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La vie publique s’américanise, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

Il faudra sans doute un jour, le plus tôt serale mieux, qu’un grand esprit réécrive Le Prince de Machiavel. Ce dernier nous avait enseigné que le secret est consubstantiellement lié à l’exercice du pouvoir. Nous sommes à un point d’évolution de nos sociétés qui marque l’extinction progressive de ce droit au secret, pour les gouvernements comme pour les titulaires d’un pouvoir quel qu’il soit. La trame longue dans laquelle nous sommes inscrits, nous les démocraties, porte un nom : la transparence. On peut y voir une manifestation de l’ère du soupçon généralisé dans laquelle nous sommes entrés. Mais il s’agit tout autant d’une revendication légitime qui vient nous rappeler que la démocratie, pour perdurer, doit être inattaquable.

De ce point de vue, l’exigence de transparence financière est légitime et nécessaire. Il faut absolument parvenir à un stade où les titulaires de charges publiques s’abstiennent d’être en situation de conflit d’intérêts ou de mélange des genres, quand il ne s’agit pas bien sûr de corruption. La vigilance, dans ce domaine, est de mise. Il ne s’agit pas ici d’invoquer la crise – la transparence serait d’autant plus nécessaire que tant de gens souffrent… – mais bien de rappeler qu’il s’agit d’une condition du bon fonctionnement de la démocratie, d’une garantie que les élus doivent à celles et ceux qui leur font confiance.

Mais l’autre exigence de transparence qui est en train de s’installer est d’une autre nature : elle touche à la vie privée. Nous assistons dans ce domaine (comme viennent de le montrer les péripéties de la vie privée du président français François Hollande, dont la liaison avec une actrice et productrice de cinéma, Julie Gayet, a été révélée par le magazine Closer) à une lente et, semble-t-il, inexorable américanisation de la vie publique dans nos pays. Le problème est que, aux Etats-Unis, la culture de la sphère publique est fortement imprégnée de puritanisme, notamment protestant, alors que nous vivons dans des pays d’influence catholique. Et des esprits malins pourront toujours arguer qu’il suffit d’une bonne confession pour être absous…

Aux Etats-Unis, un (ou une) responsable politique n’est pas seulement jugé(e) sur ses actes, sur l’action qu’il (ou elle) conduit, mais aussi, et parfois surtout, sur son comportement privé. Lequel est fonction d’une norme morale à laquelle, nous, Européens,  nous ne devrions pas être obligés d’adhérer.

Le point culminant de cette logique, qui consiste àrécuser tout élu coupable d’adultère le plus souvent, a été bien sûrla tentative d’«impeachment» déclenchée contre Bill Clinton (après la révélation d’actes sexuels en compagnie de Monica Lewinsky). Nous som­mes là dans un pays où il est manifestement plus dangereux de mentir sur les affaires de sexe que sur la paix ou la guerre. C’est la leçon que l’on peut tirer du traitement infligé à Bill Clinton et de l’absence de débats aux Etats-Unis sur les mensonges d’Etat qui avait conduit George Bush junior à entrer en guerre. Nous n’en sommes pas encore là, mais nous allons tout droit vers une société où la sphère privée sera constamment scrutée. D’autant que l’utilisation de ces affaires entre de plus en plus dans l’arsenal que les politiques eux-mêmes utilisent pour se détruire les uns les autres.

Au-delà de ces considérations, nous sommes devant un mouvement de remise en cause de la condition politique. Celle-ci s’affaiblit et ce mouvement participe de la désacralisation du pouvoir et de l’Etat. Le danger pour nous serait alors celui de voir s’instaurer, aux dépens de nos dirigeants d’abord, puis de nous-mêmes, une véritable police des mœurs. Est-ce bien ce que nous voulons ? 

 

Jean-Marie Colombani

 

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