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La semaine de Philippe Labro : Une légende inoubliable, l’indispensable vérité

L'acteur français Gérard Philipe.[AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

MERCREDI 2 OCTOBRE

L’événement Chirac a-t-il relégué, provisoirement, l’événement Rouen, l’incendie de l’usine Lubrizol et ses re­­dou­tables retombées ? Sans doute. En effet, totalement absorbés par la célébration, les hommages multiples, les deux messes, la journée de deuil national, le tout Chirac à la télé, l’opinion publique, comme les responsables politiques, ont-ils été, sinon négligents, du moins un peu distraits. C’est fini, tout cela.

Aujourd’hui, ce qui compte, ce n’est pas de rassurer, mais d’informer, d’expliquer, d’agir. Nous quittons le sacré et la nostalgie pour le principe de réalité. Il faudra suivre le déroulement des choses, raison garder, s’abstenir de jugements hâtifs, souhaiter la transparence. Les habitants de Rouen, tout à leur colère, leurs interrogations, leurs doutes et leurs peurs méritent, désormais, notre solidarité et notre respect.

Jacques Chirac est mort rue de Tournon, dans le 6e arrondissement de Paris. Décidément, cette rue est chargée d’histoire. Il y a celle, toute récente, de ces gens que Chirac aimait tant, qui, spontanément, à peine la disparition de l’ex-président a-t-elle été annoncée, sont venus dans cette petite rue calme témoigner de leur émotion. Or, je relis la page 168 du très beau livre que Jérôme Garcin consacre au Dernier hiver du Cid (éd. Gallimard), le comédien Gérard Philipe, qui vivait au 17 de cette même rue de Tournon, au 2e étage.

«La mort n’a pas encore été annoncée que, déjà, les Parisiens convergent, dans l’après-midi, vers la rue de Tournon. La procession est lente, silencieuse et sonnée. Beaucoup de jeunes filles, une rose à la main, d’élèves sortis des lycées et universités environnants, de femmes et d’hommes tenant, tel un bréviaire, un programme abîmé du TNP, d’artisans, d’ouvriers venus là après le travail, de badauds ébahis.»

C’était il y a soixante ans. Gérard Philipe avait 36 ans. Garcin a épousé sa fille, Anne-Marie. Il a donc appris, entendu, recueilli les confidences d’Anne, sa veuve, et d’Anne-Marie. Il a annoté tout ce qui concerne la fin de celui qui fut «notre jeune homme», le plus élégant, fin, subtil, séduisant, humble, intelligent, éblouissant acteur de sa génération. Dans un récit, tenu, pudique, précis, ciselé, nous suivons les derniers mois de la vie de ce prince – atteint d’un cancer incurable.

Le lycéen que j’étais a eu la chance de fréquenter le fameux TNP (Théâtre national populaire), au Trocadéro, pour aller admirer Le Cid, tel que Gérard Philipe l’immortalisa. Cette allure, cette vigueur gracieuse, ces mouvements sur la scène, cette voix si particulière. Tous ses films étaient des événements : du Rouge et le noir à Monsieur Ripois, en passant par Le diable au corps et Les liaisons dangereuses. Garcin raconte comment sa femme, Anne, entend le professeur François de Gaudart d’Allaines lui dire : «Le cancer de votre mari est très rare, il n’en existe qu’une poignée de cas dans les annales de la médecine.»

Elle lui demande alors : «Combien de temps ?» Il répond : «De quinze jours à six mois. Six mois maximum.» Cette femme exceptionnelle a décidé de ne pas dire la vérité au Cid : «Il ne saura pas.» Tout le livre, dès lors, sans jamais avoir recours au pathos, à l’apitoiement, à l’émotion lacrymale, va reconstruire ces six derniers mois. Le temps qui passe, les tournants dans la vie culturelle française ont, peut-être, fait oublier ce que fut Gérard Philipe, son rôle majeur, sa vie exemplaire (la Résistance, le soutien loyal à un père qui, lui, avait pris le mauvais chemin), l’amour dont il fut l’objet de la part du public, tous âges confondus.

La rentrée littéraire est foisonnante. Le chroniqueur, parfois, ne sait ce qu’il faut choisir et recommander. Mais pour Le dernier hiver du Cid, je n’hésite pas du tout. Lisez-le, c’est passionnant.

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