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«Woke», «SJW», «Karen», «cancel culture» : les nouveaux mots du débat social

Parlez-vous la langue Twitter ? Parlez-vous la langue Twitter ?[Alastair Pike / AFP]

L'utilisation massive des réseaux sociaux combinée à l'intérêt pour les luttes sociales (anticapitalisme, antiracisme, antisexisme) a fait fleurir de nouvelles tendances linguistiques ces derniers mois. On vous explique.

être woke

«Etre woke» c'est être «éveillé» (to wake en anglais) à toutes les injustices sociales qui existent : raciales, sexuelles, financières ; «être woke» c'est donc militer (et le faire savoir sur les réseaux sociaux) pour plus de justice sociale et se dire conscient des inégalités que subissent les minorités. Et c'est aussi critiquer ceux qui ne le seraient pas. Cette expression, très utilisée par les militants de gauche, est sans doute celle qui revient le plus dans le débat numérique et notamment sur Twitter. Le réseau social américain est même qualifié ironiquement de «wokistan», soit le pays du «woke», par certains. 

L'expression, qui traduit une façon d'être qui vient des Etats-Unis, a indéniablement permis à de nombreuses personnes, notamment les jeunes connectés, d'être sensibilisés sur des sujets comme le racisme, le sexisme ou les inégalités sociales. Mais certaines voix estiment que ce militantisme 2.0 hystérise le débat et ne permet pas la discussion nuancée : «ce n'est pas vraiment de l'activisme. Ce n'est pas comme ça qu'on fait changer les choses», a jugé à ce propos Barack Obama, l'ancien président des Etats-Unis, lors d'une conférence en novembre à Chicago.

un SJW

Pour caricaturer les personnes qu'ils jugent excessivement «woke», leurs détracteurs utilisent un mot ou plutôt un sigle : «SJW» pour «social justice warior». Là aussi, ca vient de l'anglais et des Etats-Unis. En français, ca donne «combattant pour la justice sociale». Ce terme n'est pas vraiment nouveau, existe depuis une dizaine d'années sur les réseaux sociaux et a été repris notamment par les sphères militantes de droite. «SJW» est utilisé pour qualifier les personnes qui seraient trop revendicatives dans leur combat militant et sans second degré sur le sujet. A travers ses nombreuses prises de parole sur les réseaux sociaux, où le dialogue est peu permis, en faveur des causes dites «progressistes», le «SJW» semble porter toutes les injustices de la terre sur ses épaules. Quitte à en faire trop et devenir la caricature de lui-même.

LEs karen

Encore une expression qui vient tout droit du pays de Donald Trump et dont l'origine, comme tout bon phénomène né sur Internet, est difficilement identifiable. Une chose est sûre, l'expression est beaucoup plus récente que le «SJW». Sa signification a légérement varié avec le temps. Au début, une «Karen» désignait une femme blanche américaine, âgée de plus de 30 ans, avec les cheveux courts. Particularité de la «Karen» : elle se montre dans sa vie quotidienne extrêmement procédurière, n'hésite pas à se plaindre dans les magasins si quelque chose ou quelqu'un a le malheur de lui déplaire. Pour tenter une traduction française, forcément approximative, imaginez ce que vous inspirent les prénoms Corinne ou Sylvie et vous aurez une petite idée de ce que représente la «Karen» aux Etats-Unis.

Mais, me direz-vous, quel est le lien de la «Karen» avec les luttes sociales ? C'est que depuis quelques semaines, pour les internautes américains, la «Karen» est désormais raciste. La faute, entre autres, à cette vidéo (voir ci-dessous) dans laquelle une femme blanche appelle la police pour une fausse agression d'un homme noir en plein Central Park. Melody Cooper, à l'origine de la vidéo, choisit de surnommer «Karen» la femme qui s'agite ; 500.000 likes plus tard, le prénom semble définitivement avoir acquis une connotation raciste.

Vous l'imaginez, «Karen» n'est pas très «woke» et encore moins l'amie du mouvement #Blacklivesmatter. Voilà pourquoi, désormais, les militants antiracistes américains taxent volontiers de «Karen» tous leurs opposants. Pour l'instant le phénomène reste circonscrit à la sphère militante américaine.

la Cancel culture

Message d'avertissement : le terme de «cancel culture» est soumis à des débats inflammables. Pour l'écrivain américain Thomas Chatterton Williams, auteur d'une tribune contre la cancel-culture, «c’est un phénomène, qui, sans être nouveau, a peu à peu pris de l’ampleur. Ce mouvement prend la forme d’attaques coordonnées, généralement lancées en ligne, contre quelqu’un afin de ruiner sa réputation et de lui faire perdre son emploi» selon une interview donnée au journal Le Monde. Au risque de se répéter, rappelons que cette pratique, comme les précédentes, vient des Etats-Unis.

Les personnes visées par la «cancel culture» sont souvent celles ayant tenues des propos ou commis des actes jugés offensants pour des minorités. Dernier exemple en date, celui concernant JK. Rowling. L'auteure d'Harry Potter a publié sur Twitter des lignes jugées «transphobes» (soit intolérentes aux personnes trans) et certains fans ont appelé à la boycotter, elle et ses ouvrages. Problème, pour beaucoup, cette volonté de réduire au silence les opinions d'une personnalité ou d'un anonyme est incompatible avec une société démocratique et l'exercice de la liberté d'expression. 

Mais on peut se poser des questions sur l'efficacité réelle de la cancel culture : même si JK. Rowling en a été «victime», est-elle pour autant aujourd'hui invisible médiatiquement ? La vente de ses ouvrages a-t-elle chuté brusquement ? Les militants engagés, eux, jugent que non et que parler de «cancel culture» est donc abusif. Chacun se fera son opinion.  

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