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Sandrine Graneau, victime d’un choc toxique : «On joue avec notre santé pour se faire du pognon»

En juin dernier, Sandrine Graneau (37 ans), mère de trois enfants et infirmière en Loire-Atlantique, a été amputée suite à un choc toxique. [Crédits : Delphine Delaunay]

En juin dernier, Sandrine Graneau (37 ans), mère de trois enfants et infirmière en Loire-Atlantique, a été amputée de ses deux pieds et de 18 phalanges suite à un choc toxique menstruel. En colère contre les fabricants de protections hygiéniques, elle souhaite parler pour prévenir. Afin d’éviter à d’autres femmes de passer par les mêmes épreuves.

Le syndrome du choc toxique (SCT) est associé à l'utilisation de dispositifs intravaginal, principalement les tampons hygiéniques. Il s’agit d’une affection rare, mais grave, causée par certaines souches de la bactérie Staphylococcus aureus. Ses symptômes sont très semblables à ceux de la grippe.

Quand avez-vous entendu parler du choc toxique menstruel pour la première fois ? 

J’étais gamine. Je lisais les notices des boîtes de tampons de ma mère. On n’avait pas les téléphones dans les toilettes, donc on lisait les notices et les emballages (rires). C’est là que j’ai vu le terme sans y prêter plus attention que cela.

Je ne connaissais pas spécialement les symptômes précis parce que sur les emballages on vous dit juste que, dans de très rares cas, il peut y avoir un risque de choc toxique. Mais ça s’arrête là. Je n’avais pas tant d’informations que ça et j’avoue que je ne m’étais pas non plus posée la question car quand vous lisez «de toutes façons ne vous tracassez pas c’est hyper rare», vous ne cherchez pas plus loin.

Et pourtant c’est quelque chose qui me faisait peur. En 2015, il y a eu le cas du mannequin américain*, ça a fait beaucoup de bruit derrière. Mais en même temps, on a peur d’avoir tout un tas de maladie mais ce n’est pas pour ça qu’elles nous tombent dessus. Moi-même, quand j’ai fait mon choc toxique, j’ai abordé le sujet avec mon mari, mon médecin, et en même temps je n’y croyais pas. 

C’est donc une bactérie qui est à l’origine du choc toxique…

Oui et c’est assez difficile de quantifier car le staphylocoque est là, puis il n’est plus là. Ce sont des choses présentes sur la peau, sur les muqueuses, mais qui peuvent repartir. Aujourd’hui je n’ai pas de staphylocoque, demain j’en aurai peut-être de nouveau un autre. C’est quelque chose d’assez arbitraire.

Racontez-nous la nuit de votre choc toxique…

Dans un premier temps, un membre de SOS médecins est venu et on a évoqué des coliques néphrétiques car j’avais juste des douleurs abdominales et aucun autre symptôme à côté. Tout allait très bien sauf que j’avais très mal au ventre. Mon mari m’a rappelé que j’avais discuté avec lui de la possibilité d’un choc toxique mais on en avait déduit que ça n’était pas ça. Ça a même été éliminé de la liste des pathologies possibles car je n’avais pas de fièvre, j’avais une bonne tension, je ne vomissais pas, j’avais juste mal au ventre et des antécédents familiaux de coliques néphrétiques. Donc, en accord avec le médecin, on a mis ça de côté.

Ça a duré toute une nuit et j’ai été hospitalisée au petit matin. J’ai vu un deuxième médecin vers 5 heures du matin. Là, j’avais de la fièvre, j’étais en grosse hypotension car il ne pouvait même plus me prendre ma tension. Je n’étais pas transportable. Quand ils m’ont mis sur la table d’opération, j’ai fait une énorme réaction cutanée, j’étais rouge écarlate et ça c’est un signe énorme du choc toxique. Tout de suite, le médecin qui était présent a dit que c’en était un. Finalement dans mon cas, dès qu’il y a eu les symptômes, ils ont tout de suite su que c’était ça.

Il y a surtout une très mauvaise information

Les efforts déployés pour parler de cette maladie sont-ils suffisants ?

La problématique c’est qu’on dit souvent aux femmes : «si vous faites un choc toxique c’est parce que vous utilisez mal les produits ». Déjà, c’est hyper violent de se prendre ça dans les dents. En gros, on vous dit que vous n’avez pas d’hygiène, que vous êtes sale, que vous gardez les protections trop longtemps… J’ai vu des trucs passer sur moi (sur les réseaux sociaux) où on dit « en même temps si on garde sa cup pendant 24h faut pas s’étonner d’être amputée derrière». Les gens ne sont pas forcément au courant mais le sujet passe très vite sur la question d’hygiène ou de mésusage, alors qu’il y a surtout une très mauvaise information.

Avons-nous plus d’informations sur la durée de port des protections ?

Sur la cup menstruelle c’est du n’importe quoi. D’un fabricant à l’autre, l’un vous dira 4, 6 ou 12 heures de port… Certains vont conseiller de ne pas en porter la nuit, d’autres vont dire que c’est ok. Certains disent de stériliser uniquement en début et en fin de cycle, d’autres qu’il faut stériliser à chaque fois que l’on vide sa cup. Chacun fait sa petite tambouille, il y a de tout.

Peut-on douter de certaines informations qui ont surtout des fins mercantiles ?

