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Migrants : le devoir d'accueil, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Il y aura un avant et un après. Avant la publication de la photo montrant le corps du petit Aylan Kurdi échoué sur une plage de Turquie, il y avait, en Europe, un temps de retard dans la prise de conscience de la gravité de la situation et de la nécessité d’y faire face rapidement. Il y avait pourtant eu ce sinistre épisode des 71 cadavres découverts à l’intérieur d’un camion en Autriche, mais rien qui ressemble à l’émotion légitimement suscitée par ce cliché, qui dit tout du drame des réfugiés syriens. La notion de réfugié est, ici, importante car dans des opinions travaillées par la peur, celle de l’immigration en particulier, la confusion est entretenue entre d’une part, celles et ceux qui fuient la misère et d’autre part, celles et ceux qui sont chassés par la guerre et pourchassés par Daesh.

Aux premiers, on peut opposer une politique de fermeté, à la condition que celle-ci soit liée à des stratégies de développement dans les pays d’origine. Ce sera l’objet d’un sommet européen, prévu en novembre à La Valette (Malte), destiné à mettre sur pied les éléments d’un dialogue avec les pays, notamment d’Afrique subsaharienne, qui nourrissent le flot continu de ces migrants de la pauvreté. Pour les seconds, en revanche, le droit, mais aussi la morale, la dignité humaine, le respect des valeurs dont nous nous prévalons si souvent imposent de les accueillir et de les protéger.

Avant la publication de cette photo, qui prendra place parmi les photos qui font l’Histoire, l’Europe tendait à ressembler à l’Amérique du Saint-Louis. Ce navire qui, en 1940, transportait 908 juifs fuyant l’Allemagne nazie, avait été refoulé par la ville de New York et les Etats-Unis. La plupart moururent dans les camps de concentration. C’était avant l’entrée en guerre des Etats-Unis et leur basculement vers une politique d’accueil imprimée par le président Roosevelt.

Après la publication de cette photo, tous les gouvernements ont convenu d’accélérer. Rendons à César ce qui est à César : le dispositif, sur lequel Paris, Rome et Berlin se sont accordés, a été proposé par la Commission européenne. Il reprend des idées, notamment celle d’une répartition équitable des réfugiés, refusées par la France, après le drame qui, en 2013, avait coûté la vie à 366 naufragés à Lampedusa. Ce dispositif consiste à répartir 120 000 demandeurs d’asile entre les Etats membres et, surtout, à mettre en place un mécanisme permanent de répartition équitable des réfugiés entre Etats membres. Il est demandé à la Grèce et à l’Italie, où affluent en premier les réfugiés, de créer  des centres qui permettent d’identifier celles et ceux qui peuvent avoir droit d’asile. La France, après avoir tardé à se déterminer, a choisi de soutenir ce dispositif. L’opinion y demeure pourtant réfractaire à toute idée d’accueil : de façon constante, deux Français sur trois pensent qu’il y a "trop d’étrangers" en France. Il se trouve même un parti politique, celui de Marine Le Pen, pour inventer l’idée, ô combien choquante, que tout ceci ne serait qu’un complot de l’Union européenne pour nous obliger à importer de la main-d’œuvre à bas coût ! On se demande comment de tels propos sont possibles dans un pays qui se dit civilisé…

En Allemagne, au contraire, six personnes sur dix sont favorables à l’accueil des réfugiés et 87 % des demandeurs d’asile venus de Syrie et d’Irak ont été acceptés. L’Allemagne s’apprête d’ailleurs, au nom du respect de nos valeurs, à accueillir 800 000 réfugiés en 2015. Toutes les difficultés et les divisions ne disparaîtront pas pour autant. Et les extrêmes droites continueront de mener bataille contre tout accueil. Mais l’Europe s’organise et réagit au nom du même principe que celui qui a prévalu lors de la gestion de la crise financière : la solidarité. 

Jean-Marie Colombani

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