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Alain Bergounioux, de l'Observatoire de la laïcité : «La laïcité, ce n’est pas quelque chose qui est contre la religion»

Le projet de loi contre le séparatisme, rebaptisé «projet de loi confortant les principes républicains», est présenté ce mercredi 9 décembre en Conseil des ministres. Une date loin d'être choisie au hasard puisqu'elle coïncide avec l'instauration de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, en 1905, définissant les principes de laïcité. Alain Bergounioux, membre de l’Observatoire de la laïcité, organe consulté par le gouvernement et lui ayant apporté son expertise technique en préparation du texte, décrit à Cnews les problèmes rencontrés autour de cette notion si chère à la France.

Quelque 115 ans après la loi 1905, comment expliquer le retour de la laïcité au centre des débats de notre société ?

La laïcité est en réalité redevenue un sujet majeur depuis 1989 et l’affaire des foulards de Creil (trois collégiennes avaient été exclues pour avoir refusé de les enlever). Il y avait eu un long moment d’apaisement auparavant, qui s’est terminé avec l’arrivée de la question de l’islam. Cette religion a posé un problème majeur : la visibilité de ses signes religieux, dans une société française qui, en grande majorité, ne les montre pas. Cela a fait revenir dans le débat une question du début du 20e siècle dont on avait trouvé la solution, mais qui a été remise en cause. Il y a aussi le problème de l’islam politique et les nombreux attentats qui ont touché la France. Forcément cette religion a été observée de près, et son rapport à la laïcité est ressorti.

Justement, comment faire respecter les principes de laïcité au quotidien ?

Au quotidien, la laïcité est quand même majoritairement respectée. Les problèmes rencontrés avec certaines personnes de confession musulmane viennent surtout du fait qu’elles ont un rapport avec leur culte ou leurs signes religieux qui n’est pas le nôtre. Ce qu’il faut, c’est faire respecter les lois. Il s’agit d’un travail d’accommodation, pour ancrer les valeurs laïques et républicaines. La laïcité est surtout un problème dans certains quartiers, qui connaissent d’autres difficultés, comme l’emploi ou la délinquance. Tout se mélange. Les spécialistes débattent même pour savoir s’il s’agit d’un problème purement religieux, ou social. Le plus important, c’est de faire comprendre que la laïcité fait partie de l’identité française.

Quelle est cette laïcité «à la française», que certains pays ne comprennent pas ?

Notre laïcité est le produit de notre Histoire. Le point clé, c’est la séparation entre l’Eglise et l’Etat, entre la religion et la politique. Elle doit garantir la liberté de conscience et de culte, c’est-à-dire de croire en ce que l’on veut, mais aussi d’avoir le droit ne pas croire ou de ne plus croire, le tout dans le respect de l’ordre public. Le projet de loi du gouvernement doit d’ailleurs définir quel est cet ordre public. Par exemple, prêcher des paroles antirépublicaines, ou ne pas respecter l’égalité homme/femme dans une association, c’est interdit. La laïcité, c’est aussi la neutralité (l’Etat est laïque) et l’impossibilité qu’une religion influence une loi.

Il ne suffit pas d'apprendre par cœur la charte de la laïcité

De nombreuses atteintes à cette laïcité sont rapportées chaque année, notamment dans les écoles ou les collèges. Comment l’enseigner aux plus jeunes ?

C’est compliqué de l’enseigner. Surtout, il ne faut pas croire qu’il suffit de leur faire apprendre par cœur la charte de la laïcité. Le moyen le plus sûr est d’abord de contextualiser les choses, en impliquant l’idée de tolérance, en parlant des guerres de Religion qu’il y a eu en France (durant la seconde partie du 16e siècle). Après cette compréhension historique, il faut l’expliquer dans le présent. Ce n’est pas simple, il faut faire parler les élèves, leur faire comprendre que la laïcité, ce n’est pas l’athéisme, ce n’est pas quelque chose qui est contre la religion. Faire comprendre ça, ce serait déjà gagné. Ensuite, il faut aussi leur rappeler qu’aucune religion ne décide de la loi qui nous fait vivre ensemble. La tâche est difficile, mais c’est le rôle de l’école.

Concernant les étrangers qui arrivent et s’installent en France, comment leur faire comprendre et respecter cette valeur ?

Il faut des mesures plus efficaces, pour leur faire comprendre ce qu’est la culture française. Quand ils font des demandes d’asile ou de naturalisation, il faut être sûr qu’ils la connaissent et vont la respecter. Il y a besoin d’une acculturation de la part des étrangers qui veulent vivre en France. C’est nécessaire. Il faut que ce soit une condition à l’obtention d’un visa ou de papiers. Mais j’ai l’impression que ce n’est pas dans le projet de loi, c’est dommage. Je sais que ce n’est pas possible de tout assimiler en quelques mois, mais il faut un minimum de compréhension de la société dans laquelle on arrive. C’est l’un des défis d’aujourd’hui.

Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France, a émis l’idée de faire un référendum sur la laïcité. Quel serait l’intérêt ?

Je ne vois pas vraiment l’intérêt. Le principe de laïcité existe déjà dans la constitution, donc ce serait problématique de le réintroduire. Que faire de plus ? Si les questions portent sur des points précis, comme le port du voile pour les personnes accompagnant les sorties scolaires, par exemple, alors ce serait plus concret. Mais il faudra assumer tous les débats et ce qui en découlera.

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