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Poutine, un allié contre Daesh ?, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Le Premier ministre français l’a répété devant l’Assemblée nationale : la France n’enverra pas de troupes au sol en Syrie pour combattre Daesh. Seuls des raids aériens seront conduits, leur cible étant des centres d’entraînement de l’organisation terroriste, destinés à former aux combats et aux attentats, notamment des jeunes Européens. Ces opérations sont présentées par la France comme de la «légitime défense». La lutte contre Daesh est d’autant plus une priorité que les réfugiés qui fuient vers l’Europe sont chassés par les combats et les persécutions en Syrie et en Irak.

La question est, dès lors, de savoir qui peut, sur le terrain, combattre efficacement Daesh. Pas de troupes européennes ; pas davantage de troupes américaines. Les regards se tournent alors vers la Russie de Vladimir Poutine et vers l’Iran. Poutine, qui fait figure de modèle politique dans certains secteurs de l’opinion publique européenne (qui ne sont pas tous d’extrême droite) prend la pose du sauveur. Le moment est certainement propice à une bonne dose de «realpolitik» : si les Russes veulent vraiment combattre Daesh, ils sont les bienvenus.

De même faut-il, comme cherche à le faire le président français, mettre à profit le retour de l’Iran dans le jeu international pour que ce pays, qui encadre diverses milices chiites, soit convaincu de la nécessité d’une solution politique. La difficulté est que l’Iran comme la Russie, avant de combattre Daesh, sont d’abord des soutiens de Bachar al-Assad.

Ce dernier est pourtant le premier responsable du chaos syrien, le premier coupable du massacre de la plupart des victimes syriennes : sur quelque 250 000 morts, seuls – si l’on peut dire – 5 000 d’entre eux sont attribués à Daesh. Et que dire de l’exode des Syriens (deux millions dans les camps de réfugiés en Turquie, un million au Liban, auxquels s’ajoutent les centaines de milliers en Jordanie et un demi-million qui a fui vers l’Europe) sinon que Bachar al-Assad en est le principal responsable ?

Dans la naissance de Daesh, on peut certes incriminer les conséquences politiques de la guerre d’Irak et l’exercice par le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki d’une politique de vengeance des chiites contre la minorité sunnite (laquelle était le principal soutien de Saddam Hussein). Mais on ne saurait oublier la réaction sanglante de Bachar al-Assad face à une opposition syrienne qui était, au départ, une coalition de laïcs et d’islamistes modérés.

Vladimir Poutine, par le soutien sans faille qu’il a accordé à Bachar al-Assad, au nom de son obsession de continuité avec la diplomatie soviétique, a sa part de responsabilité dans l’émergence et le développement de Daesh.

Poutine est un aventurier, non un stratège : il s’est lancé à l’aventure en Ukrai­ne et, au passage, il a annexé la Crimée. Il est vainqueur à court terme. Mais au-delà du gain immédiat de popularité, l’économie russe continue de se dégrader, et les perspectives démographiques en feront, dans quelques années, un pays moyen et non une grande puissance. En Syrie, Poutine n’avait pas d’autre dessein que celui de gêner Américains et Européens et de garder son seul allié dans la région, quel que soit son comportement. L’espoir de l’amener à une solution politique est donc des plus ténus, même s’il mérite d’être tenté, tant il y a urgence à affaiblir Daesh.

Mais l’important, pour les Européens que nous sommes, est aussi de s’aider de l’influence des puissances sunnites (l’Arabie Saoudite et l’Egypte notamment) et de tenter de ramener la Turquie à une raison démocratique qui lui fait défaut pour qu’elle puisse redevenir un acteur de paix dans la région. Car on ne vaincra pas Daesh sans l’appui d’une partie substantielle du monde sunnite. 

Jean-Marie Colombani

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