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Anne Hidalgo et les écologistes, je t'aime moi non plus

[© Bertrand GUAY / AFP]

Déjà mise à mal à plusieurs reprises depuis le début du deuxième mandat d'Anne Hidalgo, l'union entre la maire de Paris et les écologistes semble plus proche que jamais de l'explosion. La socialiste a en effet sévèrement taclé ses alliés, qui n'entendent pas se laisser malmener.

Comme tous les bons drames, celui-ci s'est joué en trois actes. Le premier remonte au conseil de Paris du mardi 17 novembre, au petit matin. En préambule d'une séance consacrée au budget qui s'annonce délicate, un hommage est prévu pour Samuel Paty. Anne Hidalgo propose de voter pour qu'un lieu porte son nom. Une formalité, pouvait-on penser, que de rendre hommage à la mémoire d'un professeur assassiné par un terroriste, surtout dans un hémicycle majoritairement à gauche.

En réponse, Fatoumata Koné, présidente du groupe écologiste, souligne à deux reprises la volonté des verts de voter cette proposition d'Anne Hidalgo. Mais elle précise surtout son regret que le règlement parisien datant de 1938 – qui implique d'attendre 5 ans avant de nommer un lieu en hommage à une personne décédée – ne soit pas respecté, comme «à chaque fois». Elle regrette en effet des décisions prises «sous le coup de l'émotion».

Les verts accusés de s'être abstenus, à tort

Quand le résultat des votes s'affiche, stupeur dans l'assemblée, vingt conseillers de Paris n'y ont pas pris part. Après les propos de Fatoumata Koné, plusieurs membres de la droite s'en prennent immédiatement aux écologistes, emmenés par le maire LR du 16e arrondissement, Francis Szpiner. Celui-ci publie un message sur Twitter accusant les verts de s'être abstenus de voter, qui se propage alors comme une traînée de poudre.

Problème : pour respecter les règles sanitaires à cause du Covid, une partie des élus ne siégeait pas à l'Hôtel de ville, mais en télétravail. Et un bug technique a empêché la participation de plusieurs conseillers, sans qu'on ne sache vraiment de quoi il retourne. Résultat : 5 verts se sont abstenus... Ainsi que 7 socialistes, 7 LR et même 1 communiste.

Deuxième acte, mardi midi, dès la pause du conseil de Paris. Les écologistes battent le rappel pour faire savoir qu'ils ont bien voté en faveur de cette proposition. Juste à la sortie de l'hémicycle, Francis Szpiner, penaud, assure qu'il «n'avait pas la volonté de donner une fausse nouvelle», même s'il maintient que «l'intervention de Fatoumata Koné était déplacée». Malgré la longue traîne sur les résaux sociaux, l'affaire fini par se tasser au fil des heures et des jours.

Troisième acte, samedi, Anne Hidalgo fait face à Ruth Elkrief, sur une chaîne de télé à dimension nationale, BFM. La maire de Paris, en citant l'exemple de Samuel Paty, dit alors qu'elle a «un problème» avec ses «partenaires verts», à savoir «leur rapport à la République», qui, selon elle, «doit être clarifié». Relancée, la socialiste appelle notamment «une partie de la gauche et des écologistes» à sortir de «l'ambiguïté».

«Réunion de crise» depuis la place du Trocadéro

Stupeur chez les écologistes, alors qu'au même moment, se tient le conseil fédéral d'Europe-Ecologie Les Verts, qui doit notamment déterminer la feuille de route du parti en vue de 2022. La riposte s'organise vite. Peu après, place du Trocadéro, plusieurs élus écologistes parisiens, dont leur leader David Belliard, se réunissent en pleine manifestation contre la proposition de loi sur la sécurité globale. Autour de l'ancien candidat aux municipales devenu depuis puissant adjoint aux transports d'Anne Hidalgo, ils tiennent une «réunion de crise» via l'application Zoom.

