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Christel Bertrand : «Marine Le Pen n’avait pas intérêt à attaquer Emmanuel Macron sur des polémiques alors qu’elle est attaquable judiciairement»

Selon Christel Bertrand, consultante en communication politique et en communication de crise, comparé à 2017, le débat ne pouvait néanmoins «pas être pire» pour Marine Le Pen. [Ludovic MARIN / AFP]

Fixant son rival droit dans les yeux à chaque fois qu’elle prenait la parole, Marine Le Pen a débattu hier, mercredi 20 avril au soir, face à Emmanuel Macron lors du traditionnel débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle. Mais si la candidate du Rassemblement national est apparue pour certains calme et sereine, elle a été perçue par d'autres comme étant passive et sur la défensive.

Après le débat raté de 2017, l'attente était grande quant à savoir de quelle façon la candidate d'extrême droite allait réagir face à son adversaire d'En Marche.

Cinq ans plus tard, après un quinquennat émaillé par plusieurs affaires et crises parmi lesquelles celles des gilets jaunes, l'affaire Benalla ou dernièrement l'affaire McKinsey et les interrogations autour du patrimoine d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen avait en sa possession plusieurs cartouches qu’elle pouvait utiliser pour fragiliser le président sortant.

Pourtant, la députée du Pas-de-Calais a surpris en ne les utilisant pas ou pas totalement, subissant du même coup les attaques répétées d'un adversaire pugnace qui s'est appliqué à démonter pied à pied son programme.

Christel Bertrand, consultante en communication politique et en communication de crise, a décrypté pour CNEWS ce choix, soit l'attitude et les paroles singulières de la candidate du Rassemblement national.

Comment avez-vous trouvé Marine Le Pen lors du débat d'entre-deux-tours par rapport à celui de 2017 ?

Pour Marine Le Pen, cela ne pouvait pas être pire qu’en 2017. On peut dire de cette manière qu’elle a réussi le débat. C’est une réussite pour elle et, à la limite heureusement, car on ne pouvait pas faire pire.  

Marine Le Pen est apparue plus calme, moins plongée dans ses notes mais, sur les réseaux sociaux d'abord puis le lendemain dans la presse, on a parlé d’un «résultat mitigé». Votre avis ?

Disons qu’elle regardait ses notes plus discrètement qu’en 2017. Mais elle les a regardées quand même. En revanche, Emmanuel Macron, lui, prenait des notes. Et ça c’est la différence.

Marine Le Pen a été effectivement plus calme mais cela ne veut pas dire qu’elle était moins stressée. Elle a d'ailleurs commis sa première erreur avant même que le débat commence. Elle a fait un faux-départ en se mettant tout de suite à parler alors qu’il y avait encore la musique du générique du programme. Et cela n’est pas synonyme de sérénité car commencer comme cela un débat ne met pas dans de bonnes dispositions.

Sur plusieurs sujets, Emmanuel Macron a mis Marine Le Pen face à ses votes et décisions politiques passés. Pensez-vous que cela a été déstabilisant pour la candidate du Rassemblement national ?

Ce sont les premières secondes qui étaient déstabilisantes. Cela étant, elle s’est ressaisie. Elle était en cohérence avec son image dédiabolisée qu’elle a mis en place depuis de nombreux mois. Elle ne voulait surtout pas d’une façon ou d’une autre que l’on puisse comparer le débat de 2017 à 2022 sur le plan émotionnel et en termes de posture.

Marine Le Pen a fait très attention à ne donner aucun signe d’énervement. C’était son principal enjeu et elle l'a réussi.

Sur les réseaux sociaux, les téléspectateurs ont été surpris de ne pas voir Marine Le Pen se saisir de cette occasion pour attaquer Emmanuel Macron sur l’affaire McKinsey. Qu’en pensez-vous ?

Les réseaux sociaux ne reflètent pas ce que pense l’opinion publique. Les Français ne connaissent pas ce qu’est McKinsey. Cela n’a pas été l’objet de grands instituts de sondage de l’opinion publique.

