la cellule. Les détenus ont très peu de marge de manœuvre pour s’exprimer, pour faire part de leurs revendications. Donc la surpopulation et le fait de rester en cellule de neuf mètres carrés 22 heures sur 24, à trois ou quatre, sur des matelas posés à même le sol ça fait un effet de cocotte-minute, générateur de violence.

La détention provisoire est censée être l'exception, c'est inscrit dans le code de procédure pénale.Amid Khallouf

Quelles sont les causes de la surpopulation ?

A.K. : Il y a une recrudescence des infractions qui encourent de la prison ces dix-quinze dernières années. Et les juges ont tendance à beaucoup plus incarcérer, y compris pour de très courtes peines. L’autre cause de la surpopulation, c’est la détention provisoire. C’est censé être l’exception, c’est inscrit dans le code de procédure pénale. Or, il y a 20.000 prévenus en prison. C’est une solution de facilité pour les juges. Ils prononcent un mandat de dépôt comme ça ils ont la personne sous la main, et s’ils veulent l’auditionner, la convoquer, elle est en prison, c’est pratique.

La surpopulation est mal répartie sur le territoire ?

A.K. : Les maisons d’arrêt, qui sont les établissements qui accueillent les prévenus en détention provisoire - donc en attente de jugement définitif - et les personnes condamnés à de courtes peines de deux ans maximum de prison, sont en surpopulation, c’est là où il y a un gros problème.

Dans les centres de détention, pour les détenus condamnés à plus de deux ans de prison, l’encellulement individuel est respecté et il n’y a pas de problème de surpopulation. Et les maisons centrales, qui sont des prisons haute sécurité pour les détenus condamnés à de plus longues peines et considérés comme dangereux ou difficiles, n'ont pas non plus de problème de surpopulation.

Quelle est la solution pour lutter contre la surpopulation ?

A.K. : La solution, c’est de moins incarcérer. Les études prouvent que les personnes qui font de la prison ont tendance à plus récidiver. 61 % de personnes incarcérées récidivent dans les cinq ans après leur sortie de prison. On passe à une trentaine de pourcents quand c’est une peine alternative qui a été prononcée. En termes de coût, la prison c’est 100 euros par jours, les peines alternatives, une trentaine d’euros.

Une peine alternative comme les travaux d’intérêt général permet de ne pas aller en prison, donc de ne pas être désocialisé, et dans le même temps de servir un intérêt général donc de faire quelque chose d’utile. Si la personne est bien accompagnée par des travailleurs sociaux, des éducateurs, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, ça lui permet de réfléchir à ce qu’elle a fait. Ça favorise la sortie de la délinquance.

dm_img_secondaire_oip_0.jpg

 

Capture d'écran du site de l'OIP - section française

Favoriser les solutions alternatives prendrait du temps à mettre en place ?

A.K. : Ça prend beaucoup moins de temps que construire trente-trois nouvelles prisons, qui est la seule solution proposée par le gouvernement, et ça va prendre des années. Alors que prononcer des peines alternatives, les juges peuvent le faire maintenant. Sur 70.000 détenus, 20.000 personnes sont en prison avec moins d’un an à effectuer, ce sont des peines aménageables. Ils pourraient sortir de prison immédiatement, avec une peine alternative à effectuer.

Est-ce qu’il y a suffisamment de personnel pour s’occuper des peines alternatives ?

A.K. : Non, que ce soit en prison ou à l’extérieur, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, ce qu’on appelle les CPIP, sont très peu nombreux, ils croulent sous les dossiers. Il y a quelques mois de ça il y a eu quelques mouvements de ces personnels pour obtenir plus de moyens et plus de postes, donc non ils ne sont pas assez nombreux. Mais investir dans du personnel coûte moins cher que de construire trente-trois prisons, à plusieurs milliards d’euros. 

Savoir qu’il n’y a pas assez de personnel freine-t-il les magistrats à prononcer des peines alternatives ?

A.K. : Non, je pense que c’est plus lié à une ambiance, au contexte post-attentat, d’état d’urgence, très sécuritaire… Il y a des milliers de personnes qui bénéficient de permissions de sortir, il suffit qu’il y ait une personne en permission qui commette une récidive et on va se concentrer là-dessus, et dire que la justice est laxiste. Il y a une ambiance générale très sécuritaire, qui fait qu’on a tendance à plus incarcérer. 

Comment favoriser les peines alternatives ?

A.K. : En plus du changement de mentalité, il faut un changement de législation. Il faut réviser l’échelle des peines. Aujourd’hui les peines de référence c’est la contravention ou la prison. Pour certains délits, il faut faire en sorte que les peines encourues soient alternatives. Il faut un changement de mentalité du législateur donc du gouvernement dans un premier temps, mais aussi du magistrat et de l’opinion publique. Donc ça risque de prendre un peu de temps.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités