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Bac philo 2021 : le corrigé des sujets avec la philosophe Marianne Chaillan

Marianne Chaillan est l'autrice de nombreux essais sur la «pop philosophie». Marianne Chaillan est l'autrice de nombreux essais sur la «pop philosophie». [Marianne Chaillan / DR]

Pour cette édition 2021, les lycéens avaient le choix non pas entre trois, mais quatre sujets lors de l'épreuve de philosophie du baccalauréat, qui s'est tenue ce jeudi matin. Parmi eux, trois sujets de dissertation, différents en fonction des filières, sur lesquels CNEWS a fait plancher la professeure de philosophie Marianne Chaillan.

La jeune femme, qui exerce au lycée Saint Joseph de la Madeleine à Marseille, (Bouches-du-Rhône) est également écrivaine. Fait à souligner, Marianne Chaillan est une pionnière de la «pop philosophie», sur laquelle elle a écrit de nombreux essais. Son dernier ouvrage, «In Pop We Trust» (Edition des Equateurs), est d'ailleurs paru l'an dernier. Du reste, elle fait part régulièrement de son actualité sur son site internet et son compte Instagram.

Cette année, les quelque 715.000 candidats au bac 2021 avaient ainsi le choix entre un commentaire de texte et trois sujets de dissertation, contre deux habituellement. Un changement destiné à prendre en compte l'impact de la crise du Covid-19 sur les élèves et l'avancement des programmes. Autre aménagement, seule la meilleure note entre l'épreuve et le contrôle continu sera prise en compte.

Avenir, violence, savoir... l'espace d'une matinée, Marianne Chaillan s'est donc remise à la place d'un candidat au bac, planchant sur les sujets en même temps que les lycéens. Mais avant que certains ne s'étranglent en voyant que leur composition ne correspond pas du tout aux indications de la philosophe, celle-ci a tenu à leur faire passer un message.

«Les développements qui suivent ne constituent pas une réponse impérative. Ce sont les idées qui me sont venues à la lecture des sujets. Si vous avez choisi d’autres auteurs ou d’autres plans, aucune inquiétude ! Il n’y a pas de figures imposées. Ce qui compte, c’est d’avoir posé un problème et de l’avoir résolu avec l’aide de quelques références philosophiques ! Faites-vous confiance.»

Série générale

Sujet 1 : Discuter, est-ce renoncer à la violence ?

En introduction, Marianne Chaillan propose de partir d'une situation banale. «S’assoir autour d’une table pour discuter semble marquer le renoncement à la violence. Parler, ou se parler, c’est déjà – semble-t-il – avoir sorti le drapeau blanc», explique-t-elle. «Et à l’inverse, la violence semble souvent ce moment où la parole est rompue.» Mais certaines discussions peuvent s'avérer violentes. «On peut se faire la guerre avec des mots», note-t-elle.

Ainsi, dans une première partie, la professeure de philosophie propose de montrer que discuter n'est pas forcément renoncer à la violence. «La parole peut se révéler, au contraire, être le lieu de l’exercice d’une violence ou d’un combat», explique-t-elle, évoquant «une violence symbolique des paroles». «Si elles ne laissent pas de traces apparentes, comme des coups peuvent le faire, les paroles peuvent tout autant blesser», ajoute-t-elle. Pour cette partie, les candidats pouvaient se tourner vers Pierre Bourdieu ou Sigmund Freud, les deux auteurs ayant analysé la possible violence symbolique du langage.

Dans une deuxième partie, Marianne Chaillan propose de développer la thèse inverse, selon laquelle «il peut y avoir un bon usage de la discussion, où la parole tente précisement de rompre le cycle de la violence et où même, la parole possède la vertu thérapeutique de soigner les violences». Il est alors possible de citer de nouveau Freud, dont la méthode thérapeutique porte le nom de «talking cure», soit la cure par le fait de discuter.

En troisième partie, la philosophe propose de convoquer LE grand penseur sur le sujet : Platon. «Quels que soient les sujets qu’il place au cœur de ses textes (la vertu, la piété, l’art, etc.), il nous enseigne toujours en même temps dans ces œuvres, qui justement sont des dailogues - ou des discussions -, comment le dialogue véritable repose sur la cessation de la violence.» Si, «parfois les interlocuteurs ne sont pas aptes à entendre ni à se faire questionner, et dans ce cas-là, le dialogue échoue», souvent le dialogue réussit, explique Marianna Chaillan. «Il nous enseigne que discuter, c’est renoncer à la violence sans refuser la contradiction. Et même renoncer à la violence est le préalable nécessaire pour discuter. Dès que la violence réapparaît, le dialogue se rompt.»

En conclusion, la professeure propose d'élargir en écrivant que «la philosophie tout entière, qui apparaît parfois comme "un champ de bataille" (Kant), nous montre comment discuter ce n’est pas renoncer à la contradiction mais au contraire l’aimer, comme la condition nécessaire du déploiement de la pensée». «Discuter vraiment, si discuter signifie dialoguer, c’est bel et bien renoncer à la violence», conclut-elle.

Sujet 2 : L'inconscient échappe-t-il à toute forme de connaissance ?

Qui dit inconscient dit Freud. Si Marianne Chaillan propose un développement autour du penseur autrichien, elle souligne que d'autres auteurs auraient pu être évoqués, notamment Marx (l’inconscient social) ou Changeux (l’inconscient biologique).

En introduction, la philosophe propose de partir de la définition de l'inconscient. «Il semble être ce qui échappe à la conscience et donc à une connaissance possible», dit-elle, et en cela il serait «en quelque sorte un obstacle à notre liberté». Mais «le penseur le plus célèbre de l’inconscient n’est-il pas celui-là même qui, tout en montrant comment l’inconscient est d’abord fermé à la conscience, nous démontre que l’on peut tâcher, par un travail analytique, d’en ouvrir les portes ?», s'interroge-t-elle.

En première partie, Marianne Chaillan propose de partir d'une citation de Freud dans ses «Essais de psychanalyse» : «La division du psychique en un psychique conscient et un psychique inconscient constitue la prémisse fondamentale de la psychanalyse.» En étudiant l'hystérie, le neurologue autrichien a constaté «que certains contenus psychiques opposaient une sorte de résistance à venir à la conscience», Marianna Chaillan proposant de citer en exemples les lapsus et les rêves étranges. «Cette force qui s’oppose à ce que nous prenions connaissance des représentations inconscientes, Freud la nomme "résistance".» Si ces contenus semblent inaccessibles, c'est «précisement parce que nous ne souhaitons pas au fond les connaître». En effet, «selon Freud notre inconscient est constitué d’un ensemble de désirs refoulés». «Si l’inconscient existe et demeure fermé à la connaissance, on pourrait dire que c’est en quelque sorte pour notre santé psychique», précise Marianne Chaillan, reprenant la pensée de Freud.

Dans une deuxième partie, la professeure de philosophie propose de montrer qu' «une fois refoulés, ces désirs ou pulsions ne cessent pas d’agir». Un lutte s'engage alors «entre les pulsions pour revenir sur la scène de la conscience et cette force que Freud a appelé "résistance"». De ce combat vont «jaillir toute une série de compromis par lesquels les désirs trouvent à se satisfaire de manière plus ou moins déguisée, des rêves aux lapsus, des symptômes névrotiques aux psychoses». Ces «retours du refoulé peuvent nuire à la liberté du sujet», c'est pourquoi «il importe d’œuvrer pour accéder à une connaissance de son inconscient». C'est la tâche de la psychanalyse. Avec sa méthode thérapeutique du «talking cure», «dont la règle d’or est de dire tout ce qui nous vient à l’esprit, même si cela n’a aucun rapport et surtout si c’est désagréable, Freud met en place une pratique qui vise à ouvrir la voie à une connaissance de l’inconscient», explique Marianne Chaillan.

Ainsi, en conclusion, on peut dire que cette connaissance est «libératrice». «Une connaissance de l’inconscient est donc (partiellement) possible et elle est salutaire puisqu’elle permet au sujet de reconquérir une forme de liberté sur son existence», propose de conclure la professeure de philo.

Sujet 3 : Sommes-nous responsables de l'avenir ?

Pour ce sujet, Marianne Chaillan propose de «poser la question de la liberté humaine afin de fonder ou non sa responsabilité de l’avenir». En effet, «si nous sommes les auteurs de nos actes, alors nous en sommes responsables et nous sommes responsables de leurs effets. Mais est-il bien certain que lorsque nous agissons, nous le faisions librement ?»

En première partie, la philosophe suggère de développer la thèse de certains auteurs, notamment Spinoza dans son «Ethique», selon laquelle la liberté humaine n’est qu’une illusion. «L’homme est une partie de la nature, et en tant que tel, il obéit aux lois de la nature», disent-ils. «S’il croit être libre, c’est parce qu’il ignore tout des causes qui le poussent à poser son action.» Sans liberté, pas de de responsabilité de l’avenir.

A l'inverse de cette pensée déterministe, Marianne Chaillan suggère de convoquer Sartre, qui, dans son livre «L’Etre et le Néant», défend la théorie selon laquelle «l’homme est entièrement libre, et ceci quelle que soit notre situation». Le contexte dans lequel chaque être humain est plongé à sa naissance n'est pas immuable. «L’avenir est donc entièrement ouvert à notre liberté, quels que soient notre passé et notre présent. C’est notre volonté qui dessinera l’avenir, et de ce fait, évidemment, nous en devenons responsables», souligne l'enseignante.

La troisième partie pourrait se résumer à une citation culte du film «Spider-man» : «Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités». Selon Marianne Chaillan, il est pertinent de faire appel à Hans Jonas, selon lequel «l’essor de nos progrès technologiques nous confère une responsabilité supplémentaire : nous ne sommes pas seulement responsables de notre avenir mais de l'avenir tout court». Avec les technologies actuelles, l'être humain a désormais «le pouvoir de détruire les conditions d’une vie réellement humaine sur Terre mais aussi de menacer cette existence elle-même», souligne Marianne Chaillan.