Mais complètement ! C’est ça qui est grave. Je me dis qu’aujourd’hui, on met la santé des femmes en danger en leur faisant croire qu’en utilisant la cup, c’est révolutionnaire. Qu’elle va vous donner plein de liberté, vous permettre de ne pas courir après les toilettes, gérer tous les flux de règles du plus léger au plus abondant. En tant que femme, c’est génial quand on vous dit des trucs comme ça. Sauf que derrière, l’Anses avait déjà fait des études en 2016 et, en quatre ans, plein de fabricants ne se sont pas remis en question sur leurs conseils d’utilisation de produits et continuent de vous dire : «vous pouvez le garder 12 heures».

Alors que la recommandation est de 4 heures, 6 heures grand maximum. Certains sites jouent bien le jeu en comparant les différentes cups menstruelles. Ils marquent noir sur blanc que le temps limite est de 6h. Je ne m’étais pas posée la question, je me disais qu'on est en France, que si on met de tels produits en vente ils doivent passer des batteries de tests, que tout est contrôlé. Et en fait on apprend un jour que les marques font ce qu’elles veulent…

 

J’ai fait confiance, comme des millions de femmes…

Pourquoi êtes-vous passée du tampon à la cup ?

Les tampons ne suffisaient pas, ça fuyait tout le temps. De plus, mon activité professionnelle m’empêchait d’aller aux toilettes quand je voulais et il me fallait une solution avec une meilleure contenance. J’avais aussi des règles qui duraient 10 à 14 jours… Je pense que c’était un facteur favorisant pour développer l’infection parce que je portais énormément ma cup. Même si on l’enlève, la rince, la savonne, c'est quand même porté des jours et des jours à l’intérieur de vous. J’ai fait confiance, comme des millions de femmes…

On a toujours la notion que le tampon est vraiment associé au risque de choc toxique. Et il y a aussi un amalgame avec le fait que ça contienne des produits chimiques. Il y a eu des études qui ont été faites, le fameux reportage sur France 5 («Tampon, notre ennemi intime»).

Il va falloir rechanger les idées que les femmes ont en tête. Il n’y a pas de recensement obligatoire, les médecins ne sont pas obligés de signaler si c’est pathologique. En 2017, il y a eu 24 cas en France. En fait ce sont ceux recensés et on ne connaît pas le nombre de femmes qui subissent un choc toxique.

Quels conseils donneriez-vous à vos filles ?

A mes deux filles, quand viendra l’âge des règles, je leur dirai d’utiliser les protections quand elles en ont vraiment besoin. Ponctuellement. Derrière, tu mets autre chose, il y a les serviettes hygiéniques jetables, lavables, les culottes menstruelles.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?

Plein de choses se bousculent. J’ai envie de prendre rendez-vous avec les réanimateurs qui se sont occupés de moi pour qu’ils me réexpliquent toutes les étapes de ma maladie, ce qui s’est passé, toute ma prise en charge, car je ne comprends pas tout, j’étais inconsciente.

Après, je suis beaucoup dans la résilience, c’est comme ça donc j’avance maintenant. Ma priorité, c’est ma rééducation, ma reconstruction. Et j’ai une facilité à accepter les changements majeurs de ma vie. Je n’ai eu de la colère que récemment. En commençant à relire, à chercher sur Internet les conseils de port de la cup, quand le rapport de l’ANSES est sorti.

Depuis que je suis tombée malade, on m’a demandé pourquoi je ne portais pas plainte. Pour moi, ça faisait partie des risques, c’est tombé sur moi c’est comme ça. Maintenant que je sais que ça fait déjà quatre ans qu’on disait que c’était 4 heures et pas 12, je suis super en colère contre les fabricants et les revendeurs. Parmi ces derniers, certains arrivent à vous mettre des conseils de port différents de ceux du fabricant. La cup que je portais, le fabricant avait marqué 8 heures et un revendeur français avait marqué 12 heures. Ça, ça me met dans une rage que vous n’imaginez même pas. On se fout de nous et on met notre santé en danger. C’est ça que je vois ! Il y en aura de plus en plus si on ne fait rien et que ce n’est pas pris au sérieux. Si on ne met pas un cadre légal, qu’on n’impose pas des notices claires et précises, qu’on ne fait pas de la prévention, ça va virer à la cata. Mon médecin rééducateur me le disait justement : «des femmes comme vous, handicapées, on en aura de plus en plus. Car avant vous mourriez. Maintenant on vous sauve, mais dans quel état». Si personne dans les hautes sphères ne décide qu’il y a des règles précises, il y aura de plus en plus de femmes mortes, handicapées. On joue avec notre santé pour se faire du pognon. Il n’y a pas d’autres mots. Car ça reste un commerce.

Il n’y a pas de possibilité de se rassembler pour entamer une démarche en justice ? 

Je suis assez d’accord avec le principe, mais après il faut mettre ça en route et là c’est compliqué. Plusieurs femmes me demandent de faire ci ou ça… Moi, aujourd’hui, je suis maman de trois enfants. Ça ne fait pas un an que j’ai été amputée, je commence tout juste à sortir de chez moi pour marcher, je n’ai pas les épaules assez larges pour porter ça. Je n’ai ni la force physique, ni la force mentale car je me remets aussi. C’est une vraie reconstruction.

Oui il faut faire quelque chose mais je ne pourrai pas être leader là maintenant tout de suite. J’aimerais aussi qu’on ne se repose pas sur une seule personne. Que chacun essaie de trouver des pistes. Moi, je veux faire évoluer l’histoire. Et je veux y participer concrètement, mais comment ?

*En 2012, la mannequin américaine Lauren Wasser a subi un choc toxique. A l’époque, cette histoire avait mis en lumière ce syndrome.

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