L'écrivain Edouard Louis, auteur notamment du roman autobiographique à succès «En finir avec Eddy Bellegueule», a publié une série de messages sur Twitter pour défendre le mouvement des gilets jaunes. Selon lui, ce dernier fait l'objet du «mépris et l'extrême violence à l'égard des classes populaires».
Edouard Louis, né Eddy Bellegueule, est lui-même issu d'une famille modeste, de Picardie. Dans «En finir avec Eddy Bellegueule», il décrivait son milieu social d'origine. Dans le premier des messages postés ce mardi sur Twitter, il affirme ainsi se sentir «personnellement visé» par «le mépris de classe» dont font preuve selon lui politiques, médias et «analystes».
Depuis quelques jours j'essaye d'écrire un texte sur et pour les gilets jaunes, mais je n'y arrive pas. Quelque chose dans l'extrême violence et le mépris de classe qui s'abattent sur ce mouvement me paralyse, parce que, d'une certaine façon, je me sens personnellement visé
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Il évoque ensuite les «corps qui n'apparaissent presque jamais dans l'espace public et médiatique». Des corps «souffrants», «ravagés par l'exclusion sociale et géographique».
J'ai du mal à décrire le choc que j'ai ressenti quand j'ai vu apparaitre les premières images des gilets jaunes. Je voyais sur les photos qui accompagnaient les articles des corps qui n'apparaissent presque jamais dans l'espace public et médiatique
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
des corps souffrants, ravagés par le travail, par la fatigue, par la faim, par l'humiliation permanente des dominants envers les dominés, par l'exclusion sociale et géographique, je voyais des corps fatigués, des mains fatiguées, des dos broyés, des regards épuisés
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Ces corps dit-il, lui rappellent ceux de son père, de son frère, de sa tante, des habitants de son village.
La raison de mon bouleversement, c'était bien-sûr ma détestation de la violence du monde social et des inégalités, mais aussi, et peut-être avant tout, parce que ces corps que je voyais sur les photos ressemblaient au corps de mon père, de mon frère, de ma tante
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Ils ressemblaient aux corps de ma famille, des habitants du village où j'ai vécu pendant mon enfance, de ces gens à la santé dévastée par la misère et la pauvreté, et qui justement répétaient toujours " nous on ne compte pour personne, personne parle de nous"
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
- d'où le fait que je me sentais personnellement visé par le mépris et l'extrême violence de la bourgeoisie qui s'est immédiatement abattue sur ce mouvement. Parce que, en moi, pour moi, chaque personne qui insultait un gilet jaune insultait mon père
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Tout de suite, dès la naissance de ce mouvement, nous avons vu dans les médias des "experts" et des "politiques" se moquer, diminuer, condamner les gilets jaunes et la révolte qu'ils incarnent.
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Ils dénonce l'attitude des médias, des «experts», accusés de se «moquer, diminuer, condamner les gilets jaunes», dénonçant le vocabulaire utilisé comme la «grogne», qui renvoie aux «bêtes» et remplace le terme de «révolte».
Je voyais défiler sur les réseaux sociaux les mots "barbares", "abrutis", "ploucs", "irresponsables". Les médias parlaient de la "grogne" des gilets jaunes : les classes populaires ne se révoltent pas, non, elles grognent, comme des bêtes
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
j'entendais parler de la "violence de ce mouvement" quand une voiture était brulée ou une vitrine cassée, une statue dégradée.
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Il dénonce également l'accent mis sur la «violence du mouvement», en évoquant les vitrines cassées ou les voitures brûlées. Une «violence» qui dit-il est bien moindre que celle infligée aux personnes qui luttent pour leurs conditions de vie. Il note le décalage entre l'accent mis sur «les symboles de la République», alors que les gilets jaunes se battent pour manger ou se soigner. Que leur mouvement répond à une question «de vie ou de mort».
Phénomène habituel de perception différentielle de la violence : une grande partie du monde politique et médiatique voudrait nous faire croire que la violence, ce n'est pas les milliers de vie détruites et réduites à la misère par la politique, mais quelques voitures brûlées
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Il faut vraiment n'avoir jamais connu la misère pour pouvoir penser qu'un tag sur un mouvement historique est plus grave que l'impossibilité de se soigner, de vivre, de se nourrir ou de nourrir sa famille
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Les gilets jaunes parlent de faim, de précarité, de vie et de mort. Les "politiques" et une partie des journalistes répondent : "des symboles de notre République ont été dégradés". Mais de quoi parlent ces gens ?? Comment osent ils ?? d'où viennent ils ??
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Edouard Louis accuse également les médias de mettre l'accent sur le racisme ou de l'homophobie supposés des gilets jaunes, ce qui pour lui est une manière de les stigmatiser. Et au finale d'empêcher «l'émergence d'une parole des classes populaires.»
justement parce que j'évoquais l'homophobie et le racisme présents dans le village de enfance. Des journalistes qui n'avaient jamais rien fait pour les classes populaires s'indignaient et se mettaient tout à coup à jouer les défenseurs des classes populaires
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Pour les dominants, les classes populaires représentent la classe-objet par excellence, pour reprendre l'expression de Pierre Bourdieu ; objet du discours manipulable : de bons pauvres authentiques un jour, des racistes et des homophobes le lendemain
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
dans les deux cas, la volonté sous-jacente est la même : empêcher l'emergence d'une parole des classes populaires, sur les classes populaires. Tant pis s'il faut se contredire du jour au lendemain, pourvu qu'ils se taisent.
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Bien-sûr qu'il y a pu avoir des gestes homophobes et racistes au sein des gilets jaunes, mais depuis quand est-ce que ces médias et ces "politiques" se soucient du racisme et de l'homophobie ? depuis quand ?
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Il pointe ensuite l'hypocrisie des politiques, prompts à dénoncer le racisme de certains gilets jaunes quand ils n'évoquent jamais la violences policières qui vise les «noirs et arabes en France», citant l'exemple d'Adama Traoré.
Qu'est ce qu'il ont fait contre le racisme ? Est ce qu'ils utilisent le pouvoir qu'ils ont pour parler d'Adama Traoré et du comité Adama ? est ce qu'ils parlent des violences policières qui s'abattent tous les jours sur les Noirs et les Arabes en France ?
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
est ce qu'ils n'ont pas donné une tribune à Frigide Barjot et à Monseigneur je-ne-sais-plus-combien au moment du mariage pour tous, et en faisant ça, est ce qu'ils n'ont pas rendu l'homophobie possible et normale sur les plateaux de télé ?
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
quand les classes dominantes et certains médias parlent d'homophobie et de racisme dans le mouvement des gilets jaunes, ils ne parlent ni d'homophobie ni de racisme. Elles disent : "Pauvres, taisez-vous ! "
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
par ailleurs le mouvement des gilets jaunes est encore un mouvement à construire, son langage n'est pas encore fixé : s'il existe de l'homophobie ou du racisme parmi les gilets jaunes, c'est notre responsabilité à toutes et à tous de transformer ce langage.
— Edouard Louis (@edouard_louis) 4 décembre 2018
Il souligne que le mouvement des gilets jaunes est en pleine évolution, et qu'il cherche au mieux à formuler «je souffre». Selon lui, le mouvement doit continuer, «parce qu'il incarne quelque chose de juste, d'urgent, de profondément radical, parce que des visages et des voix qui sont d'habitude astreints à l'invisibilité sont enfin visibles et audibles.»