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Le partage des richesses remis en question par le coronavirus

[© CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP]

Rétablir l'ISF, faire davantage bénéficier les salariés de la valeur créée par les entreprises: au moment où la crise met en difficulté nombre de Français, en particulier les plus précaires, des voix s'élèvent pour réclamer un meilleur partage des richesses.

«La crise relance ces débats car en un sens elle exacerbe des inégalités qui préexistent», avec des personnes aux métiers peu valorisés avant l'épidémie qui se retrouvent en première ligne, avance Lucas Chancel, codirecteur du laboratoire sur les inégalités mondiales à l’École d'économie de Paris.

«On se rend compte que notre hiérarchie des salaires ne correspond peut-être pas à ce qui compte vraiment dans nos sociétés», ajoute-t-il.

5 % des Français détiennent un tiers du patrimoine

Le gouvernement a bien promis de réévaluer les salaires des personnels soignants et a demandé aux entreprises de verser des primes aux salariés en première ligne durant le confinement, comme ceux de la grande distribution. Mais pour certains économistes et responsables politiques, il faut aller au-delà et la crise doit faire réfléchir sur une mise à contribution plus importante des plus riches pour passer le cap.

D'autant que plusieurs rapports d'économistes ont montré que les ménages modestes n'avaient pas été les plus gagnants de la hausse du pouvoir d'achat depuis 2018.

Si la France, grâce à son modèle social, est un des pays d'Europe où les inégalités sont les moins marquées, 5 % des Français détiennent tout de même un tiers du patrimoine brut de l'ensemble des ménages, selon une récente étude de l'Insee.

«UN Impôt raisonnable»

Des partis de gauche au mouvement syndical, en passant par la prix Nobel d’Économie Esther Duflo, nombreux sont ceux à plaider pour le rétablissement de l'Impôt sur la fortune (ISF) supprimé par Emmanuel Macron et remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (IFI) au début du quinquennat.

«L'impôt sur la richesse est un impôt raisonnable, pas du tout extrême ou radical» et «il n'aurait jamais dû être aboli», a estimé Esther Duflo. 

«Pure démagogie» a répondu le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui ne veut pas de hausse d'impôt, tandis que le Medef juge que le rétablir serait «un très mauvais signal».

quel partage des profits des entreprises ?

D'autres propositions d'impôt de crise ont émergé, comme celle du responsable de la CFDT Laurent Berger d'un «impôt exceptionnel» sur les sociétés qui n'ont pas été pénalisées par l'épidémie et le confinement.

La question se pose aussi au sein des entreprises, pour savoir comment doivent se partager les profits entre actionnaires, salariés et besoins de réinvestissement.

Ces dernières semaines, de premiers gestes ont été faits : certains dirigeants ont diminué leur rémunération quand une partie de leurs salariés était en chômage partiel et des entreprises ont suspendu ou réduit le versement de dividendes, parfois contraints par le gouvernement qui en a fait une des conditions de son soutien.

La vieille idée du général de Gaulle sur la participation salariale dans les entreprises a aussi ressurgi, par la voix du ministre des Comptes publics Gérald Darmanin.

Répartir l'appauvrissement

«C'est un sujet majeur de justice sociale et, pour les entreprises, de motivation et d'efficacité», estime l'économiste Nicolas Bouzou, président du cabinet Asterès.

Divers dispositifs existent actuellement pour associer les salariés à la réussite financière des entreprises, via les primes d'intéressement ou les plans d'épargne d'entreprise.

Pour Nicolas Bouzou, l'actionnariat salarié «marche très bien dans certains secteurs», comme le bâtiment, et il plaide pour un développement de ces dispositifs.

«C'est vrai que les profits des entreprises vont baisser cette année, mais on est quand même dans une situation exceptionnelle avec un appauvrissement qui va être important», avance-t-il : «il faut en quelque sorte répartir cet appauvrissement au mieux et faire en sorte que ceux qui sont déjà les moins favorisés en souffrent le moins».

Pour Lucas Chancel, le vrai débat «c'est la question des inégalités sur les enjeux de pouvoir» au sein des entreprises. Il plaide pour une «meilleure représentation des salariés» dans les organes où se décident les évolutions de salaires, les montants versés en dividendes, etc.

Pendant la crise de 2008, le débat avait déjà refait surface. Mais pour quels résultats ? Il y a eu «quelques avancées sur la transparence financière», mais globalement «quasiment rien n'a été fait ou presque», juge Lucas Chancel.

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