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Gilets jaunes, antispécistes, écolos… Faut-il être violent pour se faire entendre ?

Les manifestations de gilets jaunes ont souvent donné lieu à des débordements violents, comme ici à Paris, le 16 mars 2019[Alain JOCARD / AFP]

Depuis maintenant plus de cinq mois, les manifestations des gilets jaunes organisées chaque samedi sont régulièrement le théâtre de violences, orchestrées notamment par les «black blocs».

Si certains militants estiment que la violence est nécessaire pour se faire entendre, d'autres mouvements misent eux sur des actions pacifistes pour diffuser leurs idées.

«Certains radicaux disent que leur violence a été plus payante que des décennies de syndicalisme», estime ainsi Rémi Bourguignon, enseignant-chercheur à Panthéon-Sorbonne et spécialiste des mouvements sociaux. Aux yeux de certains, le gouvernement n’aurait jamais consenti à mettre en place à deux reprises des mesures pour le pouvoir d’achat (le 10 décembre 2018 et le 25 avril dernier), si la grogne en était restée à une forme pacifique.

Sortir d'une «pratique sage»

Mais alors, la violence est-elle devenue le seul moyen de faire valoir ses revendications ? «Depuis une quinzaine d’années, le pouvoir politique préfère attendre qu’un mouvement social pourrisse ou s’essouffle, pour faire ensuite passer ses lois», analyse Stéphane Sirot, historien des mouvements sociaux. «Chez certains, l’idée de sortir d’une pratique sage (pour obtenir ce qu’ils désirent) s’est alors construite».

Dès lors, difficile de se sortir de la volonté de marquer les esprits et de se faire entendre par la casse. D’autant que, si la majorité d’un mouvement ne cautionne pas les actes illégaux, il suffit d’un pourcentage minime de radicalisés pour qu’un rassemblement s’embrase.

La mise à l’écart des syndicats, dont le rôle traditionnel est de structurer une colère, de museler les éléments les plus déviants et d’éviter les débordements par le biais de négociations et de compromis en amont, contribue à permettre aux individus violents de s’exprimer.

Le «regard collectif et médiatique ne se porte que sur les actes de violence»

Cette désorganisation donne également la possibilité à des groupuscules d’intégrer un mouvement et de s’en servir pour leurs propres intérêts, à l’image des black blocs actuellement, qui revendiquent de s'attaquer aux symboles du capitalisme, en détruisant, par exemple, des agences bancaires ou à l'Etat en s'en prenant à des symboles, comme la police.

Mais cette escalade vers l’illégalité est à double-tranchant. Si elle permet une médiatisation plus grande, en profitant d’un «regard collectif et médiatique (qui) ne se porte que sur les actes de violence», selon Rémi Bourguignon, elle prend aussi le risque de voir les revendications disparaître petit à petit. Les gouvernements pourraient alors en profiter pour ne pas y répondre, au risque d’alimenter l’engrenage.

Cette utilisation de la violence se retrouve ailleurs. Ainsi, le mouvement antispéciste s’est fait remarquer dernièrement par des actions illégales. Le 8 avril, deux activistes étaient condamnés par le tribunal correctionnel de Lille à dix et six mois de prison ferme (aménageables), pour avoir tagué, brisé des vitrines et utilisé des bidons d’essence et des cocktails molotov pour mettre le feu à des boucheries, des poissonneries, des commerces alimentaires ou un restaurant. «Je voulais faire entendre et rendre visible la voix des antispécistes», se justifiait ainsi l’un d’eux. «Cela fait longtemps que je milite et je me sentais incomprise», décrivait l’autre.

«Les antispécistes sont en ce moment dans une violence symbolique» estime Stéphane Sirot. «Mais la frontière est très mince». Pour le moment, les actions pacifiques (happening, manifestations…), la diffusion de vidéos d’abattoirs ou le relais de personnalités médiatiques tiennent encore une large part dans leur combat. Mais jusqu’à quand ?

Extinction rebellion, une tactique non-violente

A rebours de la montée de la violence comme moyen d'expression, d'autres mouvements actuels, notamment au sein du militantisme écologique, ont choisi la voie pacifique. C’est notamment le cas des marches pour le climat, où la présence de familles dans les cortèges empêchent qu’un terreau favorable aux débordements ne se répande. C’est aussi le mode d’action choisi par les activistes d’Extinction Rebellion, né en Grande-Bretagne et désormais présent en France.

S’ils multiplient les coups médiatiques, comme des die-in (les participants simulent leur mort dans des lieux symboliques), des blocages, des intrusions dans des lieux institutionnels, les militants d'Exctinction Rebellion se présentent comme «un réseau non-violent». «Nous utilisons une stratégie et des tactiques non-violentes, car elles permettent de maximiser nos chances pour provoquer un changement de système», est-il prescrit parmi leurs principes fondateurs.

Comme pour les antispécistes, ces activistes écolo cherchent «la pratique avec la plus grande visibilité possible, (pour) faire valoir leur cause alors qu’(ils sont) minoritaires», invoque Stéphane Sirot. La violence ne serait donc pas le seul moyen de faire entendre sa voix, ses revendications, dès lors qu’un mouvement, qu’une organisation a la volonté et les moyens de s’affranchir des éléments les plus radicaux et incontrôlables.

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