En conclusion, on peut dire que, désormais, «nous devons aussi nous tenir pour responsables des conséquences non prévisibles de nos actions». «Nous avons pour tâche de veiller à ne pas mettre en péril la perpétuation de l’humanité dans l’avenir», propose de finir la professeure de philo. La référence au réchauffement climatique et à la destruction de la biodiversité semble claire.

Série technologique

Sujet 1 : Est-il toujours injuste de désobéir aux lois ?

Pour ce sujet, Marianne Chaillan suggère de poser la problématique d'une autre manière, en convoquant pourquoi pas le personnage d'Antigone, de Sophocle. «La question est celle de savoir quelle est la norme du juste : est-ce la loi politique ou la loi morale ?»

En première partie, la pensée de Spinoza dans son «Traité politique» peut être développée. «A l’état de nature (c’est-à-dire avant la constitution des Etats), il n’y a ni juste ni injuste mais seulement le droit de nature.» «Pour Spinoza, c’est l’Etat politique qui instaure la notion de justice en se dotant de lois politiques, qui deviennent dès lors normes du juste. En ce sens, si la loi politique est norme du juste, il ne peut qu’être injuste de désobéir à la loi puisque c’est elle qui le fonde», indique Marianne Chaillan.

Pour la deuxième partie, l'invocation du régime nazi paraît évidente, pour montrer que des lois peuvent se révéler injustes. «Dans ce cas, désobéir aux lois n’est pas injuste. Il s’agit au contraire de rétablir la justice», note la philosophe, citant l'exemple des «Justes parmi les nations», ces personnes qui ont sauvé des Juifs malgré les risques et la loi.

En troisième partie, Marianne Chaillan propose de dépasser la problématique. «Si ce n’est la loi politique qui est norme du juste, alors la question devient de déterminer ce que dicte la loi morale.» On peut alors montrer qu'il n'existe pas une seule morale mais des morales, «et opposer, par exemple, la morale déontologique de Kant (qui repose sur l’intention) à la morale «conséquentialiste» de Bentham (qui repose sur les conséquences de l’acte)», commente la professeure de philosophie.

Sujet 2 : Savoir, est-ce ne rien croire ?

Sur ce sujet, Marianne Chaillan explique qu'il était possible d'opposer deux auteurs, Spinoza et Kant. «Le premier montre comment la croyance prend racine dans un déficit de connaissance. Pour lui donc, savoir, c’est bien ne rien croire», expose la philosophe. Dans son «Ethique», «il explique que les Hommes ignorent tout de la véritable nature des choses. C’est dans cette ignorance que prennent racine et la foi (aveugle) et la superstition». Selon Spinoza, Dieu n'est qu'une invention des Hommes pour donner un sens à ce qu'ils ne comprennent pas. Le remède ? Le savoir.

A cette référence, on peut opposer l’idée, que l'on retrouve notamment chez Kant, «qu’un certain usage de la croyance pouvait être une condition même du savoir». Le philosophe prussien prend l'exemple de la biologie et de l'histoire, qui sont «impossibles comme sciences sans qu’on pose à leur fondement un principe (le principe de finalité selon lequel rien n’est dû au hasard) qui, sans être démontré, doit valoir comme fil conducteur pour la réflexion», explique Marianne Chaillan. Ce qui montre que «le savoir n’exclurait pas toujours la croyance mais la présupposerait même pour partie».

Sujet 3 : La technique nous libère-t-elle de la nature ?

Dans une première partie, Marianne Chaillan propose de montrer que oui, l'Homme se libère de la nature par la technique. Pour cela, elle cite deux références possibles. La première est celle du mythe de Prométhée, chargé avec son frère Epiméthée de répartir les qualités parmi les vivants. Epiméthée ayant distribué aux animaux toutes les qualités naturelles, Prométhée va voler l’habileté technique au dieu Héphaïstos pour pallier l'indigence naturelle de l'Homme. La seconde se trouve chez Descartes. Dans son «Discours de la méthode», «il ambitionne que l’Homme se rende comme "maître et possesseur de la nature", grâce à la technique», souligne la professeure de philo. Un exemple actuel, celui de la conception de coeurs artificiels, peut être mis en avant dans cette partie, pour montrer que «la technique permet à l’homme de s’émanciper des limites que lui impose la nature». S'en affranchir définitivement, c'est le rêve du transhumanisme.

En deuxième partie, on peut argumenter que cette technique, qui permet à l'Homme de s’émanciper et de se libérer de la nature (de ses contraintes), le rend du même coup responsable de la nature, indique Marianne Chaillan. Une thèse que l'on retrouve chez Hans Jonas, dans «Le Principe responsabilité». «L’homme libéré, en quelque sorte, de la nature hors de lui et de la nature en lui, devient responsable des deux : définir et respecter les limites de l’humain, d’une part, protéger la nature d’autre part, afin que chaque humain puisse vivre une vie authentiquement humaine sur terre», note la philosophe.

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