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Marine Le Pen présidente de la République : quels seraient ses pouvoirs ?

Les promesses les plus importantes de Marine Le Pen seront impossibles à réaliser si elle n'obtient pas une majorité parlementaire. [MARTIN BUREAU / AFP]

Que se passera-t-il si Marine Le Pen arrivait au pouvoir ? Avec 21,30% de voix au premier tour, une victoire du Front National à l'élection présidentielle n'est pas à exclure.

Les propositions de la candidate d'extrême droite sont nombreuses, et souvent radicales : rendre à la France sa «souveraineté nationale», favoriser l'usage du référendum, réarmer «massivement» les forces de l'ordre, sortir de l'espace Schengen ou encore réguire l'immigration légale. Mais concrètement, quels seraient les pouvoirs, et les limites de Marine Le Pen si elle parvenait à l'Elysée ?

Ce que Marine Le Pen pourra faire, dans tous les cas

Comme il est expliqué sur le site de l'Elysée, la France distingue les pouvoirs propres au Président de la République et ce qu'on appelle les «pouvoirs partagés», qui doivent être contresignés par le Premier ministre ou, si cela est impossible, par les ministres responsables. Cette répartition des pouvoirs est prévue par la Constitution du 4 octobre 1958, toujours en vigueur aujourd'hui.

Nommer un Premier ministre

Si élue, Marine Le Pen sera en mesure de nommer son Premier ministre. Elle a d'ailleurs annoncé qu'il s'agirait de Nicolas Dupont-Aignan, candidat malheureux du premier tour qui avait frôlé la barre des 5%. Cependant, cette place dépendra fortement des élections législatives, qui auront lieu au mois de juin. Si le Front National n'atteint pas la majorité parlementaire, il se peut que la Ve République assiste à sa quatrième cohabitation : le Premier ministre serait alors issu de la majorité parlementaire, peu importe son parti.

Nommer trois membres et le Président du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel comprend neuf membres : trois sont nommés par le Président de l'Assemblée nationale, trois par le Président du Sénat, et les trois derniers membres, ainsi que le Président du Conseil, sont choisis par le Président de la République. Leur mandat, non renouvelable, dure neuf ans. Cependant, un tiers du Conseil est renouvelé tous les trois ans : le plus ancien membre nommé par chacune des autorités laisse sa place à un autre. 

Le Conseil constitutionnel vise à réguler les élections nationale et les référendums.

Lancer un référendum

Marine Le Pen pourra également avoir recours au référendum sur une proposition du gouvernement, ou sur une proposition conjointe des deux assemblées. En cas de cohabitation, elle n'aura pas besoin de l'aval du Premier ministre.

Cette mesure, prévue par l'article 11 de la Constitution, pourrait être essentielle à la présidence de Marine Le Pen : elle a souvent évoqué l'idée de faire participer le peuple français aux décisions du gouvernement. Elle avait par exemple expliqué, lorsqu'elle souhaitait encore sortir de la zone euro, qu'en cas d'échec des négociations, la décision reviendrait au Français via un référendum. Concernant l'appartenance de la France à l'Union Européenne, on peut lire dans ses «144 engagements présidentiels» que des «négociations avec nos partenaires européens» seront engagées, suivies d'un référendum.

Elle veut aussi élargir son usage, et proposer un «référendum d'initiative populaire», sur proposition d'au moins 500.000 électeurs.

Dissoudre l'Assemblée nationale

Marine Le Pen présidente serait également en mesure de dissoudre l'Assemblée nationale, selon l'Article 12 de la Constitution de la Ve République. L'article explique que le Président peut prendre cette décisision «après consultation du Premier ministre et des Prédisents des assemblées», mais il est le seul à faire ce choix : en cas de cohabitation, le Premier ministre pourra exprimer son désaccord, mais sera dans l'incapacité d'empêcher Marine Le Pen de le faire. Des élections générales doivent ensuite avoir lieu, dans les vingt à quarante jours suivant la dissolution.

Cet article est tout justement prévu dans l'hypothèse où le Président ne possède pas la majorité parlementaire, éventualité tout à fait probable dans le cas de Marine Le Pen. Depuis 1958, il y a eu cinq dissolutions : deux sous Charles de Gaulle, deux sous François Mitterrand, et une sous Jacques Chirac, en 1997.

Selon le Canard Enchaîné, il serait possible que Marine Le Pen use de ce droit : Gilles Lebreton, député européen FN et membre du «conseil stratégique de campagne» de la candidate a confié au journal : «Si la nouvelle Assemblée nous est hostile, nous changerons la loi électorale par un référendum organisé dès l'été prochain, puis la Présidente (Marine Le Pen, ndlr) dissoudra l'Assemblée». 

