La ministre de la Santé et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) ont diligenté une enquête administrative pour «faire la lumière» sur la prise en charge par le Samu d'une femme de 22 ans, moquée au téléphone par deux opératrices des secours avant de décéder peu après, a-t-on appris mardi auprès de la famille.
La ministre de la Santé Agnès Buzyn s'est déclarée «profondément indignée» et a dénoncé de «graves dysfonctionnements».
Je suis profondément indignée par les circonstances du décès de Naomi Musenga en décembre. Je tiens à assurer sa famille de mon entier soutien et demande une enquête de I'IGAS sur ces graves dysfonctionnements. Je m'engage à ce que sa famille obtienne toutes les informations .
— Agnès Buzyn (@agnesbuzyn) 8 mai 2018
L'urgentiste Patrick Pelloux a pour sa part appelé à réformer le Samu. «Il faut éviter la banalisation, le burn-out et tout ce qui correspond à une saturation du travail. Dans ce drame absolu, on entend la souffrance de la malade, et on entend une banalisation de l'urgence de la part de ceux qui répondent au téléphone et ce n'est pas convenable. C'est cela qu'il faut analyser pour ne pas que cela se reproduise», a-t-il déclaré sur France Info. Il y a «entre 25 et 30 millions d'appels qui arrivent au Samu, on ne peut pas remettre tout le fonctionnement du Samu en cause parce qu'il y a eu un incident terrible comme ça. Cet incident doit nous faire réfléchir pour réformer le Samu pour que cela ne se reproduise pas.»
Les réseaux sociaux en émoi
Les réactions indignées se sont également multipliées sur les réseaux sociaux.
La désillusion provoquée par les conditions de la mort de Naomi Musenga, une jeune femme négligée par des opératrices du SAMU, est à la hauteur de l’estime que les Français ont d’habitude pour leurs services de secours. Triste histoire.
— Antoine (@Ant1Adam) 9 mai 2018
#JusticePourNaomi ok. L'opératrice qui a répondu à Naomi a été changé de service. Déjà : elles étaient 2. Ensuite, CHANGÉ DE SERVICE !?!? CHANGÉ DE SERVICE !?!? ON LA VEUT RENVOYÉ ! Autant la mettre au coin, c'est PAREIL !!!!
— Rachel (@imkelraa_) 8 mai 2018
Vous savez quoi? La personne qui a laissée mourir Naomi a été changé de service... aucune sanctions. pays de merde
— J-10 (@IamWielfridkr) 8 mai 2018
Ce que je trouve le + dingue dans l'histoire de la mort de Naomi, c'est qu'il a fallu que les enregistrements fuitent et que les réseaux sociaux diffusent l'info pour que ça sorte de l'ombre 5 mois plus tard.
Sinon quoi ? Ce serait passé crème ?— vertuelle (@MythLod) 9 mai 2018
Des faits remontant à décembre
Les faits remontent au 27 décembre. Souffrant de fortes douleurs au ventre, la jeune femme était seule quand elle avait composé le «15»
pour appeler à l'aide. Elle avait obtenu pour unique réponse de l'opératrice des pompiers, qui prenant en charge son appel avec dédain, lui avait recommandé d'appeler SOS Médecins.
Au bout de cinq heures, elle était parvenue à joindre les urgences médicales qui avaient in fine déclenché l'intervention du Samu. Emmenée à l'hôpital, elle était victime d'un infarctus puis transférée en réanimation avant de décéder à 17H30.
L'affaire a été révélée par le magazine alsacien Hebd'i.
La famille de la jeune femme, qui a écrit au procureur de la République de Strasbourg, a obtenu auprès des Hôpitaux l'enregistrement de son appel téléphonique au SAMU.
Dans ce document sonore, on l'entend qui peine à s'exprimer et semble à bout de force. «J'ai mal au ventre», «J'ai mal partout», «Je vais mourir...», dit-elle en soupirant.
«Vous allez mourir, certainement un jour comme tout le monde», lui répond l'opératrice des pompiers, qui la renvoie vers SOS Médecins, retardant le déclenchement des secours.
On entend également les échanges qui précédent. Elle est moquée en aparté par l'opératrice qui régule les appels du SAMU et une femme du Centre de traitement des alertes (CTA) des pompiers du Bas-Rhin.
«- La dame que j'ai au bout du fil, elle m'a dit, elle va mourir. Si, ça s'entend, elle va mourir.
- Allez donne-moi le numéro (...)
- C'est sûr qu'elle va mourir un jour, c'est certain, comme tout le monde».
Selon le journal Le Monde qui cite le rapport d’autopsie, Naomi Musenga a succombé à l'hôpital des suites d’une «défaillance multiviscérale sur choc hémorragique»: plusieurs organes s’étaient arrêtés de fonctionner.
Dans un communiqué daté du 3 mai, les hôpitaux universitaires de Strasbourg ont annoncé avoir diligenté une «enquête administrative destinée à faire toute la lumière sur les faits relatés dans l’article» du journal alsacien.
Contactée mardi par l'AFP, la direction des Hôpitaux n'était pas joignable.
La ministre de la Santé Agnès Buzyn a annoncé avoir demandé une enquête de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) «sur ces graves dysfonctionnements», s'engageant à ce que la famille «obtienne toutes les informations». «Une réunion à ce sujet se tiendra dans les jours qui viennent au ministère», ajoute Mme Buzyn.
«Des moyens doivent être mis en place»
Dans un communiqué commun, deux organisations de médecin urgentistes ont demandé mardi «un rendez-vous immédiat» avec la ministre de la Santé «pour trouver des solutions aux problèmes de régulation médicale afin qu'un tel drame ne se reproduise pas».
«Les moyens doivent être mis en place pour avoir des régulations médicales modernes et répondant à des critères de qualité», insistent l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) et Samu urgences de France (SUDF).
Les deux organisations soulignent qu'elle «partagent la peine de la famille», se disant «profondément attristées par ce qui s'est passé à Strasbourg».
«La prise en charge des appels relevant tant de la santé (Samu) que des secours (Pompiers) doit être moderne et traitée de façon rigoureuse par les professionnels dont c'est le métier», ajoutent-elles.