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Mort de Nahel à Nanterre : que dit la loi de 2017 qui régit l’usage des armes à feu par la police, et pourquoi fait-elle débat ?

En 2022, 13 décès ont été enregistrés après des refus d’obtempérer lors de contrôles routiers, ce qui constitue un record. [DENIS CHARLET / AFP]

Nahel M., un adolescent de 17 ans, a été tué par balle après un refus d’obtempérer lors d’un contrôle de police, ce mardi 27 juin à Nanterre. Ce drame a relancé le débat sur la règlementation de l’usage des armes à feu par la police, modifiée en 2017.

Après la mort de Nahel M., un adolescent de 17 ans tué par balle lors d'un contrôle de police à Nanterre (Hauts-de-Seine), le débat sur l'usage des armes par les policiers a été relancé. Si la gauche milite globalement pour réformer l'article L435-1 du Code de la sécurité intérieure, modifié en 2017, la droite réclame quant à elle une proposition de loi visant à garantir une «présomption de légitime défense» pour les forces de l'ordre.

L'attaque contre des policiers à Viry-Châtillon comme élément déclencheur

Le 8 octobre 2016, la France est marquée par le drame de Viry-Châtillon. Ce jour-là, peu avant 15h, deux voitures de police sont postées en observation lorsqu’un groupe d’une vingtaine de personnes s’en prend au véhicule, jetant des cocktails Molotov en direction des agents à l’intérieur des voitures. Une policière est gravement brûlée aux mains et aux jambes tandis que le pronostic vital d’un agent de sécurité, lui aussi gravement brûlé, est engagé.

L’attaque provoque l’émoi et la colère parmi les policiers, qui organisent plusieurs manifestations, conduisant à une réaction de la part du gouvernement. Le Premier ministre, Manuel Valls, sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, s’engage alors à modifier la loi sur l’usage des armes à feu par les policiers, régi par l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure.

Modification de l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure

Ainsi, dès le mois de février 2017, la réglementation sur l’usage des armes à feu des policiers est modifiée pour être alignée sur celle des gendarmes. Auparavant, les fonctionnaires étaient soumis au code pénal et devaient prouver la légitime défense comme n’importe quel citoyen. Désormais, ils peuvent faire feu sur un véhicule «dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui».

Par ailleurs, le texte précise que l’usage des armes est autorisé seulement en cas «d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée». Selon la loi, cinq cas précis sont mentionnés :

  1. 1. Lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d'autrui.
  2. 2. Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées.
  3. 3. Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui.
  4. 4. Dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsqu'ils ont des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.
  5. 5. Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui.

Le terme «susceptible» sujet à interprétations

C’est précisément dans le 5e cas de figure que sont recensés les «refus d’obtempérer», et c’est à ce titre qu’il appartient aux policiers en intervention de juger, d’une part, si leur vie ou leur intégrité physique est menacée, et d’autre part, si la vie ou l’intégrité physique d’autres personnes sont «susceptibles» d’être mises en danger. Des situations qui laissent place, dans la plupart des cas, à de nombreuses interprétations différentes.

La principale difficulté d’interprétation de ce texte réside dans l’usage du mot «susceptible». Il s’agit d’un terme qui présage d’un fait, sans que celui-ci ne soit commis. Dans la plupart des cas, les policiers mis en cause invoquent donc le fait que des délits, voire des crimes sont «susceptibles» d’être commis par le contrevenant qui, dans le cas présent, refuse de se soumettre au contrôle de police. Une ambiguïté qui ne facilite pas le jugement des affaires.

Dans les faits, cette modification de la règlementation sur l’usage des armes par les policiers, qui introduit donc la notion de «susceptibilité de provoquer des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique d’un agent ou d’autrui», va de pair avec l’augmentation de l’usage de leurs armes par les policiers. Selon un rapport de l’IGPN de 2021, l’année qui recense le plus de tirs effectués par des policiers sur des véhicules en mouvement est l’année 2017.

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En 2022, 13 décès ont été enregistrés après des refus d’obtempérer lors de contrôles routiers, ce qui constitue un record. Cinq policiers ont été mis en examen dans ces dossiers, les autres ayant été libérés sans poursuites à ce stade. Selon des chercheurs, cette modification de la loi a eu un impact direct sur ces statistiques, dont les chiffres ont augmenté de manière significative à partir de l’année 2017.

De leur côté, les autorités et les syndicats de police attribuent plutôt le record de décès en 2022 à des comportements au volant plus dangereux, et à une recrudescence des refus d'obtempérer en France. En 2021, environ 27.700 refus d’obtempérer avaient été enregistrés, soit une hausse de près de 50% en dix ans, selon des chiffres officiels.

La droite et la gauche divisées

Face à l’ampleur du débat, les différentes formations politiques ont chacune leur avis sur la question. La gauche estime globalement qu’il faut revenir sur cette modification de la loi, certains souhaitant même, à l’image de Jean-Luc Mélenchon, réformer la loi pour en redéfinir les paramètres. La droite, quant à elle, penche plutôt pour une nouvelle proposition de loi sur la «présomption de légitime défense», qui vise à présumer toute action des forces de l’ordre comme étant dans le cadre de la légitime défense, avant un potentiel passage de la justice.

Dès lors il ne faudrait plus prouver qu’un accusé a commis des faits pour le condamner, mais que l'accusé prouve qu’il n'a pas commis les faits qui lui sont reprochés pour ne pas être condamné. Une loi qui remettrait notamment en cause le principe de présomption d’innocence, gravé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en France, préambule de notre Constitution.

Pour rappel, le délit de refus d’obtempérer est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende, et la légitime défense est aussi encadrée par la loi, dans l’article 122-5 du Code pénal : «N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte».

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