Elle pourrait ensuite en profiter pour reprendre la majorité, en ayant installer son projet d'élection des députés à la «proportionnelle intégrale», qui attribue «une prime majoritaire de 30% des sièges à la liste arrivée en tête» et permettrait ainsi au FN de devenir majoritaire, même avec seulement 20% des voix.

Elle sera chef des armées

Cela veut dire qu'elle présidera les comités supérieurs de la défense, et qu'elle détiendra la force nucléaire. Elle pourra décider seule d'en faire l'usage ou pas. Elle devra également donner son approbation pour chaque soldat envoyé à l'étranger. 

Marine Le Pen n'a pas fait de l'armée sa priorité dans ses engagement présidentiels. Elle souhaite augementer le budget de la Défense à 2%, puis «vers 3% à l'horizon de la fin du quinquennat», doter la France d'un second porte-avions, «Richelieu», et augmenter les effectifs pour qu'ils retrouvent leur niveau de 2007, ce qui nécessiterait un ajout d'environ 50.000 soldats. Elle est également favorable à un rétablissement progressif d'un service militaire d'un minimum obligatoire de trois mois.

Acquérir les «pouvoirs exceptionnels»

Cette mesure est peut-être la plus inquiétante : Marine Le Pen, si élue, pourrait utiliser l'Article 16 de la Constitution pour prendre les «pleins pouvoirs». Cependant, il faut que le contexte s'y prête : cette mesure est prévue pour une situation de crise, «lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate».

Mais ces «pouvoirs exceptionnels» ont leurs limites : si Marine Le Pen en fait l'usage, elle ne pourra plus dissoudre l'Assemblée nationale. Après trente jours d'exercice, «le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions» énoncées plus haut «demeurent réunies». Donc, même si Marine Le Pen choisissait de «prendre les pleins pouvoirs», elle ne serait pas capable de le faire pour plus d'un mois.

Il faut toutefois noter que le futur Président prendra fonction en plein état d'urgence. Marine Le Pen a d'ailleurs exprimé son mécontentement face à un «état d'urgence de pacotille», rappelle Le Figaro. Elle avait également déclaré que selon elle, les manifestations devraient être interdites durant cette situation exceptionnelle. Prendre possession des «pouvoirs exceptionnels» en plein état d'urgence serait une situation inédite et pourrait donc grandement profiter à Marine Le Pen.

Ce qu'elle ne pourra pas faire toute seule

Une partie de ses initiatives exigeraient un contreseing ministériel, c'est-à-dire qu'elles nécessiteront une deuxième, et parfois une troisième signature pour être acceptées.

Nommer les ministres et les ambassadeurs

Contrairement au Premier ministre, la nomination des membres du gouvernement n'est pas réservée au chef de l'Etat. Les ministres sont certes nommés par décrets présidentiels, mais ces derniers doivent être contresignés par le Premier ministre. En cas de cohabitation, Marine Le Pen sera en mesure de refuser des propositions faites par son Premier ministre, mais ne pourra pas lui en imposer.

Seul le Premier ministre et le Ministre de la Justice, le Garde des Sceaux, sont mentionnés dans la Constitution : Marine Le Pen et son Premier ministre pourront donc créer, modifier ou supprimer les ministères qu'ils souhaitent en fonction de leur politique gouvernementale.

Si après les élections législatives, le Front National détient la majorité, et que Nicolas Dupont-Aignan demeure son Premier ministre, la composition du gouvernement sera alors en adéquation avec les choix de Marine Le Pen.

Selon l'article 14 de la Constitution de la Ve République, Marine Le Pen pourra aussi user de ses responsabilités en tant que chef de la diplomatie et ainsi accréditer «les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères», mais cela nécessitera un contreseing.

Grâcier des détenus

Marine Le Pen détiendra le droit de grâce : elle pourra annuler ou modifer une peine. Durant son mandat, François Hollande l'a utilisé trois fois : une fois pour le braqueur Philippe El Shennawy, et deux fois pour Jacqueline Sauvage. Mais ce décret de grâce doit être contresigné par le Premier ministre, ainsi que le ministre de la Justice.

Cependant, il est peu probable que Marine Le Pen en fasse usage si elle est élue : elle fait, dans son programme, la promotion d'une «réponse pénale ferme et rapide». Elle souhaite appliquer une tolérance zéro et «en finir avec le laxisme judiciaire», mais aussi créer quarante mille places supplémentaires dans les prisons.

Retarder la promulgration des lois

Grâce à l'article 10, si élue, Marine Le Pen pourra, si elle le souhaite, demander une nouvelle discussion d'une partie ou de toute la loi, même après son adoption par le Parlement. Cette demande ne peut pas lui être refusée, mais il faut au préalable qu'elle ait été contresignée par le Premier ministre.