Les contre-attaques fusent durant tout au long du week-end, depuis la capitale et ailleurs. Les cinq adjoints verts qui font partie de l'executif d'Anne Hidalgo montent successivement au créneau. Ils repoussent tous les critiques sur une prétendue «ambiguïté», et dénoncent «les mensonges», les «fake news» ou encore «l'injustice» et le manque de «responsabilité» d'Anne Hidalgo :

C'est ensuite au tour de Julien Bayou, secrétaire national d'EELV (et candidat aux régionales 2021 en Ile-de-France), d'accuser la socialiste «d'instrumentaliser ce drame national à des fins politiques» et d'attendre «des excuses», sur RFI. L'eurodéputé David Cormand s'en prend aux «égarements de la maire de Paris», soulignant que «l'heure n'est pas au calculs politiciens et opportunistes», sur Twitter. Même Eric Piolle, maire écologiste de Grenoble et grand allié d'Anne Hidalgo, évoque une «sortie de route», dans Le Dauphiné.

Alors face à une telle levée de bouclier de la part de ses alliés, se pose forcément la question du but recherché par Anne Hidalgo avec ces propos, personne ne pensant vraiment qu'il puisse s'air d'une boulette de la part de cette élue aguerrie. «Avez-vous déjà vu Anne faire une maladresse ?», répond aussi sec un proche d'Anne Hidalgo. Alors qu'on lui suggère plusieurs hypothèses, celui-ci évoque un «coup de semonce pour les informer de quelle sera la ligne rouge pour elle».

Il pourrait en effet s'agir d'une manière pour Anne Hidalgo de mettre la pression sur les écologistes parisiens. Des élus qui n'hésitent pas, et depuis longtemps, à dire ce qu'ils pensent et à voter suivant leurs convictions, quitte à s'opposer à des projets portés par l'équipe d'Anne Hidalgo. Et qui se retrouvent sous les projecteurs médiatiques à la suite des bons scores successifs d'EELV en France lors des élections européennes et municipales.

Elle a voulu mettre un taquet aux écologistes dès que l'occasion s'est présentéeUn membre de la majorité d'Anne Hidalgo

Autre possibilité : la rancœur. Sous l'impulsion de nouvelles élues écologistes, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, l'un des proches de la maire, Christophe Girard, a été contraint à la démission en juillet dernier. La socialiste s'est d'abord arc-boutée pour défendre son historique adjoint à la culture, malgré les accusations le visant de proximité avec le pédophile présumé Gabriel Matzneff. Très en colère, la maire avait menacé d'expulser les deux féministes de la majorité, et les avait écarté de plusieurs fonctions internes à l'hôtel de ville. Anne Hidalgo a finalement lâché du lest en août, au moment où Christophe Girard a été accusé d'agression sexuelle sur mineur.

Mais l'épisode pourrait avoir laissé des traces chez la socialiste. «Elle a voulu mettre un taquet aux écologistes dès que l'occasion s'est présentée, en partie par vengeance», pense un membre de la majorité. «C'est peut-être une riposte après l'épisode Girard. Mais Bertrand Delanoë n'aurait pas fait l'erreur politique de propager une fake news», compare un écologiste.

Enfin, certains ne peuvent s'empêcher de penser qu'Anne Hidalgo a des visées plus larges, alors qu'elle est régulièrement nommée comme une possible présidentiable en vue de 2022. «Son idée était peut-être de se créer une image nationale, en incarnant une écologie raisonnable, sans ce que certains considèrent comme les travers d'une partie des verts et de la gauche. D'autant qu'elle a une vraie cohérence sur ses valeurs républicaines», analyse un membre de sa majorité.

Anne Hidalgo «a dit ce qu'elle pensait»

Joint par téléphone, le bras droit d'Anne Hidalgo, Emmanuel Grégoire, répond presque avec candeur : «c'est simple, elle a dit ce qu'elle pensait. Il n'y a aucune intention derrière».

Selon le premier adjoint de la maire, le problème n'est pas lié à la fausse abstention des verts, il est plus profond. «Nous savons bien que Fatoumata Koné a dit que les écologistes étaient en faveur de cette proposition. Mais elle a fait une longue périphrase, peut-être par maladresse, qui a été mal interprétée par beaucoup de monde sur tous les bancs de l'hémicycle. Anne Hidalgo avait déjà réagi de la même façon en conseil de Paris». Un extrait vidéo de la séance montre en effet la réaction tendue de la maire :

Emmanuel Grégoire persiste et signe, à titre personnel : «les propos de la présidente du groupe écologiste m'ont semblé incongrus, et renvoient chez certains écologistes à des expressions alambiquées sur ces sujets-là. Ce n'est pas la première fois qu'ils émergent chez les verts, Yannick Jadot lui-même a déjà été mis en difficulté dessus».

