Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
Plus que jamais nous devrions avoir à l’esprit cette apostrophe du pape Jean-Paul II : «N’ayez pas peur !». Ce devrait être le leitmotiv de tous nos dirigeants pour aider les Européens à combattre le mal qui les ronge : la peur. Peur de la mondialisation hier, des réfugiés aujourd’hui. Nous vivons, il est vrai, dans un monde particulièrement anxiogène, soumis à de multiples basculements.
Basculement géostratégique avec le déplacement du centre de gravité de la planète vers la zone Asie-Pacifique. Basculement économique avec, là encore, la montée en puissance de l’Asie et, demain, celle du continent africain. Basculement écologique, avec les conséquences du changement climatique, qui rend urgent un accord au sommet mondial de Paris à la fin de l’année. Basculement démographique, avec une accélération des flux migratoires liés aux différences de développement entre les grandes zones géographiques. Basculement militaire : outre l’amplification de la menace terroriste sous l’égide de Daesh, il y a l’armement accéléré de la Chine dont l’ambition est de devenir une grande puissance militaire. Il est ainsi frappant de constater que la Chine fabrique aujourd’hui des navires de guerre au même rythme que l’Allemagne d’avant 1914. Et une fois surarmée, restera-t-elle un empire préoccupé par sa propre unité ou projettera-t-elle son nationalisme à l’extérieur aux dépens de ses voisins ? Et que dire de la transformation de la Russie ? Hier partenaire de la paix et du développement au point d’effacer des tablettes du Pentagone tous les plans de riposte à une éventuelle agression en Europe ; aujourd’hui redevenue une menace plausible, sinon prévisible. Après la remise en cause de l’intégrité de l’Ukraine (qui faisait suite à celle de la Géorgie), la prochaine cible de Poutine pourrait bien être les Etats baltes. L’Otan ne serait pas à même de faire face à une nouvelle agression russe. Il faudrait un à deux mois pour acheminer un contingent américain suffisant : c’est plus de temps qu’il n’en faut pour faire des dégâts conséquents. Tout ceci, dans un contexte militaire marqué par le repli américain dont témoigne la passivité d’Obama en Syrie aussi bien que la campagne pour les élections primaires au sein du Parti républicain. Sans oublier la quasi-disparition stratégique de la Grande-Bretagne.
Pourtant, nous ne devons pas avoir peur. Au contraire, nous devons renforcer notre seule chance d’exister et, n’ayons pas peur des mots, de nous préserver comme civilisation dans ce monde qui se transforme si vite : l’Union européenne. Sans méconnaître les dangers d’aujourd’hui, gardons à l’esprit que le siècle précédent fut des plus sanglants. Il avait commencé en Europe par le suicide collectif et la boucherie que fut la Première Guerre mondiale. Laquelle précéda 1939-1945 et ses hallucinants massacres de masse. Nous vivons un début de siècle infiniment moins meurtrier, marqué par l’entrée dans le développement d’une plus grande partie de l’humanité et par la montée universelle des classes moyennes, le recul de la pauvreté et de la faim dans le monde. Et nous vivons dans une Europe dotée d’une union dont le ciment a été, et reste, la paix sur le Vieux Continent.
Deux raisons pour ne pas avoir peur. Tout d’abord, l’Union européenne constitue déjà et constituera dans l’avenir la plus grande zone de prospérité. Mais elle est menacée par un déclin démographique. C’est alors que, seconde raison, se produit ce qui devrait être considéré comme une chance inouïe : un mouvement des réfugiés de nature à compenser ce déclin et à renforcer nos perspectives de croissance. Même si ces arguments sont absents des discours politiques, nous devrions les considérer si nous voulons continuer de regarder l’avenir avec confiance.
Jean-Marie Colombani