Abroger le mariage pour tous

Dans son programme, Marine Le Pen exprime le souhait d'abroger la loi Taubira. Elle ne veut pas «démarier» les couples homosexuels ayant déjà passés le cap, mais veut proposer un «pacs amélioré».

Est-elle capable de le faire ? Tout dépendra de la majorité parlementaire : dans un premier temps, une proposition d'abrogation du mariage pour tous serait probablement bien reçue si la majorité est d'extrême droite, ou des Républicains. «Si une majorité de parlementaires souhaitent abroger la loi du 17 mai 2013, c'est techniquement faisable. Ce qu'un législateur a fait, un autre peut le défaire», explique l'avocate Caroline Mécary à Libération.

Il n'est donc techniquement pas impossible, pour Marine Le Pen, d'abroger le mariage pour tous si elle est élue. Cependant, cela ne dépend pas vraiment d'elle, mais bien du résultat des législatives. Il est peu probable, au vue des résultats du premier tour, que le Front National réussisse à obtenir une majorité. Cela dépendra donc de la gauche, ou de la droite, en fonction de qui sera majoritaire.

De plus, selon un sondage Ifop, 65% des Français seraient favorables au maintien de la loi sur le mariage pour tous. Il ne serait peut-être pas judicieux pour Marine Le Pen, fraichement arrivée au pouvoir, de s'attaquer à une mesure de la sorte.

Retirer le droit du sol

C'est une des propositions phares du projet de Marine Le Pen : retirer l'accès presque automatique à la nationalité française pour les enfants nés en France de parents étrangers. En 2015, près de 26.000 jeunes en profitaient, selon RTL.

Selon le plan de Marine Le Pen, ces enfants issus de parents étrangers devront créer un dossier de naturalisation à leur majorité. L'Etat sera alors en droit d'accepter, ou de refuser leur demande. Différents facteurs seront étudiés, comme le casier judiciaire ou même la scolarité. S'ils essuient un refus, ces enfants garderaient la nationalité de leurs parents et devraient toute leur vie posséder un titre de séjour.

Cependant, ce «droit du sol», et toutes les modalités concernant l'accès à la nationalité, ne relèvent pas de la Constitution, mais bien du Parlement. Si Marine Le Pen ne dispose pas d'une majorité parlementaire, il sera très difficile pour elle de faire passer cette proposition. Du côté des Républicains, la question du droit du sol avait déjà été abordée plusieurs fois, notamment par Nicolas Sarkozy : si la droite remporte les législatives, Marine Le Pen peut réussir, non sans encombre, à retirer le droit du sol, mais cela dépendra de l'Assemblée nationale et du Sénat, et non d'elle.

Interdire le regroupement familial

Marine Le Pen avait évoqué cette proposition sur BFMTV en octobre 2016, qu'elle avait appuyé d'un tweet : «Il faut arrêter le regroupement familial et l'immigration, supprimer le droit du sol, modifier le code de la nationalité». Le regroupement familial concerne les étrangers non européens, installés en France et titulaires d'une carte de séjour, souhaitant y faire venir leur famille.

En 2015, il concernait environ 90.000 personnes : Marine Le Pen souhaite réduire ce chiffre à zéro. Mais cela est-il réalisable ? Même avec une majorité parlementaire, supprimer le regroupement familial reste peu probable : cette proposition irait à l'encontre du «Droit à mener une vie privée et familiale» de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH).

Réduire le droit d'asile

Là encore, réduire le droit d'asile serait compliqué pour Marine Le Pen. Elle souhaite le limiter «aux cas qui le justifient réellement», bien que déjà seulement 24,3% des demandes d'asile ont été acceptées en 2016, selon un rapport de l'Office français des régufiés et des apatrides (OFPRA).

La candidate du FN voudrait diviser ces chiffres par deux, afin que seuls 10.000 demandes soient acceptées chaque année : une loi qui aura du mal à passer, et probablement sanctionnée par la Cour européenne des Droits de l'Homme.

Malgré tout, Marine Le Pen avait à plusieurs reprises demandé l'asile pour Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, dont elle louait les «analyses lucides sur les raisons de nos faiblesses stratégiques, en lien notamment avec notre soumission à l'Union européenne, et donc les Etats-Unis».

Mettre fin à l'éducation gratuite pour les enfants étrangers

«Si vous venez dans notre pays, ne vous attendez pas à ce que vous soyez pris en charge, à être soignés, que vos enfants soient éduqués gratuitement, maintenant c'est terminé, c'est la fin de la récréation !», déclarait en décembre 2016 la fille de Jean-Marie Le Pen. Bien qu'elle soit revenue sur cette proposition, elle est de toute façon irréalisable : elle va à l'encontre de la Constitution, des lois Ferry sur l'enseignement primaire, obligatoire, laïque et gratuit, et même de la Déclaration Universelle des droits de l'homme et de la circulaire ministérielle du 6 juin 1991.

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