Si Marine Le Pen n’est pas allée le chercher sur ce terrain, c’est peut-être parce qu’elle a préféré parler de son programme plutôt que de parler encore d’Emmanuel Macron sur un sujet dont les Français n’ont pas fait grand cas.

Ce qui intéresse les Français c’est le pouvoir d’achat, combien va leur coûter leur facture d’électricité l’hiver prochain ? Combien ils dépenseront pour mettre de l’essence dans leur bagnole ? Mais ce n’est en aucun cas McKinsey.

Reste que la crise des gilets jaunes ou l’affaire Benalla parlent davantage aux Français et Marine Le Pen n'en a pas parlé non plus...

Si Marine Le Pen attaque son contradicteur là-dessus, il faut qu’elle s’attende à ce qu’il l’attaque sur l’argent du Parlement européen par exemple.

Elle n’avait peut-être pas intérêt à aller l’attaquer sur des polémiques alors qu’elle est attaquable d’un point de vue judiciaire.  

Pour revenir sur l’affaire McKinsey, celle-ci n’est pas un enjeu de la campagne. Si l’on va chercher son adversaire sur des polémiques et que l’on a des problèmes avec la justice européenne, on n’a pas envie que le boomerang nous revienne à grande vitesse.

Selon un rapport de l’Office anti-fraude de l’Union européenne, Marine Le Pen aurait détourné de l’argent public. La justice a été saisie. Or, et jusqu’à preuve du contraire, la justice n’a pas été saisie sur une pseudo-affaire McKinsey.

Sur la crise des gilets jaunes, elle sait parfaitement qu’elle a jeté de l’huile sur le feu. Là, il aurait fallu qu’elle en ressorte des feuilles A4 sur les derniers tweets.

Si elle n’a pas été l’attaquer sur des sujets sensibles, c’est pour éviter d’emmener le débat sur un terrain qui lui aurait été fort propice. Elle a également eu de la chance qu’Emmanuel Macron n’aille pas la chercher là-dessus.

Emmanuel Macron a choisi un autre terrain pour perturber Marine Le Pen. Il s’agit de ses dépenses, de son prêt russe et, globalement, de sa relation avec la Russie

Ce sont des faits, et d’ailleurs, Marine Le Pen ne les a pas niés. Néanmoins, elle n’a pas été très à l’aise et elle a vite changé de sujet de conversation parce que lorsqu'Emmanuel Macron lui dit qu’Éric Zemmour a réussi à financer sa campagne par une banque européenne, elle n’a pas continué à jouer la victime. Son rival a bien plus réussi à inverser les rôles. Il avait de quoi lui mettre la tête sous l’eau.

Quand, le lendemain d’un débat d’entre-deux-tours, un des deux débatteurs se plaint de la façon dont s’est tenu physiquement son adversaire, comme le qualifier de «méprisant», «arrogant» etc., c’est de fait que l’on admet que l’on a été moins bon sur le fond, donc on l'attaque sur la forme.

Malgré tous ces éléments, estimez-vous qu'elle tout de même pu mieux gérer son débat ?

Elle a géré son débat avec les armes en sa possession car c’est difficile de gagner un débat face à Emmanuel Macron.  

Pourquoi est-ce difficile, selon vous ?

Emmanuel Macron place la barre très haut. C’est quelqu’un qui maîtrise ses dossiers, qui a de la répartie, qui s’exprime dans un français parfait, qui a des arguments, qui parfois même utilise des mots qui ne sont pas dans le langage commun. Il prend également beaucoup de temps à répondre. C’est difficile de prendre le dessus sur une telle personnalité.

Si elle avait été face à quelqu’un d’autre, peut-être qu’elle aurait pu plus faire valoir ses arguments. Cependant, quand on a face à soi quelqu’un qui maîtrise autant ses dossiers, c’est perdu d’avance.

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