Des propos qui suscitent une profonde incompréhension dans les rangs écologistes. «Pour nous, il n'y a aucun débat sur la laïcité. C'est loi 1905 et point à la ligne. Idem pour toutes les autres valeurs de la République», répond un cadre des écologistes de la capitale. «Si elle se pose des questions sur les débats internes des écologistes, j'invite Anne Hidalgo à prendre sa carte chez EELV et elle verra que les réponses sont limpides», ajoute Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris écologiste et porte-parole EELV Ile-de-France.

Un point de vue que partagent certains membres de groupe d'Anne Hidalgo, comme le socialiste Frédéric Hocquard, son adjoint au tourisme. «Dans notre majorité, il y a bien sûr des nuances, mais il ne doit pas y avoir de faux débats : toutes et tous y sont républicains», a-t-il écrit sur Twitter, refusant toutefois de s'exprimer plus longuement.

D'autres membres de la majorité vont plus loin : «cette sortie est inutile et contre-productive. C'est lâcher la proie pour l'ombre. Si sa majorité est fragilisée à Paris, son image sera au final fragilisée. Depuis septembre, les relations s'étaient réchauffées avec les écologistes, nous commencions à voir un esprit équipe, un travail commun. Donc ça tombe mal, surtout à un mois du vote du budget... ».

Des mandales, les écologistes nous en ont déjà mis un paquetEmmanuel Grégoire, premier adjoint d'Anne Hidalgo

Déjà secoué en juillet, l'attelage rose-vert semble cette fois au bord du précipice. «À aucun moment nous n'avons dit que nous souhaitions cesser de former cette majorité. Mais si la tête de cette majorité continue à taper sur écologistes, surtout sur des bases fausses, cela va poser question», s'agace Raphaëlle Rémy-Leleu. «Nous savons très bien pourquoi nous avons conclu un accord. Il y a de nombreuses urgences à gérer, sanitaires, économiques et climatiques. Les Parisiens attendent que nous mettions en oeuvre des projets pour répondre à leurs problèmes. Nous sommes là pour travailler et changer Paris», tempère néanmoins un cadre écologiste.

«Quand les verts nous envoient des scuds en pleine tête, nous ne disons pas que c'est la fin de la majorité. Nous parlons, nous disons que nous ne sommes pas contents. Quand il y a eu une banderole "bienvenue à pédoland", on l'a dit. Des mandales, ils nous en ont déjà mis un paquet depuis le début de cette mandature», s'emporte Emmanuel Grégoire. Avant de vite se calmer : «cela fait partie de la politique. Ils ont besoin qu'on dise que nous les aimons ? Et bien, oui, nous les aimons. Ce sont des partenaires précieux. Et j'ai le sentiment que nous travaillons efficacement avec eux», conclut le bras droit de la maire.

«De toute façon, personne n'a intérêt, à ce stade, de faire exploser la majorité. C'est d'ailleurs une des forces d'Anne Hidalgo d'avoir été capable de rassembler la gauche et les verts. Elle ne peut pas se permettre de perdre cet atout», résume un élu parisien de gauche. Une évidence qui se retrouve sur le plan arithmétique : dans la capitale, Anne Hidalgo dispose aujourd'hui de 55 élus, soit autant que sa rivale de droite Rachida Dati. Elle ne peut donc obtenir la majorité (82 élus) qu'à l'aide des 24 membres du groupe EELV. Ses autres alliés, communistes (12) et Génération.s (5) sont insuffisants. La maire de Paris ne peut donc se passer des écologistes, qui, eux, ne peuvent exister seuls.

Une mise au point est prévue ce lundi en fin de journée entre Anne Hidalgo et Fatoumata Koné, la présidente des élus écologistes. «Il n'y a absolument rien d'irréconciliable», assure-t-on dans l'entourage de la maire. De toute façon, il peut difficilement en être autrement.

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